Petites histoires des grandes grêves du passé

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Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone le Mar 8 Sep 2009 17:00

D'ici la fin de l'année, je vais transformer ce topic en bibliothèque.
Je vais mettre en ligne un certain nombre de textes qui font le récit de grandes grêves qui en leur temps ont marqué les esprits quoiqu'elles soient moins connues que celles de 1936 et 1968.
Avec le temps, ces textes sont devenus des raretés. Ils ont été publiés dans des brochures ou des revues qui ne sont plus disponibles (seule celle de LO a été rééditée il y a... longtemps).

Leur intérêt est qu'ils ont été écrits par des ouvriers révolutionnaires qui ont participé à ces conflits. Ils racontent comment se sont créés les comités de grêve et leur combat contre les manoeuvres, les trahisons, les oppositions des bureaucraties syndicales.
Mis bout à bout, ils montrent comment les expériences servent aux mobilisations qui suivent, racontent la genèse souterraine de 68 dans le monde ouvrier, annoncent aussi les ruptures minoritaires des années 70-80.

- extraits de Grêve Renault d'avril-mai 1947 par Pierre Bois (alias "Vic"), de Union Communiste puis Lutte Ouvrière.
- Sur les grèves de 1953: La grêve des postiers par Daniel Faber, La grêve des cheminots par Georges Petit (alias "Georges Petro"), La grêve chez Renault par Jacques Gautrat (alias "Daniel Mothé"), dans Socialisme ou Barbarie n°13.
- Les grêves de l'été 1955 à Nantes et St-Nazaire par Jacques Simon, dans Socialisme ou Barbarie n°18.
- Juillet 1957 - Grêve des Banques par Henri Simon (alias "Jacques Berthier"), dans Socialisme ou Barbarie n°23.
- Grêve du printemps 1982 à la Société Générale par Gérard Ribou (alias "Hème"), de PIC/L'insécurité Sociale.
S'il me reste encore un peu d'énergie, je joindrai quelques lettres de démission des syndicats datées de l'après 68 et des années 70.

Il faut juste me laisser le temps de reproduire tout ça...

J'invite les membres de ce forum qui auraient des textes provenant de vieilles brochures à moitié déchirées et relatant d'autres grandes mobilisations ouvrières à les poster.
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone le Dim 4 Oct 2009 14:08

PETIT PREAMBULE

C'est en avril 1947 qu'éclatait aux usines Renault une grève qui, comme l'écrit Pierre Bois ("Vic"), fut “Ia première grande manifestation du prolétariat industriel de l'après-guerre“.
Cette grêve était une renaissance. Interdite pendant les années de guerre et d'occupation, dénoncée par Maurice Thorez comme "l'arme des trusts", la grève reprenait place parmi les modes d'action de la classe ouvrière.
Celle de Renault va avoir un profond retentissement. Au point de vue politique, elle provoquera la fin de la collaboration des ministres PCF au gouvernement mise en oeuvre à partir de septembre 1944 par De Gaulle à la tête du Gouvernement provisoire.

Dès la fin de ce conflit et durant plusieurs mois, une flambée de grêves s'étendra dans tout le pays, paralysant la sidérurgie, la SNCF, les Houillères. Cette fois, le PCF n'étant plus aux affaires, la direction de la CGT ne s'y opposera pas et jouera un rôle de canalisateur pour empêcher la généralisation des conflits. Toutefois cela ne suffira pas. Malgré que le droit de grêve ait été reconnu par la Constitution de la IVe République, le gouvernement décrétera l'état de siège en Lorraine, ce qui donnera lieu à des batailles rangées entre CRS et mineurs et à une répression sanglante. 60 ans après, des familles de mineurs emprisonnés demandent encore réparation à l'Etat...

Plus globalement, la grêve Renault sera le point de départ d'une série de mouvements qui, pendant une décennie, toucheront les principaux secteurs de la vie économique française, transformeront chaque fois un peu plus les capacités de luttte de la classe ouvrière et trouveront leur débouché dans le séisme social de mai 68.

Dans Nekrassov, une pièce de théâtre montée dans les années 50, Jean-Paul Sartre faisait dire à un de ses personnages "il ne faut pas désespérer Billancourt". En 1968, la réplique était tellement entrée dans le langage public que même Pompidou se plaisait à la reprendre.
Cela illustre l'importance de Renault (entreprise nationale) dans la société française d'alors. Car Renault, c'était le poumon de la classe ouvrière, et ça l'est resté jusqu'à la crise, jusqu'au milieu des années 70.
Les plus anciens se souviennent sûrement des apparitions televisuelles devant une kyrielle de microS d'un petit bonhomme, toujours vêtu d'un bleu de travai sans tâche. Roger Sylvain, le secrétaire de la section CGT de Billancourt était aussi connu que Georges Séguy (le secrétaire général) et presque autant considéré et écouté par le pouvoir gaulliste.

La grêve Renault de 1947 est ce que j'appelle aujourd'hui une grêve "à l'ancienne", c'est-à-dire le genre de grêve qui revêtait un aspect conspirationniste, qui se déclenchait en appuyant sur un bouton et se dirigeait en montant sur une table, en ayant de la gueule, parce qu'on cherchait de cette manière à concurrencer les staliniens dans la direction de la lutte et à les battre en brêche sur leur type même d'intervention.

La plaquette qui lui est consacrée a été publiée par LUtte Ouvrière en 1972, mais cette grêve avait déjà été relatée du temps de Voix Ouvrière, consituant dans les années 56-68 à la fois l'acte fondateur et un élément essentiel de formation des cadres de l'organisation trotskyste.
Lorsque j'étais militant à LO, la référence à la grêve de 1947 était incontournable, quasi-mythique, et le texte de Vic une sorte de guide indispensable à tout militant ouvrier révolutionnaire.

Elle a tellement influencé ma formation que même le groupe anti-syndicaliste "autonome" dont j'ai été à l'initiative dans mon entreprise en 1977-78 s'en inspirait (!) avec un journal, copie presque conforme, tant dans la forme que sur les objectifs, de La Voix des Travailleurs de chez Renault...
Plus tard, lorsque je suis dévenu conseilliste, j'ai proposé cette plaquette à l'étude pour qu'on en ressorte des éléments de ce qu'il vaut mieux ne pas faire, ce qui ést devenu inconcevable voire ridicule avec la mutation culturelle et le changement des comportements constatés dans la classe ouvrière depuis tout ce temps, mais également pour qu'on relève ce qui, depuis, caractérise l'intervention des militants de LO, toujours aussi influents dans les conflits sociaux. Parce que bien connaitre un adversaire, c'est un bon atout pour le combattre.

Cette plaquette a fait récemment l'objet d'une réédition. Celle-ci ne s'explique pas seulement par l'épuisement de l'édition précédente, mais par la nécessité de réalimenter la formation militante d'entreprise à un moment charnière et générationnel de cette organisation.
Je n'ai pas trouvé utile de reproduire la présentation de la situation politique à la veille de cette grêve qui en a été faite par son auteur ni même sa conclusion parce que trop insupportablement trotskystes. Je m'en suis tenu au récit. Ou comment de gentils stals parviennent à supplanter de méchants stals...


Vic (1922-2002)

J'ai bien connu Vic.
Il avait 50 balais et j'étais jeune con.

Quand je suis rentré à LO, je sortais quasiment de mon lycée technique. Les militants avec qui j'avais eu affaire pour ma formation n'avaient pas plus de 30 ans. Avec l'habitude des manifs lycéennes, ça me paraissait aller de soi qu'un révolutionnaire devait forcément être jeune. Je n'aurais pas imaginé qu'il pouvait aussi avoir l'âge de mon père...

Vic était l'archétype de l'ouvrier "qui sait ouvrir sa gueule" tel qu'on l'imagine sorti des années 50.
S'il avait fait un casting pour un film populo avec Gabin, nul doute qu'il aurait été engagé. Son éternel mégot accroché au coin des lèvres, il régnait sur l'organisation technique de la fête de LO. Et quand tout baignait, il sortait d'on ne sait où une trompette et nous régalait de quelques airs. Il était ado quand il avait fait partie d'une fanfare stalinienne dans les années 30.

Il pouvait se permettre de ne pas obéir aux consignes de l'organisation concernant les seconds tours d'élections. Il a d'ailleurs reconnu ne pas avoir voté Mitterrand en 1981. Pas sûr qu'il ait eu une attitude différente en 1965 et en 1974 ? On le considérait comme "quelqu'un d'un peu libertaire"... Mais on le respectait trop pour lui en tenir grief.

Il était devenu membre du groupe Union Communiste (trotskyste) vers de 1941-42. Puis comme tout réfractaire au S.T.O., il avait vécu la fin de la guerre dans la clandestinité.
A la Libération il a d'abord travaillé chez Citroën-Javel avant de se faire embaucher chez Renault à Billancourt en 1946 à la demande de David Korner (alias "Barta", le dirigeant historique). Il faut dire que Renault était un lieu prioritaire d'investissement militant. A la Libération, on y retrouvait toutes les tendances révolutionnaires hostiles au PCF (anarchistes, bordiguistes, trotskystes).

Après cette grêve, Vic fut en quelque sorte contraint de créer un syndicat indépendant, le Syndicat Démocratique Renault (SDR) alors que quelque mois plus tôt il rejetait toute idée de "syndicat rouge". Le SDR se retrouva rapidement dans la même situation d'isolement que la CNT dont Vic avait pourtant dénoncé la création en 1946. La question des tâches nécessaires pour faire fonctionner un syndicat de plus en plus éloigné de la grande masse des travailleurs fut à l'origine d'une engueulade entre Vic et Barta, ce qui provoqua l'éclatement du groupe Union Communiste en 1949.
Pour simplifier grossièrement, Barta était plutôt pour privilégier la survie d'un parti même à l'état groupusculaire, en préservant son avant-garde comme cela fut réalisé pendant la guerre, tandis que Vic, pris au piège du fait accompli, préférait mettre son énergie à tenter de faire vivre un syndicat révolutionnaire.

Sur la lancée de cet engagement, Vic participa au début des années 50 avec Daniel Mothé, fraiseur, et d'autres ouvriers de Renault, proches de Socialisme ou Barbarie, à la publication de bulletins et journaux d'entreprise, Le Tavailleur émancipé puis Tribune Ouvrière. Pour la petite histoire, c'est en hommage à ce journal que l'ex-T2 de la LCR (tendance conseilliste) que je rejoignis, prit le nom de Tribune en 1979.

On ne sait pas grand chose des relations de Vic avec Socialisme ou Barbarie, à part qu'il ne pouvait pas piffer Castoriadis. Une sorte de trou noir dans sa biographie. D'ailleurs, LO a toujours été très discrète au sujet de cette période 1950-55 pendant laquelle s'affrontaient franckistes et lambertistes pour la direction de la IVe Internationale.
Toujours est-il qu'en 1956, Vic referma le chapitre conseilliste. Il se réconcilia avec Barta, on ne sait comment (?), et avec quelques autres, dont le sulfureux Robert Barcia (alias "Hardy"), ils créèrent Voix Ouvrière (troskyste), l'ancêtre de Lutte Ouvrière.

S'il n'y avait eu à LO que des mecs comme lui, peut-être que je serais resté plus longtemps et peut-être même resté tout court (difficile de dire). Mais l'influence grandissante de la petite bourgeoisie salariée (profs pour beaucoup) après 68 a profondément modifié l'identite ouvrièriste intransigeante de l'organisation pour imposer en quelques années Arlette en produit de marketing et le discours parlementariste qui va avec.

