Les frontières contre les hommes

Les frontières contre les hommes

Messagede Antigone le Mar 26 Oct 2010 19:19

Topic de l'immigration dans le monde.


FRONTIERES

The Guardian, rapporté par PressEurop - 26 oct 2010
http://www.presseurop.eu/fr/content/art ... s-migrants

Grèce: Des armes pour contenir les migrants
par Ian Traynor & Helena Smith

Le nombre de migrants qui franchissent la frontière poreuse entre la Grèce et la Turquie augmente constamment. Le gouvernement grec étant incapable de surmonter seul ce problème, Frontex, l'agence européenne pour les frontières extérieures, s'apprête à déployer des gardes armés dans la région.


Une nouvelle unité de gardes européens armés va être dépêchée en Grèce, avec pour mission de patrouiller le long de la frontière turque pour juguler le flux d’immigrés clandestins en Europe. Avec le déploiement de ces Rapid Intervention Border Teams (équipes d’intervention rapide aux frontières ou RABITs), composées de garde-frontières d’autres pays d’Europe, c’est la première fois que Bruxelles envoie des unités multinationales armées sur les frontières extérieures de l’Union.

Les équipes doivent arriver en Grèce dans les prochains jours, a annoncé la Commission européenne le 25 octobre, bien que leurs effectifs précis et leur composition restent à déterminer. “C’est un nouveau front. Les équipes sont armées, mais elles ne peuvent avoir recours à leurs armes que pour se défendre”, a précisé un responsable de la Commission.

Peinant à faire face aux centaines d’immigrés qui entrent chaque jour en Grèce par une portion de la frontière inhospitalière et sans surveillance près de la ville turque d’Edirne, Athènes a lancé un appel à l’aide à Bruxelles mi-octobre. “Le flot de gens qui franchissent clandestinement la frontière a pris des proportions alarmantes, commente Cecilia Malmström, Commissaire aux Affaires intérieures. La Grèce n’est manifestement pas capable de maîtriser la situation par elle-même.”

Une pression énorme pour un petit pays
Environ 80 % des immigrés qui sont entrés en Europe cette année sont arrivés par la Turquie, puis la Grèce, d’après Bruxelles. Certains sont des immigrés économiques clandestins, à la merci de bandes de trafiquants de chair humaine; beaucoup sont des demandeurs d’asile irakiens et afghans, qui se voient infliger par les autorités grecques un traitement que les Nations unies et l’UE jugent indéfendable. “C’est une situation scandaleuse, poursuit le responsable de la Commission. Actuellement, les Grecs n’ont pas les moyens d’y faire face. C’est un petit pays soumis à une pression énorme.”

Le nombre de personnes entrées clandestinement en Grèce a presque quadruplé cette année, passant de 9 000 l’an dernier à environ 34 000. Pour les Afghans comme Ahmad Fahim, âgé de 15 ans, il est courant de passer par la Grèce pour atteindre l’Europe. Venu de Jalalabad, ville de l’Est de l’Afghanistan, il a pris un bus jusqu’à la frontière iranienne, puis a traversé l’Iran à pied grâce à des passeurs qui l'ont emmené ainsi que d’autres clandestins jusqu’en Turquie.

De là, ils se sont frayé un chemin jusqu’à la côte, en face de l’île grecque de Mytilène. “Ça m’a pris quatre mois et ça m’a coûté 1 500 dollars [1 076 euros] pour les passeurs, raconte Ahmad. On avait vraiment mal aux pieds, mais tout le temps, j’ai pensé à l’Angleterre, où vit ma famille. En Grèce, les conditions sont terribles. Au commissariat, ils nous enfermés, vingt d’entre nous, dans une cellule insalubre. Et avant de nous laisser partir, ils ont battu Fahimullah parce qu’il disait qu’il ne se sentait pas bien.”

"Les garde-côtes grecs ont détruit notre bateau"
Matthew a 22 ans. Il vient du Congo. “Mon père m’a appris à prier, dit-il. Pendant le voyage jusqu’ici, j’ai beaucoup prié, et bien des fois, j’ai remercié mon père. Les garde-côtes grecs ont détruit notre bateau quand nous avons essayé de traverser, et ils nous ont délibérément repoussés vers la Turquie. Il y a eu une tempête et aucun d’entre nous ne savait nager. Nous avons failli mourir.”

