Arrêtée le 24 mai 1871 à Paris, elle est condamnée à la déportation par un tribunal versaillais pour sa participation active à la Commune. Après vingt mois de détention à l’abbaye d’Auberive transformée en prison, elle est transférée, avec nombre de communards, en Nouvelle-Calédonie. Le voyage à bord du « Virginie » durera quatre mois. C’est durant ce voyage que Louise Michel, qui jusque-là avait œuvré avec tous les groupes républicains ou révolutionnaires, devint clairement anarchiste. Elle l’explique dans un passage magnifique de ses Mémoires, que les adorateurs du bulletin de vote devraient lire, relire et méditer…

« Durant quatre mois, nous ne vîmes rien que le ciel et l’eau, avec parfois, à l’horizon, la voile blanche d’un navire pareille à une aile d’oiseau. Cette impression de l’étendue était saisissante.
Là, nous avions tout le temps de penser.
Eh bien, à force de comparer les choses, les événements, les hommes, ayant vu à l’œuvre nos amis de la Commune si honnêtes qu’en craignant d’être terribles ils ne furent énergiques que pour jeter leur vie, j’en vins rapidement à être convaincue que les honnêtes gens au pouvoir y seront aussi incapables que les malhonnêtes seront nuisibles, et qu’il est impossible que jamais la liberté s’allie avec un pouvoir quelconque.
Je sentis qu’une révolution prenant un gouvernement quelconque n’était qu’un trompe-l’œil ne pouvant que marquer le pas, et non ouvrir toutes les portes au progrès ; que les institutions du passé, qui semblaient disparaître, restaient en changeant de nom, que tout est rivé à des chaînes dans le vieux monde et qu’il est ainsi un bloc destiné à disparaître tout entier pour faire place au monde nouveau heureux et libre sous le ciel.
Je vis que les lois d’attraction qui emportent sans fin les sphères sans nombre vers des soleils nouveaux entre les deux éternités du passé et de l’avenir devaient aussi présider aux destins des êtres dans le progrès éternel qui les attire vers un idéal vrai, grandissant toujours. Je suis donc anarchiste parce que l’anarchie seule fera le bonheur de l’humanité, et parce que l’idée la plus haute qui puisse être saisie par l’intelligence humaine est l’anarchie, en attendant qu’un summum soit à l’horizon.
Car, à mesure que passeront les âges, des progrès encore inconnus se succéderont. N’est-il pas à la connaissance de tous que ce qui semble utopie à une ou deux générations se réalise à la troisième ?
L’anarchie seule peut rendre l’homme conscient, puisqu’elle seule le fera libre ; elle sera donc la séparation complète entre les troupeaux d’esclaves et l’humanité. Pour tout homme arrivant au pouvoir, l’Etat c’est lui, il le considère comme le chien regarde l’os qu’il ronge, et c’est pour lui qu’il le défend.

Si le pouvoir rend féroce, égoïste et cruel, la servitude dégrade ; l’anarchie sera donc la fin des horribles misères dans lesquelles a toujours gémi la race humaine ; elle seule ne sera pas un recommencement de souffrances et, de plus en plus, elle attire les cœurs trempés pour le combat de justice et de vérité.
L’humanité veut vivre et s’attachera à l’anarchie dans la lutte du désespoir qu’elle engagera pour sortir de l’abîme, c’est l’âpre montée du rocher ; toute autre idée ressemble aux pierres croulantes et aux touffes d’herbe qu’on arrache en retombant plus profondément, et il faut combattre non seulement avec courage, mais avec logique, et il est temps que l’idéal réel plus grand et plus beau que toutes les fictions qui l’ont précédé se montre assez largement pour que les masses déshéritées n’arrosent plus de leur sang des chimères décevantes.
Voilà pourquoi je suis anarchiste. »
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