Après avoir quitté LO, je n'ai plus jamais revu Vic, mais plusieurs fois, j'ai repensé à lui. en mesurant la distance de plus en plus importante qui m'en séparait désormais.
Dernière édition par Antigone le Dim 11 Oct 2009 00:26, édité 1 fois.
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone le Dim 4 Oct 2009 14:38



LA GREVE RENAULT D' AVRIL - MAI 1947 (extraits)
par Pierre Bois (alias "Vic")

.../...
Fin 1946, la CGT, devant le mécontentement grandissant des ouvriers et son impuissance à obtenir quelques revendications pour compenser quelque peu la hausse des prix, essaie de trouver un biais pour réclamer des augmentations de salaires. Elle lance l'idée d'une "prime progressive de production" (PPP).

Au début de l'année 1947, elle annonce un "premier succès". Elle a obtenu une prime progressive de production de 2 francs de l'heure au coefficient 100 avec effet rétroactif en 1946.
Cette prime, loin de satisfaire les travailleurs, les révolte.

Dans le secteur Collas (Départements 6 et 18) à l'initiative d'un militant de la tendance trotskyste Lutte de Classe (Union Communiste) s'est constitué un petit groupe révolutionnaire.
Les ouvriers qui composent ce groupe ne se réclament pas tous du trotskysme. Ce sont des ouvriers qui veulent lutter pour que ça change. Ils sont contre le capitalisme, mais ils ne se disent pas communistes, au contraire, car pour eux le communisme, c'est le PCF qui leur fait retrousser les manches et dont les militants responsables se conduisent en gardes-chiourmes.

L'ACTION SE PREPARE

Ils déclenchent une campagne d'agitation contre la prime progressive de production (PPP qui étant hiérarchisée, accorde davantage aux improductifs qu'aux productifs). Au Département 6 qui comprend 1200 travailleurs, ils lancent une pétition qui recueille 850 signatures, malgré l'hostilité et l'obstruction des dirigeants du syndicat CGT.
Le 15 février 1947, ils publient le premier numéro d'un bulletin intitulé La Voix des Travailleurs de chez Renault.

Ce même 15 février, la section syndicale organise une réunion pour désigner les représentants à une "conférence de production". De la prime et de sa répartition, il n'en est pas question.
Les ouvriers qui sont à l'origine de la pétition invitent les travailleurs à se rendre à la réunion.
Voici le texte de leur convocation:

Camarades des Départements 6 et 18,
Notre section syndicale convoque une réunion pour désigner les délégués à une conférence de production. Mais elle ne nous donne aucune réponse à notre pétition au sujet de la prime.
Nous savons que les représentants syndicaux veulent étouffer notre protestation. Craignant d'avoir à s'expliquer sur la prime devant tout le monde, ils veulent refuser l'entrée de la réunion aux non-syndiqués.
Il ne faut pas nous laisser étouffer par leurs procédés bureaucratiques.
Tous ce soir à la cantine, syndiqués et non-syndiqués, pour imposer l'égalité de la prime.
Des ouvriers du secteur.


Alors que d'ordinaire, les réunions syndicales sont désertées, ce jour-là, c'est plus d'une centaine de travailleurs qui viennent y assister.
Les dirigeants de la CGT ont prévu le coup et ont mis à la porte des militants qui interdisent l'entrée non seulement aux non-syndiqués mais également aux syndiqués qui ne sont pas à jour de leurs cotisations.

Il faut dire qu'à l'époque presque tous les ouvriers étaient "syndiqués" puisque cela était quasiment imposé par l'appareil syndical. Les timbres et les journaux étaient vendus ouvertement dans les ateliers et ceux qui les refusaient étaient vite repérés. Néanmoins depuis quelque temps, certains travailleurs faisaient la grêve du timbre.

Les ouvriers qui étaient à l'origine de la pétition font alors observer que le fait de ne pas être à jour de ses cotisations, surtout pour une période inférieure à trois mois, ne pouvait pas être considéré comme une démission. Et comme ils sont, de loin, les plus nombreux, ils poussent un peu et rentrent dans la cantine qui sert de lieu de réunion.

Après le rapport du délégué sur la fameuse "conférence de production", plusieurs ouvriers interviennent pour s'opposer à la prime de production.
C'est alors que le secrétaire général du syndicat se lève furieux: "Il apparait qu'on veut empêcher la CGT de parler (la CGT, c'est lui, pas les syndiqués) . Il apparait qu'ici on veut faire de la démagogie..."
A ce mot de démagogie, un ouvrier se lève en disant: "On a compris, la séance est levée." Et il sort, suivi de l'assistance, à l'exception de 13 fidèles de l'appareil syndical !

A la suite de cet incident, comme l'a si bien dit notre camarade, on a compris. On a compris que si nous voulions faire quelque chose, il faudrait le faire sans les syndicats et même contre eux.

Les camarades regroupés autour de La Voix des Travailleurs de chez Renault poursuivent leur activité. Ils sortent leur bulletin tous les quinze jours et font des réunions qui regroupent 10, 12, 15 personnes. Leur audience s'accroit. Bientôt des réunions ont lieu avec des membres du MFA (Mouvement Français de l'Abondance), mouvement économiste regroupant surtout de la petite maitrise; avec des anarchistes, des syndicalistes de la CNT, des bordiguistes et des trotskystes du PCI.

Ces assemblées réunissent 50 à 60 personnes mais dans une assez grande confusion, chacun voulant faire prévaloir son point de vue.
- Le MFA critiquent les hausses de salaires qui ne mènent à rien. Mais devant les hausses des prix contre lesquelles ils ne peuvent rien, ils acceptent de rallier la proposition d'une hausse de salaires.
- Le PCI (trotskyste) veut à toute fin baptiser ces réunions "Comité de lutte" pour les plier à une discipline commune tant pour les objectifs que pour l'organisation de l'action.
- Les anarchistes de la CNT discutent sur "l'instinct grégaire des masses". Ils n'ont pas de but. "Ce qu'il faut, c'est la grêve, on verra bien après."
- Quant aux bordiguistes, ils sont divisés en deux tendances. Pour les uns ce qui compte surtout, c'est la "théorie" qu'il faut approfondir en attendant que les ouvriers soient d'eux-mêmes prêts à engager une lutte (sous leur direction évidemment). Les autres sont pour l'action immédiate afin de renverser le pouvoir bourgeois et de le remplacer par un pouvoir ouvrier mais sans la dictature (?) d'un parti. Climat assez peu favorable pour engager une action positive.

Les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault rétorquent aux camarades du PCI qu'on ne peut pas s'intituler "Comité de lutte" ni agir en tant que tel.
"Nous sommes des camarades de tendances différentes - disent-ils en substance - avec une formation différente, donc avec des idées et des positions différentes. Se mettre d'accord entre nous est une utopie. Ce qu'il faut c'est travailler à organiser les travailleurs. C'est notre droit de chercher à les influencer selon nos convictions, mais c'est notre devoir de se soumettre à leurs décisions collectives.
Les "Comités", ce sont les organes de lutte de la classe ouvrière où les ouvriers élisent les représentants révocables à tout instant pour appliquer les décisions prises à la majorité des travailleurs.
Nous devons aider les travailleurs à constituer leurs comités et non nous désigner nous-mêmes comme "Comité de lutte".


Les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault proposent donc de cesser les discussions qui ne peuvent qu'être stériles en l'absence du contrôle de la grande masse des travailleurs. Ils proposent que l'on se mette d'accord sur deux objectifs:
1/ face à l'augmentation des prix, de la politique du gouvernement et de la complicité des organisations qui se réclament de la classe ouvrière, proposer aux travailleurs de revendiquer une augmentation de salaires de 10 francs sur le taux de base;
2/ considérant que seule la grêve est capable de faire aboutir une telle revendication, faire de l'agitation pour la grêve.

De fait, seuls les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault font de l'agitation dans ce sens dans leur bulletin. La CNT, elle, publie des papillons où est inscrit en caractères de plus en plus gros le mot "GREVE" sans autre explication.
Cette agitation se développe dans un climat d'autant plus favorable que depuis quelques jours, en face de la poussée des prix, des réactions spontanées, mais toujours contenues et entravées par l'appareil stalinien de la CGT, se produisent dans différents secteurs de l'usine.

Voici à ce propos, ce qu'écrivait P.Bois, dans un article paru dans La Révolution Prolétarienne et intitulé "La montée de la grêve":

Depuis quelques semaines dans l'usine, se manifestaient divers mouvements qui avaient tous pour origine une revendication de salaire. Tandis que la production a augmenté de 150% en un an (66,5 véhicules en décembre 45 et 166 en novembre 46) notre salaire a été augmenté seulement de 22,5% tandis que l'indice officiel des prix a augmenté de 60 à 80%.

Dans l'Ile, c'est pour une question de boni que les gars ont débrayé; à l'Entretine, c'est pour réclamer un salaire basé sur le rendement. Au Modelage-Fonderie, les ouvriers ont fait une semaine de grêve. Ils n'ont malheureusement rien fait pour faire connaitre leur mouvement parce qu'ils pensaient que "tout seuls, ils avaient plus de chance d'aboutir". Au bout d'une semaine de grêve, ils ont obtenu une augmentation de 4 francs sauf pour les P1.

A l'Artillerie aussi, il y a eu grêve. Ce sont les tourneurs qui ont débrayé les premiers, le jeudi 27 fevrier, à la suite d'une descente des chronos. Les autres ouvriers du secteur se sont solidarisés avec le mouvement et une revendication générale d'augmentation de 10 francs de l'heure ainsi que le réglage à 100% ont été mis en avant. Cela équivalait à la suppression du travail au rendement. Sous la pression de la CGT le travail a repris. Finalement, les ouvriers n'ont rien obtenu, si ce n'est le réajustement du taux de la prime, ce qui leur fait 40 centimes de l'heure.

A l'atelier 5 (Trempe, secteur Collas), un débrayage aboutit à une augmentation de 2 francs.
A l'atelier 17 (Matrices) les ouvriers, qui sont presque tous des professionnels, avaient revendiqué depuis trois mois l'augmentation des salaires. N'ayant aucune réponse, ils cessèrent spontanément le travail.
Dans un autre secteur, les ouvriers lancent une pétition pour demander la réélection des délégués avec les résultats suivants: 121 abstentions, 42 bulletins nuls comportant des inscriptions significatives à l'égard de la direction syndicale, 172 au délégué CGT, 32 au délégué CFTC.

Au secteur Collas, les ouvriers font circuler des listes de pétition contre la mauvaise répartition de la prime de rendement. D'autres secteurs imitent cette manifestation de mécontentement, mais se heurtent à l'opposition systématique des dirigeants syndicaux.
L'atelier 31, secteur Collas, qui avait cessé spontanément le travail par solidarité pour l'atelier 5, n'ayant pu entrainer le reste du Département a été brisé dans son élan par les délégués. On le voit, depuis plusieurs semaines une agitation grandissante se manifestait. Partout volonté d'en sortir, mais partout aussi sabotage systématique des dirigeants syndicaux et manque absolu de direction et de coordination.


UNE TENTATIVE RATEE

Au milieu du mois de mars 1947, les travailleurs de l'atelier 5 (Trempe-Cémentation) débrayent pour réclamer une augmentation de 2 francs de l'heure.
Au Département 6, tout proche, des ouvriers qui publient La Voix des Travailleurs de chez Renault, mais qui ne sont pas officiellement connus en tant que tels, car la moindre "preuve" légale suffirait à les faire licencier, se rendent en délégation auprès des grévistes de l'atelier 5.

Le délégué de cet atelier, stalinien sectaire aussi grand que fort en gueule, les envoie balader. Non seulement il n'a pas besoin d'un coup de main des gars du Département 6, mais de plus il ne veut pas qu'ils compromettent son mouvement en se joignant à eux.
Les camarades du Département 6 n'attendaient rien d'autre de cet individu, mais cela pose un problème. Que devons-nous faire ?