Selon les Nations unies, 90 % des immigrés clandestins arrêtés en Europe l’ont été en Grèce. Manfred Novak, le rapporteur des Nations unies sur les droits de l’homme, s’est rendu il y a peu à Athènes, et a constaté que les demandeurs d’asile étaient emprisonnés dans des conditions “inhumaines et dégradantes”. “Certaines des installations sont tellement surpeuplées, mal éclairées et sales qu’il nous a été difficile de rester avec les détenus. Nous avons dû sortir car nous manquions d’air”, souligne-t-il.

Au cours de l'année passée, Bruxelles et les gouvernements de l’UE ont pris la décision de déployer des patrouilles maritimes pour bloquer les axes de migration et de trafic qui, en Méditerranée, aboutissent à l’Espagne, l’Italie et Malte. Ils ont également conclu des accords controversés avec le colonel Mouammar Kadhafi en Libye afin qu’il récupère les immigrés. La Libye a toujours été une étape importante pour les gens qui viennent d’Afrique et du Moyen-Orient.

La Grèce s’est retrouvée exposée par la fermeture de ces axes, des milliers de personnes y arrivant via la Turquie, depuis le Pakistan, l’Afghanistan, l’Irak, l’Iran et l’Afrique. Christos Papoutsis, ministre grec de la Protection civile, a déclaré ce week-end : “Chaque jour, on signale une irruption massive, à la frontière terrestre entre la Grèce et la Turquie, de ressortissants de pays du tiers monde qui tentent d’entrer clandestinement dans le pays afin de se rendre dans d’autres Etats de l’UE.”

Des demandeurs d'asile se sont cousu la bouche
Quelque vingt-cinq demandeurs d’asile iraniens seraient en grève de la faim en Grèce, certains s’étant cousu la bouche, pour protester contre le traitement dont ils font l’objet et contre le refus grec de prendre leurs demandes d’asile en considération.

Près de la ville grecque d’Orestiada, une portion de plus d’une dizaine de kilomètres de frontière serait complètement ouverte, sans aucune surveillance. Les immigrés passent par là au rythme de plusieurs centaines par jour, en dépit de la difficulté du terrain. La crise est encore aggravée par d’autres pays de l’UE, qui refoulent en Grèce les immigrés clandestins qu’ils interpellent conformément à des règles qui stipulent qu’ils doivent être renvoyés dans le pays par lequel ils sont entrés dans l’Union.

Vu d'Athènes
Le parapluie Frontex
"Pour mieux affronter les vagues d'immigration clandestines dans notre pays, Frontex, l'agence européenne des frontières est venue sur place", rapporte To Ethnos. C’est à Evros, dans le nord du pays à la frontière gréco-turque que Frontex et la police grecque évalueront l'ampleur du phénomène migratoire. "Car ces derniers mois, l'immigration bat des records", poursuit le journal de gauche, "90 % des immigrés clandestins d'Europe étant arrêtés en Grèce". Pour To Ethnos , il s'agit "d'une victoire pour le gouvernement actuel puisqu'enfin l'UE réalise que les frontières grecques sont celles de l'Europe." "Le ministre de la Protection civile a affirmé que la Turquie était un pays de transit pour les immigrés et que le vrai problème était en Grèce", poursuit le quotidien. Selon Frontex, les trois-quarts des 40 000 immigrés entrés en Grèce cette année sont passés par la Turquie.
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Re: Les frontières contre les hommes

Messagede hocus le Mar 26 Oct 2010 20:30

La chasse aux RABITs est ouverte.
Dernière édition par hocus le Mar 26 Oct 2010 20:35, édité 1 fois.
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Re: Les frontières contre les hommes

Messagede hocus le Mar 26 Oct 2010 20:32

Antigone a écrit:beaucoup sont des demandeurs d’asile irakiens et afghans


Qu'est ce qui peut bien se passer dans ces pays pour que les gens fuient comme ça ?
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Re: Les frontières contre les hommes

Messagede Antigone le Jeu 28 Oct 2010 16:19

Demandeur d'asile iranien(octobre 2010).jpg


France 24, Iran en lutte - 27 oct 2010
http://observers.france24.com/fr/conten ... 80%99asile

Des Iraniens réfugiés à Athènes se cousent la bouche pour obtenir l’asile

Quarante-cinq personnes, dont huit se sont cousues les lèvres avec du fil médical, sont en grève de la faim depuis douze jours dans une tente de fortune plantée devant l’Université d’Athènes. Tous disent qu’ils ont été forcés de fuir l’Iran parce qu’ils étaient persécutés en raison de leurs opinions politiques. Ils affirment que la police grecque les a à peine mieux traités que les Bassidji.