Si on se met en grêve, les staliniens de la CGT vont hurler que l'on sabote "leur grêve". Par ailleurs, il est certain que si nous devons tenter quelque chose nous avons intérêt à le faire pendant que d'autres sont déjà en lutte.
Très rapidement, les ouvriers décident de se mettre en grêve. Cela représente une centaine de personnes sur les 1200 que compte le Département 6 et les 1800 du secteur Collas (6 et 18). Mais il n'est pas question de se mettre en grêve à 100.

Tous les travailleurs en grêve se répandent alors dans les ateliers pour demander aux autres ouvriers de venir se réunir dans le hall de l'atelier afin de décider tous ensemble de la poursuite ou non du mouvement.
A peu près la moitié du Département, soit 5 à 600 travailleurs, rejoignent le lieu de la réunion en arrêtant les moteurs. Mais tandis que se déroule le meeting, les délégués, qui étaient en réunion et qui ont appris la chose, reviennent en hâte, remettent les moteurs en route et engagent leur campagne de dénigrement, de démoralisation et de calomnies.

"Vous n'obtiendrez rien par la grêve" disent-ils en substance. "Les patrons n'attendent que cela pour envoyer la police, et puis une grêve, ça peut durer un mois, peut-être plus - Vous allez crever de faim - Vous vous laissez entrainer par des aventuriers, des anciens collabos", etc., etc.
Les ouvriers ne sont guère sensibles à ces arguments. Seulement ils savent qu'ils ont contre eux la Direction et le gouvernement. Si en plus il faut se battre contre les syndicats, cela leur parait au dessus de leurs moyens.

Le mouvement reflue. Les moteurs retournent, les ouvriers retravaillent. Devant cet effrittement, les camarades qui ont convoqué le meeting le terminent en constatant leur échec et en proposant de mieux s'organiser la prochaine fois.

VERS LA GREVE

Les camarades de La Voix des Travailleurs de chez Renault ne sont nullement découragés et ils continuent leur action.

Au début d'avril, ils font circuler une pétition pour réclamer une augmentation de 10 francs sur le taux de base. Partout où elle peut être présente, cette pétition recueille une grosse majorité de signatures.
Pour faire parvenir les pétitions à la Direction, il faut les faire porter par les délégués. Devant le succès de ces pétitions ceux-ci n'osent refuser mais ils sabotent.
Là, ils font pression sur les ouvriers pour empêcher les listes de circuler, ici ils prennent les feuilles et les font disparaitre.

Personne n'a d'illusions sur la valeur des pétitions, mais les travailleurs les signent d'abord parce que c'est un moyen d'exprimer leur mécontentement et de donner leur accord à une augmentation de salaire qui ne soit pas lié au rendement.
Ensuite parce que c'est un moyen de tester les délégués pour voir jusqu'à quel point ils osent s'opposer à leur volonté.
Enfin pour beaucoup leur signature est un désaveu de l'attitude des délégués voire la marque d'une hostilité qu'ils ne sont pas mécontents de pouvoir manifester.

On parle d'augmentation de 10 francs, on parle de grêve. Il y a bien des bulletins La Voix des Travailleurs de chez Renault qui créent une certaine agitation, il y a bien des pétitions, il y a bien eu la tentative avortée du mois de mars, mais tout cela ne débouche sur rien.
Certains ouvriers sont impatients. "Alors ça vient cette grêve !" Mais d'autres sont sceptiques.

Dans une de leurs réunions, les ouvriers qui font paraitre La Voix des Travailleurs de chez Renault décident d'agir.

Le jeudi 17 avril 1947, ils organisent un meeting à la sortie de la cantine. Evidemment, les ouvriers qui travaillent en équipe ne sont pas là. Mais la grande majorité de ceux qui travaillent en "normale" sont présents.

L'orateur monte sur le rebord d'une fenêtre d'un bâtiment situé juste à la sortie de la cantine.
Il explique la situation aux travailleurs.
"Les prix augmentent, les salaires restent bloqués. Ce qu'il nous faut c'est 10 francs de plus sur le taux de base."
D'ailleurs, ce chiffre, il ne l'invente pas. C'est celui qui a été proposé par le secrétaire général de la CGT, Benoit Frachon, c'est celui qui a été retenu par le Comité confédéral.
"Ce qu'il faut, c'est obtenir cette revendication. Et en fait il n'y a pas d'autres moyens que la grêve. Les dirigeants de la CGT vont contre la grêve, alors il faudra la faire sans eux, peut-être contre eux."

L'orateur réfute les arguments avancés par les délégués lors du débrayage manqué.
"On nous dit que l'on va crever de faim. Mais nous avons crevé de faim pendant cinq ans. On nous dit que le gouvernement va nous faire envoyer des gaz lacrymogènes comme le 30 novembre 1938. Pendant cinq ans il nous a bien fallu résister à autre chose que des gaz lacrymogènes. Les bombes ne nous faisaient pas seulement pleurer les yeux; elles écrasaient nos maisons et nous avec."
"Vraiment, c'est à croire que ceux qui se réclament du "parti des fusillés", qui se disent les "héros de la Résistance" n'ont rien vu pendant les cinq ans qu'a duré cette guerre."


L'orateur montre sans fard les difficultés de la lutte: des privations, peut-être des coups, et en cas d'insuccès des licenciements. Mais parallèlement il rappelle les souffrances cent fois pires que "nous venons d'endurer pour des intérêts qui n'étaient pas les nôtres."
"Malgré des difficultés réelles, nous sommes tout à fait capables de mener une lutte et d'en sortir victorieux."
"Et ceux qui veulent nous décourager en prétendant que nous en sommes incapables nous méprisent ou ont des intérêts différents des nôtres, ou les deux à la fois."


L'orateur termine son exposé en appelant à la lutte.
D'abord il propose le principe de voter une augmentation de 10 francs sur le taux de base. Toutes les mains se lèvent à l'exception d'une trentaine, les irréductibles du PCF.
Ensuite, il propose la formation d'un Comité de grêve et demande des volontaires. Les amis de La Voix des Travailleurs de chez Renault lèvent la main. D'autres suivent.

Les candidats montent sur la tribune improvisée et l'orateur fait ratifier leurs candidatures par un vote.

L'assistance s'attend au déclenchement de la grêve. L'orateur précise alors aux travailleurs que le Comité de grêve qu'ils viennent d'élire va aller déposer la revendication à la Direction. Dorénavant, ce Comité est mandaté pour agir en leur nom. Il le fera. Mais pour l'heure il demande aux travailleurs de regagner leur travail.

Sitôt le meeting terminé, le Comité de grêve se rend à la Direction du Département qui commence par faire des difficultés en prétendant que les membres du Comité de grêve ne sont pas des représentants "légaux".
Les représentants du Comité de grêve lui font observer qu'ils ont été élus non en vertu d'une loi bourgeoise mais par les travailleurs eux-mêmes.
Le refus de discuter avec eux équivaudrait à un camouflet lancé aux travailleurs qui ne manqueraient pas d'en tirer les conclusions.

Le chef du Département change alors sa défense.
Ce n'est pas lui qui peut décider d'une augmentation de 10 francs de l'heure sur le taux de base. Il en référera à la Direction.

Le Comité de grêve lui donne alors 48 heures pour donner la réponse de la Direction en lui rappelant que le principe de la grêve a été voté par les ouvriers.
Manifestement, le chef du Département n'est pas du tout impressionné. Après le meeting il s'attendait à un mouvement de grêve. Dans les circonstances d'alors ce ne pouvait être bien plus grave avec l'hostilité des délégués. Mais c'est toujours ennuyeux pour un chef d'avoir affaire à des conflits sociaux. Or, voilà que tout se termine au mieux par la vantardise de quelques "jeunots". Le travail a repris, pour lui c'est l'essentiel.

Le Comité de grêve se réunit à plusieurs reprises pour essayer de trouver les meilleures conditions du déclenchement de la grêve.

D'abord, il se renseigne sur l'état des stocks. Par des magasiniers, il apprend que les stocks de pignons sont assez faibles. Or c'est le Département 6 qui les fabrique.

Les membres du Comité de grêve sont des O.S. inexpérimentés qui connaissent très peu le fonctionnement de l'usine. Il faut se renseigner sur les moyens de couper le courant à la centrale du Département dans des conditions de sécurité. Mais ils ne connaissent personne.
Les gens qui vont nous renseigner sont-ils avec nous ? "S'ils sont au Parti communiste il y a de fortes chances pour qu'ils vendent la mêche. Par ailleurs donnent-ils de bons renseignements, sont-ils vraiment qualifiés pour les donner ?"

Les membres du Comité de grêve savent tourner des manivelles, appuyer sur des boutons, mais tripoter des lignes de 5 000 volts, manoeuvrer des vannes de distribution de vapeur ou d'air comprimé, cela les effraie un peu. Il faut être prudent. Car ils savent qu'à la moindre erreur les staliniens ne manqueront pas de monter en épingle "l'incapacité de ces aventuriers".

Quand ils retournent voir le chef du Département, celui-ci n'a évidemment aucune réponse de la Direction Générale. Il faut donc agir.

Mais un double problème se pose. Le jeudi, c'est le jour de paye, et de plus, c'est le vote pour élire les administrateurs représentants les ouvriers aux Caisses de Sécurité sociale, organisme nouvellement créé.
Si on veut déclencher une grêve avec le maximum de chances de succès, il est prudent d'attendre que les travailleurs aient la paie en poche. car une paye, c'est un quinzaine d'assurée.

Par ailleurs, déclencher une grêve avant l'élection des administrateurs de la Sécurité sociale, c'est peu souhaitable.
Le Comité de grêve sait que les dirigeants de la CGT et du PCF ne manqueront pas d'exploiter une telle décision en essayant de démontrer que le but des "anarcho-hitléro-trotskystes", puisque c'est ainsi qu'ils les nomment, est de saboter les élections des administrateurs de la Sécurité sociale pour nuire à la CGT.
Attendre le lundi suivant, c'est risquer de voir baisser la température qui est encore chaude.
Il ne reste donc que le vendredi. C'est prendre le risque de voir couper le mouvement par un week-end. Mais d'un autre côté, cela offre l'avantage de vérifier l'ampleur de l'action au cours de la première journée et de permettre un repli sans trop de risques en cas d'insuccès.

Le mercredi 23 avril, le Comité de grêve organise un meeting pour donner le compte rendu négatif de la démarche auprès de la Direction.

Voici le compte rendu de cette réunion fait par un témoin et publié dans La lutte de classe, journal de l'Union Communiste (trotskyste) à laquelle appartient le responsable du Comité de grêve, Pierre Bois:
__________

A 12h30, lorsque j'arrive, le trottoir (large d'au moins 8 mètres) est encombré d'ouvriers qui sont là par dizaines et discutent, tandis que, par paquets, les ouvriers sortant de la cantine continuent d'affluer. Toutes les conversations roulent sur le même sujet: ce qui va se passer tout à l'heure. Et le mot de grêve circule.
Un tract diffusé dans la matinée, de la main à la main, nous a fait savoir que le Comité de grêve, élu à l'Assemblée générale précédente par 350 ouvriers contre 8, a tenu à nous réunir afin de nous mettre au courant des démarches qu'il a effectuées auprès de la Direction.

Une heure donnée doit être respectée, et, à 12h30 précises, un camarade, qui est déjà sur la fenêtre, commence à parler.
Au premier rang de cet auditoire, bien plus nombreux que la fois précédente, où se retrouvent presque tous les ouvriers des deux Départements faisant la "normale", soit quelque 700 ouvriers, des coups d'oeil significatifs s'échangent; les visages sont plutôt gais, quoique les esprits soient tendus.