Le 20 octobre, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Manfred Nowak, a qualifié le système d’asile grec de “dysfonctionnel” et a accusé le gouvernement de “créer des conditions catastrophiques” pour les réfugiés. À l’issue d’une visite d’inspection de dix jours pendant laquelle il a visité des dizaines de prisons, des postes de police, des hôpitaux et des centres de rétention administrative, le rapporteur a pu constater que des détenus étaient enfermés jusqu’à six mois dans des cellules surpeuplées et sales, mal ventilées et insuffisamment éclairées. Les détenus n’auraient par ailleurs qu’un accès limité aux soins médicaux, aux avocats et aux interprètes. Le rapporteur spécial de l’ONU a enfin relevé “de nombreuses allégations cohérentes” concernant des passages à tabac par des policiers, même s’il manquait “de preuves médico-légales” pour les corroborer.

Les autorités grecques sont submergées par les centaines de migrants qui entrent tous les jours dans le pays via la Turquie. Depuis le début de l'année 2010, 90 % des interpellations de migrants en situation irrégulière dans l'Union européenne ont été effectuées en Grèce. Quelque 52 000 dossiers de demandes d’asile sont actuellement en attente d’examen dans loe pays. Dimanche soir, suite à l'appel de Manfred Nowak à "une action européenne commune", Cecilia Malmstrom, commissaire aux Affaires intérieures européennes, s’est engagée à ce que l’UE aide la Grèce face à ce problème croissant.

Massoud Faramarzi Khosravi, 51 ans, demande l’asile en Grèce depuis quatre ans et demi. Il est un des grévistes de la faim:
Nous avons décidé de faire cette grève de la faim – et même de nous coudre les lèvres pour certains – parce que notre situation ici, en Grèce, est absolument insupportable et que, jusqu’à présent, l’ensemble de nos démarches sont restées sans effet. La seule réponse que nous avons eu du gouvernement, nous l’avons eu par les médias. Ils disent que nous bluffons, que nous faisons cela pour le spectacle. Mais nous n’étions que 25 au début et nous avons été rejoints par 20 autres demandeurs d’asile depuis le début de notre grève de la faim – y compris des familles avec enfants. Seraient-ils venus si nous bluffions ?

La Grèce est comme une prison, nous sommes coincés ici. Nous sommes obligés de rester sur le territoire pendant tout le temps de l’examen de nos dossiers, alors que la procédure peut prendre des années. Un homme qui manifeste avec nous est ici depuis plus de douze ans et sa demande d’asile n’a toujours pas été traitée ! S’ils nous attrapent alors que nous tentons de partir vers un autre pays européen, nous serons immédiatement expulsés vers l’Iran. Mais nous ne pouvons pas retourner là-bas, car nos vies sont en danger. Nous avons donc fait appel aux ambassades des pays de l’UE afin qu’ils déposent, pour nous, des demandes d’asile en dehors de la Grèce.

Quand je suis arrivé il ya quatre ans à la frontière turque, j’ai été arrêté et enfermé dans un centre de détention de la ville frontalière de Feres. Je suis resté là pendant plus de trois mois, dans une cellule exiguë où s’entassaient entre 20 et 40 personnes, selon les jours. Il y avait des hommes, des femmes, parfois même des enfants. Il faisait sombre et c’était sale. Nous avons dormi à même le sol. Il n’y avait pas de couvertures pour tous. Ils nous donnaient un seul repas par jour, nous avions toujours faim et soif. Plusieurs fois, j’ai été témoin de prisonniers bastonnés par les gardiens, juste parce qu’ils avaient dit ou fait quelque chose qui ne plaisait pas. Pourtant, nous ne sommes pas des criminels ! “


réfugiée iranienne en grève de la faim à Athènes.jpg
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Re: Les frontières contre les hommes

Messagede Antigone le Dim 12 Déc 2010 18:15

Un vieil article qui est ressorti sur Tlaxcala. Mais il est toujours d'actualité. Rien n'a changé.