Le camarade explique brièvement, en termes clairs, l'échec de la délégation, auquel d'ailleurs on s'attendait. Et, devant l'auditoire ouvrier attentif, il démontre que l'arme gréviste reste le seul moyen permettant d'obtenir satisfaction.
Au milieu des cris d'approbation qui fusent de toutes parts, il explique que la grêve à venir sera une lutte des plus sérieuses qu'il faudra mener avec résolution jusqu'au bout.

"Il ne sera plus question de jouer de l'accordéon ou de rester les bras croisés à attendre que ça tombe, mais il faudra s'organiser pour faire connaitre le mouvement dans toutes les usines, faire des piquets de grêve et défendre les issues de l'usine au besoin."

Répondant d'avance aux objections que pouvaient faire certains sur la perte d'argent que cela occasionnerait, et l'intervention toujours possible de la police, il indique que le paiement des jours de grêve sera éxigé.

"Quant aux lacrymogènes de la police, pendant plus de six ans nous avons reçu des bombes sur la gueule et on n'a rien dit. On s'est continuellement serré la ceinture avec les sacrifices que la bourgeoisie nous a imposés pour défendre ses coffres-forts. Et aujourd'hui, nous n'aurions pas la force et le courage d'en faire une infime partie pour nous ?"
Appuyant ces paroles de cris bruyants, les ouvriers marquaient leur approbation.

Passant au vote, le camarade demande aux ouvriers de se prononcer sur la grêve en tant que moyen à envisager dans les délais les plus courts.
Tandis que quelques voix seulement votent "contre", les ouvriers votent "pour".

C'est alors que le délégué cégétiste, littéralement poussé par ses "copains" qui lui ont frayé un chemin, s'avance pour exposer son point de vue, ainsi que le camarade venait de le demander, invitant les opposants à émettre leur point de vue.
Malgré le calme relatif, les ouvriers étant curieux de connaitre ses objections, il ne put éviter de s'attirer la réplique d'un ouvrier: "Tu vois, ici au moins, il y a de la démocratie."

Grimpant sur la fenêtre, parlant à voix basse et ne sachant pas trop quoi dire, le délégué entreprit d'expliquer aux ouvriers la "situation réelle en ce qui concerne les salaires"; pour son malheur, il se mit à parler d'une délégation qui était allée voir Lefaucheux (avec la demande d'établir une égalité de salaires entre les ouvriers d'ici et ceux de chez Citroën, avec effet rétroactif) que d'ailleurs, ajoute-t-il, elle ne trouva pas.

Manifestement, les ouvriers vomissent les délégations et, à peine le délégué achevait-il ses dernières paroles que sa voix était couverte d'exclamations plus ou moins significatives:
"Les délégations, on en a assez". "Jusqu'où comptez-vous nous mener en bateau ?". "On n'en veut plus de tes délégations, maintenant, ce qu'il faut, ce sont des actes". J'ajoute moi-même: "Egalité avec Citroën, mais là-bas ils crèvent de faim aussi".

Abrégeant son exposé, le délégué lança un "appel au calme", et une mise en garde "contre les démagogues" fut non moins huée que les "délégations".
Après quoi, il dut descendre pour céder la place à un ouvrier d'une trentaine d'années qui, grimpé sur la fenêtre, expliqua en quelques mots ce qu'il pensait des délégués et des délégations:
"Camarades, depuis des mois, on nous fait attendre des augmentations qui doivent toujours arriver demain. On nous a déjà fait l'histoire en février et on nous a dit que l'absence de Lefaucheux, à l'époque, avait empêché les revendications d'aboutir. Cela a recommencé hier, une fois encore, il n'était pas là. Et les délégués sont repartis, comme avant. Cela ne peut plus durer. Jusqu'à quand allons-nous nous laisser mener ? Maintenant, ce n'est pas des paroles qu'il nous faut, ce sont des actes."

Complétant dans le même sens ce que l'ouvrier venait de dire, le premier camarade parla du minimum vital qui fut mis à l'ordre du jour de la CGT, en novembre, et qui devait être appliqué avec effet rétroactif également.
"Mais la CGT, dit-il, capitula sur le minimum vital et l'on ne parla plus ni du minimum vital ni de son effet rétroactif. Comment pouvons-nous croire à présent des personnes qui ont capitulé de la sorte ? Qu'est-ce qui nous prouve qu'ils ne capituleront pas de la sorte demain, avec leurs délégations ?"

Cet incident clos de la bonne manière, le camarade demande alors, pour clore la réunion, que les ouvriers manifestent par un second vote leur confiance au Comité de grêve afin de l'habiliter à déclencher la grêve au moment opportun.
Si la grande majorité qui accorda sa confiance au Comité de grêve fut la même que prédédemment, il n'en fut pas de même des "contre" qui voyaient leur nombre ramené à 8. Lorsque la majorité vota, un ouvrier qui se trouvait près du délégué lui cria à l'oreille: "Tu les vois, ceux qui sont pour l'action: rinces-toi l'oeil !"
__________

Ainsi les ouvriers ont de nouveau voté pour la revendication des 10 francs sur le taux de base; ils ont de nouveau voté pour la grêve et dans une proportion plus importante, puisque ce jour-là même des "équipes" ont quitté le travail pour assister au meeting et que le nombre des participants a doublé depuis le 17 avril. De nouveau, les ouvriers ont réélu leur Comité de grêve qui s'est accru de quelques membres.
De plus, estimant que la responsabilité de la grêve incombe à la Direction, ils revendiquent le paiement des heures de grêve.

Bois clôt le meeting en demandant de nouveau aux ouvriers de reprendre le travail en attendant les décisions du Comité de grêve. Il leur rappelle que, dès maintenant, la grêve est décidée et qu'elle sera déclenchée au moment qui paraitra le plus opportun au Comité de grêve.
Certains travailleurs commencent à s'impatienter ou à ironiser. "Ils se dégonflent". Les membres du PCF et de la CGT rient sous cape. Pour eux, ils ont affaire à des petits garçons.

Nous sommes mercredi et les membres du Comité de grêve, eux, savent qu'il faut attendre la paye et l'élection des administrateurs de la Sécurité sociale, donc le vendredi.
Ils ne sont pas mécontents que certains ne les prennent pas au sérieux car ils veulent aussi mettre de leur côté l'effet de surprise et, au fond d'eux-mêmes, ils sont assez satisfaits du bon tour qu'ils vont jouer (du moins ils l'espèrent) à ceux qui les prennent pour des petits rigolos.

Mercredi donc, jour de meeting, le Comité de grêve se réunit le soir après le travail, car tous sont des O.S. et aucun n'a un quelconque mandat officiel. Ils se réunissent dans un sous-sol.
Dans une salle au dessus, se réunit une cellule du PCF, ce qui fait dire à un membre du Comité de grêve: "S'ils savaient ce qu'on fait, ils diraient encore qu'on fait du travail "en dessous."

Pierre Bois rappelle aux membres du Comité de grêve les raisons du choix de la date du vendredi et réclame de tous les membres du Comité de grêve l'engagement de garder le plus grand secret sur nos intentions. Toute indiscrétion sera considérée comme une trahison et traitée comme telle.
Mais les membres du Comité de grêve sentent suffisamment l'importance de leur rôle et ont suffisamment conscience de leurs responsabilités pour ne commettre aucune indiscrétion.

Le Comité de grêve décide donc de déclencher la grêve pour le vendredi matin. Le Comité de grêve se compose de 11 membres. Il faut prévoir des piquets à toutes les portes dès 6 heures du matin ainsi qu'aux postes-clés: Centrale électrique, Transformateur, etc.
Il faudrait une cinquantaine d'ouvriers pour les piquets. Mais en plus, il faut garder le secret de l'opération pour bénéficier de l'effet de surprise. Cela est possible à 11 personnes qui, de plus, se sentent responsables pour avoir été élues par leurs camarades. A cinquante, on prend indiscutablement un risque.

Le Comité de grêve prend donc les dispositions suivantes: la grêve est décidée pour le vendredi 25 avril. Mais seuls les membres du Comité de grêve sont au courant et ils ne doivent sous aucun prétexte donner connaissance de cette décision à qui que ce soit.
Chaque membre du Comité de grêve doit recruter 5 ouvriers pour leur demander de venir vendredi matin à 6 heures en leur expliquant qu'il s'agit de faire une répétition pour préparer la grêve. Mais même à ces camarades qui viennent en principe pour une répétition, il est démandé de ne pas faire savoir qu'ils viendront ce jour-là.

La journée du jeudi 24 avril se passe sans histoire. Les ouvriers touchent la paye, on élit les administrateurs de la Sécurité sociale.
La grêve, on en parle bien sûr, mais on n'ose plus tellement y croire.

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(recopiage de la 2e partie en cours...)
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Antigone
 
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone le Dim 11 Oct 2009 01:14

(grêve Renault 1947, suite)

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LA GREVE EST DECLENCHEE

Vendredi 25 avril, les permiers ouvriers qui arrivent à 6h15 pour commencer à 6h30 trouvent un piquet à la porte qui distribue un tract très court. Ce n'est pas un tract ordinaire. C'est un ordre du Comité de grêve. Ordre donné au nom des travailleurs qui ont mandaté ce comité.

ORDRE DE GREVE

Le Comité de Grêve composé des camarades:

Quatrain < atelier 31
Bois
Merlin
Lévêque

Vayer < magasin

Shartmann < atelier 30
Lopez

Alvarez < atelier 101

Faynsilberg < atelier 317

Delaunay < atelier 236
Gadion)

élu démocratiquement à la majorité des ouvriers à la réunion générale du 23 avril et mandaté pour engagé la bataille des 10 francs lance le mot d'ordre de grêve aux ouvriers des Départements 6 et 18 pour le VENDREDI 25 AVRIL à 6h30 du matin.
La revendication présentée est:
1°/ 10 francs d'augmentation de l'heure sur le taux de base.
2°/ Paiement des heures de grêve.
Le Comité de Grêve met en garde les ouvriers contre certains éléments défaitistes qui n'hésitent pas à affirmer à l'avance que nous serons battus. Ces gens ont une telle peur de NOTRE VICTOIRE qu'ils ont déjà tenté des manoeuvres policières de mouchardage pour sabrer l'autorité des membres du Comité.
Le Comité de Grêve invite les ouvriers en grêve à se conformer strictement aux directives qui leur seront données.
Dans le combat que nous engageons, chaque ouvrier aura une tâche précise à remplir. Nous devons être disciplinés et résolus. Ce que chacun fait TOUS les jours pour le patron, nous devons être capables de le faire pour nous-mêmes.
La victoire est à ce prix.

TOUS UNIS DANS L'ACTION, ET NOUS ARRACHERONS NOS LEGITIMES REVENDICATIONS.

Le 25-4-47 Le Comité de Grêve


Les ouvriers arrivent, lisent l'ordre de grêve. La plupart restent habillés et attendent l'arrivée des ouvriers de la "normale" à 7h1/2, puis l'heure de meeting à 8 heures. Quelques uns sont sceptiques. Il leur est difficile de se débarrasser de leurs habitudes. Ils vont au vestiaire, enfilent leur "bleu", lentement se dirigent vers leur machine.

Fin avril, à 6h30, il ne fait pas encore très clair. Ils actionnent l'interrupteur. Tiens ! pas de lumière ! Ils appuient sur le bouton de mise en marche de leur machine. Rien. Cette fois, on dirait bien que c'est la grêve.
Ceux qui y ont cru dès le départ, et ne se sont pas déshabillés viennent les regarder. Ils sourient d'un air narquois.

"Alors, tu n'as pas lu le tract, tu ne sais pas que c'est la grêve. Tu ferais mieux d'aller te rhabiller, le courant n'est pas prêt de revenir. Regarde un peu !"

En effet, au fond de l'atelier, là où se trouve un transformateur sur lequel on lit: "courant 5 000 volts, danger", les grilles de sécurité ont été enlevées, la manivelle est abaissée, le courant coupé et un piquet d'une dizaine de grévistes monte la garde.