Die Zeit - 15 oct 2001
http://www.tlaxcala-int.org/article.asp?reference=2897
pour les germanophones: http://www.zeit.de/2001/46/200146_gibra ... print=true

La mort dans le Détroit de Gibraltar
par Michael Schwelien (traduit par Omar Khayyam)

Chaque jour des centaines d’Africains traversent ce détroit pour émigrer clandestinement vers l’Europe. Le Maroc laisse faire.

Tanger/Tarifa
Dans le patio numéro 2 du cimetière de Tarifa une corde tendue à la hâte sépare, à la gauche du visiteur, un lieu de sépulture pour les morts sans nom du reste du cimetière. Cette corde n’a d’autre rôle que d’éviter aux visiteurs de piétiner ces sépultures qui ne portent aucun signe distinctif. Un modeste signe de respect pour les morts, dont la dernière demeure ne porte ni pierre tombale ni épitaphe et auxquels personne ne vient porter de fleurs. En ce lieu où siffle sans un arrêt un vent marin, et d’où l’on a une vue imprenable sur l’Atlantique, rien n’indique que des êtres humains sont enterrés ici. À l’exception d’une planche tombée à terre qui rappelle la présence d’un mort. Seul un prénom est inscrit sur la planche, aucune date, tout juste: Mohammed.

Ceux qui sont enterrés ici ont été à un doigt de leur but final. C’est la dernière étape d’un périple de milliers de kilomètres qui se révèle fatale. La majorité d’entre eux vient du de l’Afrique du Nord-Ouest et du Maghreb. Plusieurs d’entre eux traversent le Sahara à pied: Ce sont des Africains noirs du Nigeria, du Ghana, de Sierra Leone, des pays où la guerre fait rage ou dont la situation intérieure n’évolue pas. D’autres viennent même d’Irak ou d’Afghanistan. D’une manière ou d’une autre, entassés dans des camions, des cargos rouillés ou confortablement installés dans un avion de ligne, ils réussissent à débarquer à Tanger. Cette ville pittoresque, qui fut la capitale culturelle du Maroc, s’est transformée en plaque tournante pour les migrants qui font tout pour rejoindre l’espace Schengen.

De Tanger on peut contempler, à travers le détroit de Gibraltar, la pointe sud de l’Espagne. L’Estrecho (Détroit), comme l’appellent les Espagnols, qui relie l’Atlantique a la Méditerranée, ne mesure pas plus de 15 kilomètres. Beaucoup trouvent la mort en traversant le Détroit. La mer ici est au moins aussi trompeuse que les passeurs qui promettent aux clandestins une traversée sans danger. Mais la majorité survit quand même à cet épisode de leur traversée vers l’Europe. Le détroit de Gibraltar s’est révélé l’une des brèches dans la forteresse Europe. Une brèche qu’on ne peut tout simplement pas colmater. Cela est dû surtout à la mauvaise volonté mise par le Maroc à freiner le flux de réfugiés.

On a besoin des "moros"

Récemment, la Guardia Civil espagnole a arrêté, en une seule journée 567 sinpapeles (sans-papiers) qui ont débarqué sur la côte espagnole. 64 parmi eux ont emprunté un itinéraire plus long et plus dangereux. Ils ont été attrapés sur la plage Las Salinas de Fuerteventura, l’une des îles Canaries. La majorité d’entre eux semble provenir de Sierra Leone – à l’exception des six individus louches, sûrement des Marocains, qui les ont transportés sur trois barques minuscules. Le reste des clandestins capturés a emprunté le Détroit, 448 parmi eux ont débarqué directement à Tarifa. Sur les plages de l’extrême sud de l’Espagne continentale les surfeurs en attente de vents forts peuvent, souvent, voir ce qui se passe lorsque la mer est calme. Ceux qui conduisent les embarcations déchargent leur cargaison humaine tout près du rivage, parfois à quelques mètres de la plage. Parfois 60 personnes s’entassent dans un zodiac. Elles doivent traverser les derniers mètres à la nage ou en pataugeant dans l’eau. Car les conducteurs de ces barques n’accostent jamais. Dès qu’ils atteignent la plage, tout trempés, les arrivants s’enfuient en courant.

Au cours de cette malheureuse journée, deux hommes ont été repêchés par la Guardia Civil et transportés en toute hâte par hélicoptère à l’hôpital Punta Europa d’Algésiras, le port voisin. L’un d’eux s’était trouvé mal: épuisement, déficience cardiaque, il a succombé. L’autre a dû être soigné pour de graves brûlures, causées par le carburant que déversent les cargos en traversant le détroit. Il a survécu à ses blessures.

Comme nous l’avons déjà dit, tous les clandestins ne choisissent pas le plus court chemin. Certains ne veulent pas remettre leur destin entre les mains des passeurs. Par un mercredi de brouillard, 50 Africains ont débarqué d’un bateau de pêche à Cap Gata à l’est d’Almería. Ils l’avaient volé à Melilla, l’une des deux enclaves espagnoles en Afrique du Nord, et avaient parcouru 160 kilomètres en Méditerranée. Quatre d’entre eux ont été repêchés sans vie par la Guardia.

Ce jour-là un jeune du nom d’Abdelfagour est mort à l’hôpital de Ceuta, l’autre enclave espagnole. Le jeune homme, âgé de 14 ans, était originaire de la ville marocaine de Tétouan, il avait réussi à traverser la frontière de l’enclave. Comme d’autres jeunes, il traînassait sur le port, en attendant une occasion de tenter sa chance. Cette chance s’est offerte à lui après une fiesta. Abdelfagour a dû se cacher dans un camion qui ramenait des cabines de spectacle vers Algésiras. Il a été trouvé à demi-mort sur la plage de Chorillo sur la face sud de Ceuta. Quelqu’un l’a transporté à l’hôpital où il a lutté contre la mort pendant douze jours encore.

Plusieurs habitants de l’Espagne du Sud appellent l’Estrecho la plus "grande fosse commune de l’Europe". Le détroit de Gibraltar est l’une des routes maritimes les plus fréquentées au monde. Du haut des ponts des supertankers et des porte-conteneurs les zodiacs sont totalement invisibles. En quelques minutes, la mer peut passer d’un calme plat à des vagues de quatre ou cinq mètres de hauteur. Les moteurs des zodiacs peuvent tomber en panne, quelques-uns sont si vieux que le caoutchouc qui les revêt est devenu poreux. La mort prend son temps dans le Détroit. Au début c’est la soif, puis c’est l’insolation. Certains se noient, car ils tombent à l’eau après avoir perdu conscience.

Combien de personnes périssent, combien atteignent leur but ? La Guardia Civil connaît seulement le nombre des clandestins morts ou arrêtés. L’Association des travailleurs immigrés marocains d’Espagne pense qu’il y a beaucoup plus d’un millier de morts par an, un chiffre qui dépasse tous ceux des autres frontières de l’Europe. Mais ce ne sont que des estimations. Peut-être l’enquête du ministère espagnol des Affaires sociales et du Travail est-elle plus instructive, dans la mesure où elle reconnaît que tous les fermiers espagnols emploient des immigrés illégaux. L’Espagne a besoin de moros (Maures), dont les aïeuls ont importé en Europe leur culture et l’arithmétique. Ils sont aujourd’hui employés à cultiver les tomates.

Papa Isidoro est l’un de ceux qui aident les immigrants illégaux. Dans la rue d’Algésiras qui mène au port, ce Franciscain de l’Ordre de la Croix Blanche dirige, dans une demeure impeccable, un centre de conseil disposant d’une ambulance. Isidoro connaît mieux que personne les migrants et leurs problèmes. "Une fois qu’ils sont en Espagne", dit-il en souriant, "il y a presque toujours une solution pour leurs problèmes." Mais à condition qu’ils tombent sur lui. Isidoro se rend aux guichets de la Western Union pour encaisser les mandats des „sans-papiers“ de façon à ce qu’ils n’aient pas à donner leurs vrais noms. Tous ceux qui frappent à la porte de sa maison au numéro 7 du Paseo de la Conferencia auront droit à un examen médical et à des vêtements secs. Plusieurs ne possèdent rien d’autre que les pantalons mouillés, la chemise et le blouson qu’ils portent. Lorsqu’il dit que les problèmes sont résolus dès que les migrants sont en Espagne, il veut dire qu’ils ont déjà franchi la frontière Schengen. Ensuite, il est facile de trouver un travail, d’entrer en clandestinité ou d’aller plus loin en Europe. "Tous ceux qui arrivent ici ont un point d’accueil - en Espagne, en Italie, en Allemagne …" Isidoro le sait par expérience.