A un moment donné, un chef qui vient d'arriver n'en croit pas ses yeux, il s'approche du piquet: "Vous avez coupé le courant, il faut le remettre tout de suite, il y a des appareils de sécurité qui ne peuvent fonctionner sans courant; vous risquez de tout faire sauter."Imperturbable, un membre des piquets de grêve lui rétorque:
"T'en fais pas, papa, on a pris nos précautions et si tu as la trouille tu n'as qu'à retourner dans les toiles retrouver bobonne."

A la porte, les piquets de grêve distribuent l'ordre de grêve à tous les ouvriers qui arrivent. La plupart gagnent le terre-plein oùils sont invités au meeting. Quelques uns, trop heureux de voir que "ça marche", retournent arroser ça au bistrot qui est à l'entrée des ateliers.

A 8 heures, le meeting commence dans le hall. P. Bois rappelle les raisons de cette grêve. Ils expliquent aux grévistes les raisons qui ont amené le Comité de grêve à déclencher la grêve ce vendredi:
"Maintenant l'action est engagée. Elle ira jusqu'au bout."
Il demande une dernière fois aux ouvriers de confirmer leur choix et de s'engager.
"Si nous sommes des mauviettes, il est encore temps de reculer. Sinon, en avant !"

Pour ce dernier vote, P. Bois demande aux ouvriers du Département qui sont pour la grêve de se placer sur la gauche. La grande masse des travailleurs prend place à gauche. Ceux qui sont contre à droite. Les délégués et quelques membres du PC se retrouvent seuls à droite. Les abstentions au fond de l'assistance. L'ensemble des blouses blanches et quelques blouses grises gagnent le fond. Le vote est acquis. La grêve est effective.

Le secrétaire général du syndicat, Plaisance, qui est venu assister au meeting, demande alors la parole. Il n'approuve pas cette grêve des 10 francs sur le taux de base mais en tant que militant responsable de la CGT, il a assisté au vote (sourires de l'assemblée) et il s'incline devant les décisions des travailleurs.
Plaisance, le secrétaire de la CGT, et quelques délégués se joignent à elle.

Les membres de la délégation, des ouvriers du secteur Colas, sont ahuris de voir avec quelle aisance les "responsables" syndicaux se déplacent dans les bureaux, sourient aux grands caïds, leur serrent la main. Vraiment, ils sont bien dans la maison.

Mais malgré leur connaissance des lieux et des personnes, quand la délégation arrive devant le bureau du président-directeur général Lefaucheux, il n'y a personne pour la recevoir. M. Lefaucheux est, parait-il, au Cameroun.
Nous sommes reçus par le directeur du personnel et quelques autres grands "pontes" qui ne peuvent rien faire sans M. Lefaucheux. L'entrevue est vite terminée.

Pierre Bois dit alors au directeur du personnel M. Le Garrec, qui demande aux membres de la délégation de reprendre le travail en attendant le retour du directeur général:
"Nous constatons que vos pouvoirs sont limités. Nous vous aurons prévenu. Si Monsieur Lefaucheux veut voir son usine remarcher, qu'il se dépêche de rentrer pour nous accorder les 10 francs sur le taux de base."

Aux Départements 6 et 18, le Comité de grêve s'organise. Il prend possession d'un bureau. Il reçoit des informations, donne des ordres. Quelques ouvriers en liesse font des stages un peu trop prolongés au bistrot. Le Comité de grêve décide de ne laisser sortir les ouvriers que sur présentation d'un bon de sortie signé par lui. Des consignes sont données aux piquets qui exécutent scrupuleusement.

Au Comité, on est plus large. On délivre facilement un bon de sortie sauf à ceux qui commencent à avoir la langue un peu trop pâteuse. Ils sont peu nombreux et la grande majorité des ouvriers approuvent cette mesure. Ils ont la fièreté de leur mouvement et ils ne voudraient pas qu'il soit entâché des excès de quelques individus qui ne se contrôlent pas. Tout se passe d'ailleurs très bien et sans heurts.

Parallèlement, à la demande du Comité de grêve, se sont constitués des groupes d'ouvriers qui se répandent dans l'usine pour appeler les travailleurs à se mettre en grêve.
Des ateliers entiers débrayent, mais les délégués et les militants de la CGT remettent les moteurs en route, exhortant les travailleurs à ne pas se laisser entrainer.

Il s'ensuit une assez grande confusion. Dans les ateliers, les ouvriers débrayent, reprennent le travail, redébrayent. Ce n'est qu'aux Départements 6 et 18 que la grêve est totale: les ateliers sont fermés, les camions qui doivent passer par ce secteur pour aller d'un atelier à l'autre sont stoppés.

Il n'y a que l'atelier 5 (Trempe-Cémentation), celui qui avait débrayé seul un mois plus tôt, dominé par un stalinien de choc, qui continue imperturbablement son travail.
Les grévistes des Départements 6 et 18 les laissent travailler. Les portes sont bouclées; quand ils n'auront plus de pièces, ils finiront bien par rejoindre le mouvent ou s'arrêter.
D'ailleurs, des femmes de cet atelier qui font un travail absolument épouvantable sympathisent déjà avec les grévistes.

A un moment, le directeur du personnel vient au Département demander au responsable du Comité de grêve de laisser passer les camions. Devant son refus, il menace:
"Vous prenez un gros risque, il y a entrave à la liberté du travail."
--- Pardon, c'est vous qui faites entrave au droit de grêve, mais si vous voulez demander vous-mêmes aux ouvriers de saboter leur grêve, vous avez la parole."
--- Présenté comme cela, vous avez le beau rôle."

Et le monsieur quitte les lieux.

A midi, place Nationale, Plaisance, secrétaire du syndicat CGT, harangue les travailleurs:
"Ce matin, une bande d'anarcho-hitléro-trotskystes a voulu faire sauter l'usine."
Protestation indignée de ceux qui savent. Etonnement de ceux qui ne sont pas au courant.

Ce premier vendredi de grêve se termine sur deux visites.
Plaisance, secrétaire de la CGT, qui le matin avait dit aux ouvriers de Collas que bien qu'il n'approuvait pas ce mouvement il se ralliait aux décisions des travailleurs, se voit vivement reprocher son attitude de midi où il a prétendu que des bandes "d'énergumènes anarcho-hitléro-trotskystes" avaient voulu faire sauter l'usine.

Il est pris sérieusement à partie par des ouvriers et tente de se justifier en prétendant "qu'en 1936, faire sauter l'usine, cela voulait dire la mettre en grêve".
"--- Enfin, les copains, vous ne vous souvenez plus !"

Vieux renard hypocrite va ! il devra quitter l'atelier sous les huées des ouvriers et surtout des ouvrières.

C'est également le directeur du personnel, M. Le Garrec, qui vient voir ce qui se passe et essayer d'influencer les travailleurs.
Il faut signaler que Le Garrec avait pris sa carte du PCF à la "Libération", sans doute pour augmenter son autorité sur le personnel dans cette période délicate, suivant en cela l'exemple du P.D.G. Lefaucheux qui était devenu également président de France-URSS.

Un ouvrier espagnol qui a participé à l'insurrection des Asturies en 1934, qui a fait la guerre d'Espagne à Barcelone et qui est membre du Comité de grêve, le prend alors à partie:
"Monsieur le directeur, hier c'est vous qui commandiez "l'ousine", demain c'est peut-être la police, mais aujourd'hui ce sont les ouvriers. Vous n'avez rien à faire ici."
Interloqué, le directeur du personnel rétorque:
"Je ne discute pas avec les étrangers."
Ce qui lui vaut cette réplique:
"Monsieur le directeur, il y a un étranger ici, c'est vous. Ici il n'y a que des ouvriers et le bourgeois qui se présente. L'étranger, c'est vous parce que vous n'êtes pas de la même classe. Pour les travailleurs il n'y a pas de patrie, il n'y a que des classes. Allez ! Ouste ! Sortez !"
Bonne leçon d'internationalisme donnée au directeur "communiste".


LA GREVE SE DEVELOPPE

Le samedi et le dimanche, les ateliers en grêve sont occupés par quelques piquets, mais rien d'important ne se passe. La décision, c'est lundi que nous la connaitrons. Le Comité de grêve s'y prépare.

Le lunidi matin, il distribue un tract où il demande à tous les travailleurs de l'usine de se joindre à ceux du secteur Collas déjà en grêve. Il les invite à un meeting place Nationale à 12h30.

Des groupes de grévistes se présentent aux portes de l'usine pour distribuer le tract du Comité de grêve. Dans de nombreux secteurs ils sont agressés par des militants du PCF. Cela les rend furieux.
"Quoi, non seulement ils sont contre la grêve, mais en plus ils nous tabassent."

Pendant toute la matinée, les grévistes du secteur Collas préparent le meeting de 12h30. Ils savent que le PCF et la CGT risquent de venir en force avec des voitures munies de haut-parleurs pour saboter le meeting. Ils préparent des porte-voix en carton et en tôle.
Le Comité de grêve décide que si le PCF et la CGT viennent avec des voitures haut-parleurs qui couvrent la voix des orateurs, ils tiendront le meeting à l'intérieur de l'usine.

Dès 11 heures, les grévistes de Collas se répandent dans les ateliers pour appeler au meeting (sauf les piquets qui restent à leur poste). Comme le vendredi, cela entraine des débrayages, des reprises, des redébrayages.

A 12h30, les groupes se rapprochent de la place Nationale qui est déjà noire de monde. Dans la rue, quatre voitures haut-parleurs. Deux des syndicats, une de L'Humanité et une quatrième bien plus puissante.

P. Bois, à la tête du cortège, prend contact avec les groupes qui ont parcouru les ateliers.
"Ca y est, ils ont amené la grosse artillerie. Il va falloir faire notre meeting à l'intérieur de l'usine."
Soudain, un camarade vient vers nous:
"Alors, qu'est ce que vous faites, pourquoi vous vous êtes arrêtés ?"
"Tu n'as pas vu, il va falloir rester à l'intérieur. Avec toutes leurs radios, dehors on ne pourra pas se faire entendre."
"Mais non, venez, la plus grosse c'est à nous. Les Jeunesses socialistes tiennent leur congrès. Ce matin, ils sont venus nous voir. Nous leur avons demandé s'ils ne savaient pas où on pourrait trouver une voiture-radio. Ils ont accepté de nous prêter la leur, et à l'oeil ! Venez dehors, les communistes sont malades."

Et de fait, nous pouvons tenir notre meeting. Notre haut-parleur est plus puissant que les trois autres réunis.

Dès la fin du meeting, nous nous dirigeons vers l'usine O située à 1 km de là. Quand nous arrivons, ça débraye.

A notre retour à Collas, le bureau du Comité de grêve est submergé par des dizaines de délégations. Certains viennent en isolés, d'autres viennent au nom de leur atelier, d'autres encore se sont fait élire et représente un Département entier. Le soir, plus de 10 000 travailleurs sont en grêve.


LA CGT PREND LE TRAIN EN MARCHE

Le lendemain, mardi 29 avril, dès le matin, il y a 12 000 grévistes. La CGT tente alors une manoeuvre. Elle organise un débrayage de 11h à 12h pour soutenir ses revendications. Personne n'est dupe. Ceux qui n'étaient pas encore en grêve débrayent à 11h, mais ils ne reprendront pas le travail. A partir de ce moment, la grêve est totale dans toute l'usine.

Dans l'après-midi, les grévistes de Collas vont manifester à plus de 2 000 à la Direction. Lefaucheux est absent. Il est au ministère. Le soir, à son retour, le nombre de manifestants ayant sérieusement diminué, il refuse de recevoir le Comité de grêve. Il essaye même de jouer au dur:
"Dans la Résistance, on m'appelait le commandant Gildas.", voulant montrer par là qu'il ne se laisse pas influencer.