En vertu des accords Schengen, l’Espagne s’est engagée à simplifier la procédure d’expulsion des immigrés illégaux. Les Marocains peuvent être refoulés immédiatement. Même avec le Nigeria, on a initié un „projet pilote“ pour le rapatriement des illégaux. Mais les cas d’expulsion d’Africains noirs sont très rares. Les autorités espagnoles trouvent des difficultés à entretenir des rapports sereins avec le Maroc. Le conflit ouvert à propos des droits de pêche envenime leurs relations. Malgré toutes ses déclarations, le voisin nord-africain ne se gêne pas pour résoudre ses problèmes de croissance démographique et de chômage sur le dos de la prospère Europe. Á la fin de l’été le ministre des Affaires étrangères espagnol Josep Piqué a convoqué l’ambassadeur marocain à Madrid. Ce dernier s’est contenté d’envoyer son adjoint, qui s’est présenté avec 25 minutes de retard.

Le jour suivant, le ministère des Affaires étrangères marocain a publié un communiqué affirmant que l’Espagne "tend à simplifier un problème complexe". Selon ce même communiqué, le Maroc a interné depuis janvier 2000 quelques 35 000 personnes qui tentaient d’émigrer vers l’Europe. 20 000 de leurs propres citoyens ont été retenus à la frontière du royaume, 15 000 Africains et Asiatiques ont été expulsés du pays.

La traversée de Tarifa vers à Tanger dure seulement 35 minutes par jet-ferry rapide. Il y a à la Casbah des petits hôtels qui arborent des enseignes très significatives: Malaga, Hollande, Paris. Des Africains noirs se tiennent devant ces hôtels, d’autres flemmassent dans leurs chambres minuscules. Cafés et stations-services fourmillent de Noirs, qui espèrent trouver des routiers internationaux qui les emmènent ou cherchent des camions où se cacher. Dans un Magasin de Tanger on vend des zodiacs et plein de cordes. Pourquoi tant de cordes? "Pour qu’ils ne se jettent pas par-dessus bord, ils sont tellement nerveux", dit un certain Ahmed.
La police secrète ferme les yeux

Le différend entre l’Espagne et le Maroc s’est aggravé durant cet automne. Le roi du Maroc a accordé au quotidien Le Figaro une de ses rares interviews. Mohammed VI a pointé du doigt "les bandes mafieuses espagnoles”. Selon lui, elles sont plus riches que celle du Maroc. Des bateaux, plus rapides que ceux de sa propre marine, seraient vendus en Espagne, pas au Maroc. Il minimise le rôle de sa propre police. Quand un taxi veut faire le trajet Casablanca-Tanger, le chauffeur doit avoir une autorisation pour effectuer ce voyage. Chaque mouvement d’étrangers est noté. Les indics de la Sûreté (police secrète) ont des yeux partout. En échange de quelques dirhams, ils les ferment volontiers. Il n’échappe à aucun policier de Tanger qu’à la plage, au sud de la ville, le café Schengen ne manque jamais de clients. Le garçon du café dit, un peu hésitant: "Lorsqu’on travaille ici depuis un certain temps, on croirait qu’on n’a pas vraiment besoin de visa pour aller en Europe."

Mais l’Espagne ne contrôle pas totalement la situation, même sur son territoire souverain. On peut faire le trajet Tanger-Ceuta en une heure par taxi, en passant par la ville royale de Tétouan. L’enclave espagnole en Afrique du Nord est clôturée sur tout le perímetro, la frontière semi-circulaire qui la sépare du Maroc. C’est une double palissade de quatre mètres de hauteur, couronnée par des barbelés. Entre les deux palissades il y a une piste en béton, suffisamment large pour les véhicules de patrouille de la Guardia Civil. Des projecteurs et des vidéocaméras sont fixées à des poteaux très hauts. "Les clandestinos découpent un passage dans la clôture en deux minutes", déclare un porte-parole de la Guardia Civil, "Nous ne pouvons être aussi rapides à intervenir."