Le lendemain, mercredi 30 avril, le Comité Central de Grêve qui s'est constitué autour du Comité de grêve de Collas lance l'ordre de grêve générale à toute l'usine.
En fait, la grêve est déjà effective depuis la veille, mais le Comité Central de Grêve en donnant cet ordre, au nom des nombreuses délégations qui ont constitué un Comité Central de Grêve de 105 membres, tient à prendre la responsabilité du mouvement.

La CGT, dans un tract calomniateur, annonce un meeting pour le soir au square Henri-Barbusse. Puis finalement, elle décide de tenir son meeting dans l'Ile dans le but de reprendre la situation en main.

Pendant ce temps, le Comité Central de Grêve délibère. Mais brusquement, on vient l'informer que les commandos cégétistes sont en train de "balayer" les piquets de grêve. Le CCG suspend sa séance et se rend dans l'Ile où il tente sans succès de parler au meeting de la CGT.
Au retour, des énervés de la CGT menacent de liquider des membres du Comité de grêve en les "balançant" dans la Seine. Des ouvriers s'interposent et, finalement; tout rentre dans le calme.

Le soir, les staliniens s'organisent pour venir déloger les grévistes de Collas qui occupent leur Département.
La défense s'organise: caisses de boulons, de pignons, air comprimé pour pulvériser de l'acide, etc. Apprenant que les grévistes de Collas sont prêts à la riposte, les cégétistes renoncent à leur projet.

Jeudi 1er mai, le défilé cégétiste a lieu de la République à la Concorde. Le Comité de grêve tire un tract à 100 000 exemplaires qui sera diffusé sur le parcours du défilé.
Ce tract qui appelle à la grêve générale est tiré aux Entreprises de Presse Réaumur. Les ouvriers de cette entreprise abandonnent leur salaire pour le tirage de ce tract en signe de solidarité.

Sur le parcours de la manifestation du 1er mai, de nombreux accrochages, parfois violents, ont lieu entre les membres du service d'ordre cégétiste et les grévistes auxquels se sont joints des membres des Jeunesses socialistes.

Le 2 mai, le Comité de grêve envoie de nombreuses délégations à la porte des entreprises pour appeler les travailleurs à la lutte.
Partout, ils rencontrent la sympathie des travailleurs qui, dans de nombreux secteurs, se mettent eux aussi en grêve. Mais le plus souvent, les nervis du Parti communiste provoquent des bagarres et le travail reprend. Ainsi, chez Citroën Balard et à la SNECMA Kellermann.

Dans l'usine, la CGT intensifie sa campagne de calomnies. Elle organise un référendum pour ou contre la continuation de la grêve prévenant les travailleurs que la solution du conflit est subordonnée à une décision du gouvernement. 21 286 travailleurs prennent part au vote:
11 354 s'expriment pour la continuation de la grêve.
8 015 s'expriment pour la reprise du travail.
1 009 votent nul.
538 s'abstiennent.
La CGT s'incline devant cette décision des travailleurs, mais elle continue sa campagne de dénigrement.

Le Comité de grêve est informé par l'intermédiaire d'employés travaillant dans les bureaux que des gens "bien placés" pourraient lui ménager une entrevue avec le ministre du travail Daniel Meyer.

Ne voulant négliger aucune possibilité de réglement du conflit, une délégation du Comité de grêve se rend chez un certain M. Gallienne.
Très vite, les délégués se rendent compte qu'ils sont chez un ancien bras droit de Louis Renault qui voudrait essayer de manoeuvrer le Comité de grêve dans une opération anti-nationalisation. Ils arrêtent là toute discussion.

Le 8 mai, le Comité de grêve obtient une entrevue avec un député MRP, Beugniez, président de la Commission du Travail à l'Assemblée Nationale.
Ce monsieur veut surtout voir s'il n'y a pas dans ce conflit des éléments anti-cégétistes qui pourraient favoriser la CFTC.
Nous lui disons son fait et il est vraiment très déçu de constater notre détermination.


C'EST LA REPRISE
COLLAS CONTINUE SEUL


Le vendredi 9 mai, la CGT publie un tract où elle annonce que la Direction a accordé 3 F de l'heure sur la prime de production. Sur cette base, elle appelle les travailleurs à reprendre le travail.
Par 12 075 voix contre 6 866 le personnel décide la reprise.
Mais au secteur Collas d'où est partie la grêve, la grande majorité est pour la continuation de la lutte.

Le lundi 12 mai, le travail doit donc reprendre. Mais le Comité de grêve estime que si la grêve doit cesser, la reprise doit se faire dans l'ordre comme le déclenchement du conflit.
Il convoque donc les travailleurs à un meeting dès le matin à 8h. Mais les travailleurs ne sont nullement décidés à capituler.

Le responsable du Comité de grêve, P. Bois, explique alors:
"Si nous n'avons pas pu faire plier la Direction sur la revendication essentielle des 10 francs sur le taux de base alors que toute l'usine était en grêve, il serait utopique d'espérer une victoire en poursuivant la lutte dans un seul secteur.
Malgré tout, nous ne pouvons accepter une défaite."

Il propose de continuer la lutte jusqu'au paiement des heures de grêve.

L'inspecteur du travail vient essayer de démoraliser les grévistes en leur jouant le petit couplet de l'entrave à la liberté du travail. Rien n'y fait. Les travailleurs votent à une très forte majorité pour la proposition du responsable du Comité de grêve.

La solidarité s'organise. Dans la seule journée du lundi de la reprise, 50 000 francs sont collectés par les autres secteurs de l'usine qui ont repris le travail, faisant par là la preuve qu'ils ne sont nullement hostiles aux grévistes de Collas.

La CGT intensifie sa campagne de dénigrement et de calomnies, traitant les grévistes "d'énervés", "d'agités", "de diviseurs" et exigeant que le ministre du Travail, Daniel Meyer, prenne des mesures pour faire tourner l'usine.

Mais le secteur Collas ne tourne pas, il paralyse le reste de l'usine, et la Direction s'inquiète. Elle fait savoir au Comité de grêve qu'elle est prête à recevoir une délégation du Comité de grêve mais "accompagnée des délégués régulièrement élus". Le Comité de grêve accepte.

Bien sur, la Direction veut sauver la face en recevant d'une façon non officielle le Comité de grêve. Mais chacun comprend cette astuce juridique, et personne ne voit de compromission à se faire accompagner par des délégués qui ont toujours été hostiles au mouvement.
Ceux-ci d'ailleurs non plus ne se sentent nullement gênés de se compromettre avec les "anarcho-hitlero-trotskystes' du Comité de grêve, trop heureux de l'honneur que leur fait le patron en leur demandant, en bons larbins qu'ils sont, d'ouvrir la porte aux "énervés".

Le président-directeur général commence un discours où il met en garde le Comité de grêve contre les dangers de la poursuite du conflit: danger pour l'entreprise, danger pour la nationalisation, danger pour les ouvriers.
Pierre Bois lui fait remarquer qu'au point où en sont les choses, il lui est très facile d'écarter tous ces dangers en accordant le paiement des heures de grêve.
Pierre Lefaucheux essaie alors de jouer la carte sentimentale:
"Je sais, monsieur Bois, que si vous dites à vos camarades de reprendre le travail, ils le feront et je vous demande de le faire."
Pierre Bois bondit à ces paroles:
"Vous me demandez de trahir mes camarades, il est inutile de continuer cette discussion."
--- Ne vous fâchez pas, je ne voulais pas vous offenser.
--- Vous l'avez fait, mais si vous pensez que les travailleurs sont prêts à capituler, vous pouvez vous-même aller le leur demander."

C'est un coup de poker, P. Bois pense bien que Lefaucheux va se dérober.
"Eh bien, c'est entendu, je vais leur parler."
--- Bien, nous allons annoncer votre visite."
Les membres du Comité de grêve sortent suivis de Lefaucheux et de ses directeurs.
Des camarades partent en avant pour préparer une estrade au directeur: la plate-forme bien huileuse d'un camion.

Arrivé au Département, P. Bois monte le premier sur l'estrade improvisée et appelle les ouvriers.
S'adressant à Lefaucheux devant les travailleurs assemblés, il lui dit:
"Monsieur le directeur, vous êtes ici dans un secteur en grêve. En tant que responsable du Comité de grêve, il m'appartient de vous accueillir et de vous présenter à mes camarades.
"Camarades, voici M. Lefaucheux qui vient vous demander de saboter vous-mêmes votre mouvement. Il ne veut pas payer les heures de grêve, mais il voudrait vous voir reprendre le travail. Il a prétendu que vous n'aviez guère envie de continuer la grêve et que si vous ne repreniez pas le travail, c'est parce que je vous influençais. Je lui ai proposé d'essayer de venir vous influencer dans l'autre sens, ce qu'il va essayer de faire. Monsieur le directeur, vous avez la parole."


M. Lefaucheux est blême.
"Ce n'est pas très sport" dit-il.
Puis il a fait son discours dans un silence glacial. Quand il a fini, les travailleurs lui font une conduite de Grenoble pour le raccompagner, chacun lui réclamant le paiement des heures de grêve et les 10 F.


LA DIRECTION CEDE

Le vendredi 16 mai, la Direction, "dans le but de créer un climat favorable à la production", propose une somme de 1 600 francs pour la reprise et une avance de 900 francs pour tous les travailleurs (avance qui, d'ailleurs, sera définitivement accordée par la suite).
C'est en fait, donner satisfaction d'une façon déguisée à la revendication du paiement des heures de grêve réclamé par le Comité de grêve.

Sur cette base, le lundi 19, après une dernière assemblée des grévistes, le Comité de grêve propose la reprise du travail. Celle-ci a lieu après une réunion et un vote.

Les ouvriers du secteur Collas ne se sentent nullement battus.
Ils ont commencé avant les autres, fini après les autres, et par leur tenacité ils ont obtenu le paiement déguisé des heures de grêve pour tous.

En effet, l'ensemble des travailleurs a fait grêve du 29-4 au 12-5, ce qui fait huit jours ouvrables. Alors que le salaire d'un O.S. était d'environ 7 000 francs par mois (20 jours ouvrables) pour un O.S., la reprise s'est faite avec une indemnisation des heures perdues de 2 500 francs.
Pour la majeure partie de l'usine, les travailleurs n'ont rien perdu.

A Collas, évidemment, les ouvriers ont fait grêve depuis le 25 avril jusqu'au 16 mai, ce qui fait 15 jours ouvrables. Ils ont donc perdu un peu d'argent dont une partie d'ailleurs a été rattrapée par les collectes.
Mais les travailleurs de Collas n'étaient pas du tout déçus. Ils avaient mené une grêve eux-mêmes. Malgré l'hostilité de la CGT, ils avaient tenu. Ils avaient même gagné. Bien sûr, les 3 francs de prime étaient, qu'on le veuille ou non, à leur actif. Ensuite, le paiement des heures de grêve, sans être une victoire, c'était un succès. Et cet ouvrier de Collas n'était pas peu fier quand il racontait comment un autre ouvrier de l'usine lui avait dit:
"N'empêche que c'est bien grâce à vous, les gars des Pignons, si on a eu les 1 600 et les 900 balles."

Mais les travailleurs de Collas étaient aussi heureux et fiers d'avoir vaincu les contraintes. A la fois celles de la maitrise et celles de la bureaucratie. Pour eux, leur secteur, c'était une petite République où règnait la liberté et la démocratie.
"Chez nous, il n'y a pas de chefs, c'est nous qui décidons." disait fièrement un ouvrier. Ils étaient fiers de leur mouvement parce qu'ils y participaient vraiment.
Chaque matin et souvent plusieurs fois par jour se tenait une assemblée générale où on décidait de ce qu'on allait faire.
D'abord les piquets, puis les délégations aux autres ateliers dans la première semaine, aux autres entreprises dans la seconde.