Tout le monde ici a "perdu" ses papiers. Ils prétendent tous venir de pays avec lesquels il n’existe pas d’accords de réadmission. Ceux qui acceptent de se laisser enregistrer sont bien traités et ont le droit de rester trois mois au centre d’internement. "Ensuite on émet un Expediente de Expulsión (arrêt d’expulsion) à leur encontre", explique Roberto Franca à l’Administration centrale de Ceuta, "cela signifie qu’ils doivent quitter le pays dans un délai de 40 jours." Les illégaux n’attendent que ça. Leur notification d’expulsion en poche, ils ont tout le temps de disparaître et de poursuivre leur voyage en Europe jusqu’à la destination qu’ils ont choisie.
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Re: Les frontières contre les hommes

Messagede Antigone le Dim 23 Jan 2011 09:27

Le Monde, rapporté par PreussEurop - 18 jan 2011
http://www.presseurop.eu/fr/content/art ... t-l-europe

Ces réfugiés qui hantent l’Europe
par Catherine Simon

Karina et Rouslan ont fui la Tchétchénie pour la France, avant d'être expulsés vers la Pologne, leur porte d'entrée en Europe, dont ils ne peuvent sortir. Un itinéraire absurde parmi tant d’autres, dicté par le règlement Dublin II sur le droit d’asile.

Elle se rappelle le marché de Tours sous le soleil d'août 2008. "C'était si joli, si propre." Un rire lui échappe. Elle se rappelle le parc, où ils se sont promenés avec leurs amis, des Tchétchènes comme eux, arrivés en France via la Pologne, quelques années plus tôt. A l'époque, elle était enceinte. Ils se croyaient hors de danger. Las ! Leur bonheur n'a pas duré longtemps, avant que leur vie ne bascule à nouveau. Pas en enfer, non. Dans l'errance ordinaire des rejetés du droit d'asile.

En quelques jours, Karina, 25 ans, et Rouslan, 27 ans, ont rejoint l'armée invisible des zombies de l'Europe. Par leur faute ou presque. Ne sont-ils pas allés d'eux-mêmes à la préfecture de Tours se faire enregistrer – y retournant, quelques jours plus tard, invités à venir "chercher des papiers" ?

La suite, ils s'en souviennent comme si c'était hier: les policiers en civil qui surgissent près du guichet, la nuit au commissariat, les voitures de police où on les fait monter, au matin, menottés, l'aéroport de Roissy, la fin du rêve. Karina ne sourit plus. Varsovie est à une bonne demi-heure d'ici, en voiture. La France, à des années-lumière.

Ce sont les policiers de Tours qui leur ont révélé la cause et le nom de leur malheur: Dublin. La ville irlandaise a donné son nom, en 2003, au règlement dit "Dublin II", qui s'applique à tous les pays de l'Union européenne — dont la Pologne est membre depuis 2004.

"On croyait que le plus dur était de passer la frontière"
Selon ce règlement, le pays d'entrée, c'est-à-dire le premier pays de l'UE où un étranger demandeur d'asile pose le pied (et ses empreintes), est celui où sa demande doit être instruite. Si le demandeur d'asile ne se trouve pas dans l'Etat désigné comme responsable de l'examen de son dossier, il doit y être transféré. "On croyait que le plus dur, c'était de passer la frontière et d'arriver en France. On n'avait rien compris !", sourit tristement Rouslan.

La maison basse, bordée d'un pré, où le couple et leur enfant ont fini par atterrir, est située en pleine campagne, à l'ouest de Varsovie. Ils y louent à prix d'or une chambre minuscule. Deux autres familles tchétchènes habitent la maison. Les "Dublinés", comme on dit dans le milieu associatif, sont plusieurs milliers en Pologne.

Pour avoir tenté de s'installer ailleurs, en Europe de l'Ouest, et s'y être fait pincer, voilà les Dublinés " renvoyés à la case départ. Avec une seule idée : repartir. Car la Pologne, entrée dans l'espace Schengen en 2007, "demeure un pays de transit" pour les migrants, notent Krystyna Iglicka (Centre de relations internationales de Varsovie) et Magdalena Ziolek-Skrzypczak (université Ludwig-Maximilian de Munich), dans une étude sur les migrations en Pologne, mise en ligne, en septembre, par le Migration Policy Institute (MPI).

L'adhésion à Schengen est un "jeu de dupes", qui a surtout servi à un "redéploiement des dispositifs répressifs", estime, de son côté, la chercheuse polonaise Paulina Nikiel, dans le rapport du réseau Migreurop, "aux frontières de l'Europe", mis en ligne début novembre. Les verrous, posés à ses frontières, font de la Pologne un "Etat tampon", appelé à devenir, ajoute Mme Nikiel, un "pays de destination" – à l'instar du Maroc, où sont bloqués de nombreux candidats à l'émigration.