Et puis la solidarité. Des groupes partaient dès le matin chez les commerçants ou à la porte des entreprises avec le macaron du Comité de grêve et des trons scellés. Non pas que l'on craignait que certains grévistes mettent de l'argent dans leur poche, mais les ouvriers voulaient que ça soit 'régulier". Le soir, l'argent était compté.

Les délégations d'entreprises apportaient, elles aussi, leur soutien moral et le produit de leurs collectes.
Tout était inscrit et affiché au Comité de grêve. Tout fut distribué équitablement à la fin de la grêve, les travailleurs ayant pu vivre sur leur paye pendant toute la durée du conflit.
Rappelons que le Comité de grêve avait pris la précaution de déclencher l'action le lendemain de la paye.

Du côté cégétiste c'était différent, l'argent rentrait sous forme de collectes ou de dons de syndicats.
Un jour, la CGT annonça que les grévistes pourraient recevoir... 1 kg de morue et 1 kg de lentilles !!! On en parla longtemps à Collas, des lentilles et de la morue de la CGT. La CGT avait aussi demandé aux travailleurs de s'inscrire pour des secours éventuels.
Ce fut un beau tollé quand le responsable du Comité de grêve prit la parole dans une assemblée générale pour dire:
"Ceux qui se sont faits inscrire pour les secours de la CGT ne vont pas tarder à être servis."
En effet, grâce à notre équipe de nettoyage des ateliers, nous avions pu retrouver la liste des inscrits... au fond d'une poubelle.

Petits détails , bien sûr, mais qui montrent bien la différence entre un mouvement conduit par les ouvriers eux-mêmes et une action dirigée bureaucratiquement.


LA CGT CRIE VICTOIRE

La CGT, après avoir violemment dénoncé les "irresponsables" du "comité des provocateurs" qui ont poursuivi seuls la grêve malgré ses appels à la reprise, s'octroie, bien entendu, le bénéfice de la nouvelle victoire. Elle n'hésite pas à écrire que c'est 'la section syndicale" qui "en poursuivant son action" (?), a obtenu les 1 600 francs pour tous. Elle précise même: "CETTE VICTOIRE fut obtenu après deux nouvelles heures de discussion par notre délégation dans le bureau du ministre du Travail, Daniel Meyer, et en présence de la Direction."
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Antigone
 
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone le Jeu 21 Oct 2010 11:07

LES GREVES DE 1953

INTRODUCTION
.../...
1953. Un Président de la République, Vincent Auriol; un gouvenement Laniel avec des ministres Edgar Faure, Georges Bidault, François Mitterrand, René Pleven... etc. Une brochette bien fournie de marionnettes qui se succèdent chacune leur tour sur le théâtre de la IVe République et pour certains, de la Ve. Elles partent, reviennent, partent de nouveau, et réapparaissent encore avec à chaque fois des "solutions nouvelles pour les problèmes de la France", mais qui font toutes long feu.

1953, c'est la guerre froide: la guerre de Corée ne cesse que le 27 juillet. Une crise à Moscou, où après la mort de Staline, le Maréchal Béria est destitué; à Berlin-Est, grèves et occupations d'usines se multiplient.
En France, on tente de masquer la gabegie politicienne de quelques cocoricos: le 14 juillet verra la plus grand défilé militaire depuis la Libération, et Christian d'Oriola est chanpion du monde de fleuret !
Le problème de l'immigration algérienne trouve une bonne place en première page des journaux: la délinquance, le travail.On croit rêver... il suffit de changer la date ! Le 14 juillet justement, le Parti Communiste organise une manifestation qui est composée pour moitié de Nord-africains, la police charge Place de la Nation: 7 morts dont 5 Algériens.
La guerre d'Algérie non encore inscrite dans l'histoire puisqu'on en date le début en 1954, est pourtant bel et bien là.
En attendant, la bourgeoisie française vient, à la suite d'une enquête ouverte en octobre 1952, de découvrir un "complot communiste": Ducoloné, Baillot, P.Laurent sont détenus; Marty, Guillot, Billoux, Fajon, sont inculpés.
Et puis surtout... La Guerre d'Indochine avec la défaite pour bientôt.
C'est dans ce contexte que Laniel s'offre des Pouvoirs Spéciaux dont l'enjeu est de faire payer à la classe ouvrière l'incapacité de gestion de la crise coloniale, politique, économique.

Et puis, soudain, Le Monde titre, le 7 août: "Brusque flambée d'agitation sociale"
Laniel déclare que "Toute faute de service entrainera des sanctions exemplaires". La grève touche les services publics et regroupe 2 millions de travailleurs, puis 4 millions un peu plus tard. Entre le 21 et le 25 août, patrons et syndicats s'entendent pour faire cesser la grève. FO et la CFTC d'abord, la CGT ensuite. Le jour même de l'accord avec la CGT, les 5 détenus communistes sont libérés. Les "comploteurs" avaient choisi "l'intérêt de la France" contre celui des travailleurs. Ils en étaient récompensés.
.../... J.P.D.


Je rajoute à cette introduction (qui a été écrite au début des années 80) quelques éléments pour que l'on comprenne mieux les événements de cette lointaine époque.
- Les grèves d'août 1953 vont étonner tout le monde. SoB écrit que les gens étaient découragés, démoralisés. Il ne faudrait pas oublier qu'il y avait une exaspération profonde. Les conditions de vie n'avaient pas beaucoup évolué depuis la fin de la guerre. Toujours des problèmes de ravitaillement auxquels s'ajoutaient la hausse des prix et surtout la crise du logement. On vivait fréquemment les uns sur les autres dans de petits appartements sans trop de manières. Et les bidonvilles proliféraient. Il existait une vie communautaire et de voisinage forcé qui amenaient les gens à s'entraider bien plus qu'aujourd'hui.
- Les hommes politiques qui jouent les premiers rôles sont soit de purs produits de la IIIe République, notables et bourgeois de la province profonde, soit des opportunistes qui ont su apparaitre au bon moment, juste à la Libération. Joseph Laniel fait partie de la première catégorie, celle qui, sous l'étiquette du MRP, parait anachronique, vit sur l'idée d'un empire colonial que la bourgeoisie métropolitaine n'a plus les moyens d'entretenir. Le personnel politique de la IVe République est à l'avenant, incapable de prendre la moindre décision, constamment dépassé par les événements quels qu'ils soient. Dans les films de cette époque, les comédiens rondouillards se font un plaisir à imiter dans leurs mimiques les étonnements de ces pantins qui n'ont que leur éloquence à opposer aux imprévus de la vie.
Au mois de juillet 1953 Laniel envisage de réformer le statut de la Fonction publique en reculant l'âge de départ à la retraite. Aucun projet de loi n'est encore formulé... que la grêve est déclenchée. Comprenez l'étonnement de ces politiciens ! Qu'est ce qu'ils doivent faire ? Retirer le projet de loi ? Il n'y en a pas. "Mais qu'est ce que c'est que ces manières ? attendez donc qu'on la formule enfin !"
- Cette grêve sera un raz-de-marée. SoB se polarise sur les secteurs où ils avaient des militants, mais 4 millions de grévistes dans un pays de 35 à 40 millions d'habitants, c'est considérable. Tous les jours des meetings énormes seront organisés dans les principales villes de France, devant les Bourse du Travail. On dit que c'est une grève de la Fonction publique, oui mais tous les secteurs économiques du pays seront touchés: les mines, les banques, les assurances, le batiment, la chimie, la marine marchande... Ce sera la première grève à Air France, toute nouvelle compagnie. Dans le Midi les viticulteurs menaceront de prendre d'assaut les préfectures. Des départements entiers seront bloqués. Beaucoup de vacanciers se retrouveront coincés, sans aucun moyen de transport pour rentrer chez eux. Déjà des otages !
- Aujourd'hui on nous dit que le recul de l'âge de la retraite serait motivé par l'allongement de l'espérance de vie. En 1953, les politiciens motivaient leur décision d'allonger la durée de travail par... (je vous le donne en mille) la découverte des antibiotiques !!

LES GREVES D'AOUT 1953 (extraits)
de Robert Dussart, paru dans Socialisme ou Barbarie n°13 de janvier 1954

.../...
Simultanément au glissement continuel de la politique française vers les solutions les plus réactionnaires, la classe ouvrière se trouvait divisée et démoralisée. Le détachement des ouvriers des organisations traditionnelles se faisait sous la forme d'un abandon pur et simple de la lutte, aucune réaction importante ne se produisait contre les attaques du Patronat et de l'Etat.
Pour utiliser les pouvoirs qui lui avaient été donnés par le Parlement, Laniel et ses conseillers poussèrent l'habileté jusqu'à porter le coup décisif aux fonctionnaires, ces parasites si bien dénoncés lors des précédentes campagnes d'économie, si peu populaires auprès des autres travailleurs et - chacun sait cela - si peu combatifs. Précaution supplémentaire: la date fut choisie pendant la période des vacances. Les stratèges avaient mis tous les atouts dans leur jeu. Et l'opération échoua. Mais les hommes du gouvernement ne furent pas les seuls à être stupéfiés de la tournure que prenaient les événements; les chefs syndicaux ne s'attendaient pas à un tel mouvement et eurent quelque peine à rectifier leur attitude.

La grande surprise d'août 1953 eut ses causes principales dans deux séries de faits. D'abord, les projets visant les fonctionnaires, postiers ou cheminots, venaient après un longue suite de promesses non tenues, de restrictions, de menaces et d'attaques contre cenrtains avantages spéciaux compensant mal le niveau particulièrement bas des salaires dans ces branches. La mesure était comble. C'était oublier que les travailleurs des services publics comme ceux de l'industrie privée, ne sont pas des domestiques résignés, mais des hommes capables de prendre conscience de leur force, de s'organiser, de s'opposer à leurs exploiteurs. (Finalement l'âge de la retraite a bien été fixé d'après un certain rapport de force travailleurs-Etat et non d'après l'allongement de la vie qu'entraine l'emploi des antibiotiques en médecine.) Le patron paternaliste qu'est Laniel pouvait ignorer cela. Mais il est révélateur de leur éloignement des travailleurs que les grandes organisations ouvrières se soient présentées dans un mouvement de cette ampleur avec une telle absence de perspectives.

.../...
Quelle a été l'incidence des changements dans la politique internationale sur le développement des luttes de classes en France ?
Nous devons pour répondre à cette question nous placer dans l'optique même des travailleurs; les changements dans la situation objective internationale ont modifié radicalement la perception qu'ont les ouvriers de cette situation, mais aussi de la leur propre. Dans le bloc américain, jusqu'à ce moment, les luttes ouvrières paraissent avoir comme principal résultat d'aider l'effort de guerre de la Russie; l'absence d'organisation autonome de la classe et la puissance des organisations staliniennes (en France par exemple) renforçaient cette confusion et les organisations réformistes obligées de choisir trouvaient leur place dans cette grande coalition anticommuniste bourgeoise en s'opposant à toute tentative de mouvement social. L'autonomie ouvrière ne pouvait se réaliser que sur un plan très étroitement économique (bien que radical par rapport aux deux blocs en présence) et par ailleurs, des victoires partielles étaient de moins en moins possibles. Si ces facteurs jouaient à long terme dans le sens d'une clarification de la conscience de classe des ouvriers et de l'avant-garde, la perspective immédiate de luttes se trouvait singulièrement bouchée. Au contraire, le ralentissement du cours vers la guerre augmenta pour les ouvriers les chances de s'opposer efficacement à leurs exploiteurs et la possibilité apparut de mener des luttes sans rapport direct avec leur utilisation par les staliniens. L'hypothèse de l'intégration internationale des luttes fut levée ou passa au second plan, les facteurs politiques de division dans la classe ouvrière reculèrent et le rapport de force entre salariés et patrons se trouva de ce fait modifié. C'est dans ce cadre général que les grandes grèves éclatèrent en août 1953.