Le régime carcéral des centres de rétention
La Pologne est un pays "pauvre, plus démuni que la France, la Belgique ou l'Allemagne , remarque Anna Kuhn, présidente du comité Pologne-Tchétchénie. Bien que les conditions d'accueil des étrangers, en particulier des réfugiés, se soient sensiblement améliorées, au cours des cinq dernières années, leur sort n'a rien d'idyllique.

Dans les centres de rétention, un régime quasi carcéral est imposé : "La liberté de se déplacer est durement entravée et réduite à des séjours aux toilettes et à une heure de promenade par jour", note Paulina Nikiel. La majorité des pensionnaires de ces centres fermés, parmi lesquels des "familles entières, mineurs compris", sont généralement des sans-papiers ou des demandeurs d'asile, coupables d'avoir traversé ou essayé de passer la frontière irrégulièrement. A l'issue de leur séjour, de plusieurs mois jusqu'à un maximum d'un an, tout ce petit monde se retrouve à la rue.

Sur quelque 10 500 demandeurs d'asile enregistrés en 2009, rares sont les "élus". "De 1992 à 2009, seuls 3 113 demandeurs d'asile ont obtenu le statut de réfugié", soit 3,5 % du total des demandeurs, indiquent Mmes Iglicka et Ziolek-Skrzypczak dans leur étude. Moins de 4 % ! Parmi ces miraculés, quelques Tchétchènes, mais aussi des ressortissants de Bosnie-Herzégovine, de Somalie, de Biélorussie, d'Afghanistan, du Sri Lanka et d'Irak.

La France et l'Autriche: premiers pays à renvoyer les Tchétchènes
Quant aux Géorgiens, dont plus de 4 000 ont demandé l'asile à la Pologne en 2009, aucun ne l'a obtenu. Rien d'étonnant, dans ces conditions, à ce que beaucoup de migrants préfèrent tenter leur chance plus à l'ouest. Grossissant ainsi, pour les plus malchanceux, les rangs des "Dublinés".

"La France et l'Autriche ont été les premiers pays à renvoyer massivement les Tchétchènes en Pologne", assure Issa Adayev, qui vient d'ouvrir, à Varsovie, au sein de la fondation Other Space, un centre d'accueil pour réfugiés. Selon ce militant tchétchène, les cas de "déportation" de Tchétchènes vers Moscou ne sont désormais "pas rares". Plusieurs de ces "déportés" auraient "disparu", ajoute Issa Adayev.

Varsovie, pas plus que les autres capitales de l'UE, Paris, Vienne ou Berlin, ne souhaite se mettre à dos le régime de Vladimir Poutine. Le temps est loin où, comme l'a rapporté l'association Forum Réfugiés, le ministre français de l'immigration, Brice Hortefeux, indiquait aux préfets qu'"une réadmission vers la Pologne au titre du règlement de Dublin n'était pas souhaitable", compte tenu de la situation en Tchétchénie et des risques, précisément, de renvoi en Russie, via la Biélorussie ou l'Ukraine. C'était en juillet 2007. Un an avant que Rouslan et Karina ne prennent la route. Et que le gouvernement français ne fasse volte-face.
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Re: Les frontières contre les hommes

Messagede de passage le Sam 13 Aoû 2016 18:13

Samia Yusuf Omar, tragique héroïne des temps modernes
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En publiant aux éditions "La Boîte à bulles" sa bande dessinée « Rêve d’Olympe » qui rend hommage à Samia Yusuf Omar, le dessinateur Reinhard Kleist entend « contribuer à maintenir notre conscience éveillée ».

Samia Yusuf Omar est cette jeune sprinteuse somalienne qui lors des Jeux olympiques de Pékin, en 2008, défilait fièrement sous les couleurs de son
pays pendant la cérémonie d’ouverture.

C’’est elle aussi qui, loin des premières, finissait dernière de sa série du 200 mètres, mais remportait la plus belle des victoires, celle d’un stade qui l’ovationnait pour son courage exemplaire et sa ténacité.

Cependant le retour fut rude pour Samia dans un pays gangrené par le fanatisme des islamistes shebabs. Il fallait s’entraîner la nuit ou à l’abri des regards car les milices religieuses considéraient que la femme « pudique » doit se cacher sous une prison de toile.

Elle a risqué sa vie pour sa passion.

La suite ici http://www.mrap-landes.org/spip.php?article844
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