.../...
Les grèves prirent au début le caractère d'une lutte purement défensive. On sait que les fameux droits - qui ne furent d'ailleurs acquis qu'après de longues luttes - s'intégraient parfaitement dans le mode de fonctionnement des grandes entreprises publiques. Sécurité de l'emploi, retraite assurée, régime d'assurances sociales plus avantageux, étaient effectivement utilisés pour s'assurer la fidélité des fonctionnaires: cheminots, postiers, etc... Mais menacés, ces maigres avantages se transformèrent en motifs de lutte. On doit d'ailleurs noter que c'est dans les secteurs où la concentration et l'industrialisation sont le plus poussées: transports, communications, production du gaz, de l'électricité etc., que le mouvement a pris naissance. Il exista cependant un décalage entre l'éclatement spontané des grèves, leur étendue et leur durée d'une part, les objectifs poursuivis, les moyens mis en oeuvre d'autre part. Ni dans les révendications (maintien du régime antérieur des retraites) ni dans l'organisation des grèves (le plus souvent, pas des comités de grève élus, mais comités formés des différents responsables syndicaux, voire simples comités de coordination inter-syndicaux, absence de manifestations de rue, évacution des chantiers ou bureaux) les grévistes ne manifestèrent une volonté de lutte ferme et claire, ne s'affranchirent de la tutelle des directions syndicales.

Les grèves d'août représentèrent l'opposition de l'ensemble de la classe ouvrière française à la politique de Laniel et consorts. Ce fut donc à ce moment l'ensemble de la classe ouvrière qui ne sut pas dépasser le cadre étroit dans lequel les syndicats avaient enferme les grèves: les travailleurs du secteur public en n'abordant pas franchement les revendications les plus générales, et les autres ouvriers (métallos en particulier), en en reconnaissant pas dans ces grèves la lutte de tous les travailleurs contre leurs oppresseurs. Pourtant malgré l'extrèmeconfusion qui régnait dans l'esprit des grévistes quant aux objectifs finaux, et aux possibilités réelles du mouvement, aucune illusion ne subsistait sur le caractère soit-disant économique et politiquement neutre de la lutte. Les grévistes avaient conscience de l'enjeu politique de la lutte qui les opposait au gouvernement et les plus anciens parlaient aux jeunes ouvriers de juin 36. Le gouvernement ne fut ni assez fort, ni assez cohérent pour briser le mouvement. La prime spéciale qu'il accorda aux agents de police fit douter de son autorité auprès de ses serviteurs plutôt qu'elle ne prépara ces derniers à des combats de rue. Il n'osa pas les lancer contre les grévistes. Malgré un effort spécial pour remettre en marche les transports et communications, il ne parvint avec l'aide du haut personnel de la direction de la SNCF, qu'à lancer quelques trains de voyageurs de parade et le recrutement de jaunes fut un lamentable échec dans les PTT.

Ni victoire ni défaite, mais finalement un bilan positif, tel apparait le bilan des grèves d'août; ni victoire car les travailleurs sentirent bien qu'une telle mobilisation ouvrière aurait pu avoir des résultats beaucoup plus importants et que la forme même que prirent les grèves fut bien inoffensive: c'est à peine si ces centaines de milliers de travailleurs qui arrêtèrent pendant plus de deux semaines la vie du pays, organisèrent des comités de liaison inter-professionnels pour venir en aide aux familles des grévistes. Ni défaite car pratiquement les décrets sur l'âge de la retraite furent enterrés, la grève se prolongea après le 24 avec des manifestations particulièrement combatives à Rouen, Angers, Nantes, les ouvriers interprétèrent la défection des organisations réformistes non comme un échec mais comme une trahison et enfin, le sentiment général au moment de la reprise était qu'il faudrait remettre ça. Bilan positif puisque les grèves d'août portèrent un coup d'arrêt à l'évolution dans un sens de plus en plus réactionnaire de la politique française, modifièrent sur le plan social le rapport de force en faveur du prolétariat et marquèrent une reprise de confiance de la classe ouvrière dans ses propres forces.

Le décalage que nous avons constaté entre la spontanéité des grèves et leur but, leur potentiel et leur forme ne fait qu'exprimer la contradiction qui se trouve dans toutes les actions que les ouvriers engagent aujourd'hui: d'une part la défiance envers les organisations traditionnelles héritées de la période précédente demeure comme une acquisition de l'expérience, valable même lorsque l'attitude de ces organisations parait changer (obligeant les dirigeants syndicaux à des concessions "démocratiques" telles que: élections dans certains cas de comités de grève, discussion et formulation de revendications par les travailleurs eux-mêmes, etc.); d'autre part la conscience de l'importance de l'enjeu, le désir des ouvriers de mener une grande bataille, les conduisirent à prendre comme cadre organisationnel les grands syndicats solidement charpentés, représentés nationalement, , en liaison avec les syndicats d'autres branches industrielles et possédant les militants formés pour remplir ces tâches. Les ouvriers les plus enclins à critiquer les syndicats et à se mettre en grève sans en avoir l'ordre étaient les mêmes qui formaient des délégations demandant aux dirigeants syndicaux l'extension de la grève, sa généralisation, etc. Ainsi l'action spontanée est un des moyens par lesquels les ouvriers parviennent à surmonter la tutelle des organisations bureaucratiques mais cette spontanéité est immédiatement ressentie comme insuffisante pour règler le problème de la lutte contre le capitalisme centralisé. Les ouvriers ont parfaitement compris l'obligation où ils sont de s'organiser pour vaincre mais ils savent aussi que l'organisation des masses d'ouvriers est la porte par laquelle s'insinuent les tendances bureaucratiques de domination de la classe ouvrière. Leur oscillation entre la révolte spontanée et la lutte dirigée par les chefs syndicaux dénote qu'aux problèmes posés par leur opposition tant à la bourgeoisie capitaliste qu'à la bureaucratie, les ouvriers cherchent une solution sur le plan de l'organisation.

Or, les causes qui ont rendu possible l'éclatement des grèves d'août subsistent et en liaison ave le ralentissement du cours vers la guerre il existe désormais, bien que faibles et limitées, des possibilités objectives de succès ouvriers. Il est vrai que la bourgeoisie française a des difficultés spéciales (guerre d'Indochine, concurrence du capitalisme allemand) qui sont à peine ou pas du tout atténuées par les changements dans la politique mondiale mais on sait aussi que la possibilité de donner satisfaction ne dépend pas de la seule volonté de la bourgeoisie mais d'un certain rapport de forces. Par contre rien n'indique que les luttes qui éclateront sur ces bases auront l'ampleur des grèves d'août: celles-ci polarisèrent une opposition générale au régime, mais elles ne pouvaient obtenir satisfaction que sur certains points précis tels que l'âge de la retraite etc.
.../...


CHRONOLOGIE DES GREVES
Apparemment rien ne laissait présager l'ampleur du conflit qui allait se développer avant le 4 août 1953. Laniel ayant en mains certains pouvoirs spéciaux, en annonçait l'application proche. Certes la coupe était pleine et les prolétaires de l'Etat se sentaient cette fois la force de résister victorieusement aux attaques que leur Patron s'apprêtait à lancer contre eux. Mais personne n'eut pu prédire que, rapidement, la grève allait grouper 4 millions de travailleurs dans la lutte.

Mardi 4, une journée de protestation des fonctionnaires contre les "économies" de Laniel est organisée par les syndicats. Seule FO s'abstient et ne participe pas au mouvement. La CGT invite ses adhérents à participer à la journée du 4 août. Le même jour la section girondine de la Fédération FO des PTT lance l'ordre de grêve illimitée à Bordeaux.

Mercredi 5, la grève générale des PTT est déclenchée. L'ordre en est donné par FO, à laquelle se joignent la CFTC et les autonomes. La plus part des grands centres postiers sont rapidement paralysés. La Fédération postale CGT demande à ses adhérents d'appuyer le mouvement.

Jeudi 6, le cartel FO des services publics groupant les cheminots, les Services de Santé, les mineurs, le Gaz, l'Electricité, la Régie des Tabacs décide de lancer un ordre de grève de 24 heures. En même temps, les Fédérations CGT envoient une lettre au cartel FO et aux autres centrales, proposant une action commune pour le lendemain dans tous les services publics. La CFTC lance un ordre de grève également. La grève est totale dans les PTT. Laniel lance son premier appel aux grévistes et réquisitionne le personnel de l'interurbain.

Vendredi 7, la grève est effective dans tous les Services publics et se développe en profondeur.

Samedi 8, Combat titre "Situation confuse". Les fonctionnaires ont repris le travail, sauf les postiers qui continuent la lutte. Mais les premiers décrets sont arrêtés par le gouvernement.

Lundi 10. Sous l'influence des cheminots CGT, la Fédération demande à ses militants d'organiser l'arrêt du travail dans tous les services. Cette fois la CGT offre aux autres centrales syndicales de reprendre la grève. La SFIO invite ses députés à exiger la convocation du Parlement.

Mardi 11, la grève est générale dans tous les Services publics. La base dépasse les directions syndicales en cette journée et force les dernières fédérations (Service Santé) à lancer l'ordre de grève illimitée. FO et la CFTC demandent la convocation du Parlement.

Mercredi 12, Laniel dit "non à la grève". La grève des Services publics tente de s'étendre au secteur privé. Les syndicats FO et CFTC tentent de forcer la décision de Laniel pour la réunion de l'Assemblée. La date du 21 est avancée. Laniel répond par un durcissement de l'attitude gouvernementale (arrestations, menaces, utilisations de la troupe).

Jeudi 13. Un seul autobus roule dans Paris. Les grévistes tiennent malgré les manoeuvres venant de toute part. Propagande ultra mensongère du gouvernement. FO demande une entrevue à Herriot, en même que l'on joue la généralisation de la grève. FO demande également la possibilité de pourparlers avec le CNPF. A travers ces tentatives se font jour les possibilités d'une discussion avec le gouvernement au-dessus des masses en lutte.

Vendredi 14. Situation stationnaire. Le début de la grève dans la métallurgie marque le pas (la plupart des ouvriers ont encore en vacances). La CGT publie une déclaration disant qu'elle est prête à discuter avec le gouvernement "dans l'intérêt des travailleurs". D'autre part Laniel dit ne pas refuser d'envisager la convocation de la Commission des Conventions collectives.

Samedi 15. La CFTC commence des conversations avec le gouvernement " au niveau le plus élevé". Une entrevue a lieu entre Baladoux et Levard et le Président du Conseil, voulant élargir la discussion aux représentants de FO.

Dimanche 16. Jouhaux remet au gouvernement un memorandum au nom du Conseil économique (qui à cette date était en vacances). Une nouvelle fois le vieux bonze réformiste joue les médiateurs. La discussion reprend entre le gouvernement, FO et CFTC. Les syndicats dépassés par le mouvement tentent sans être mandatés par les grévistes de faire admettre à Laniel la nécessité de règler le problème des salaires des postiers, des cheminots, des travailleurs de la RATP. Dans la nuit de dimanche à lundi, Bacon donne lecture de l'ultimatum aux grévistes, leur enjoignant de reprendre le travail, aucune discussion ne devant être menée avant la reprise.

Lundi 17. Laniel fait entrer dans les faits son ultimatum. Il exige de FO et de la CFTC que l'ordre de reprise soit donné avant 18 heures. Dans la soirée, il déclare à la radio qu'aucune négociation ne sera engagée avec ceux qui n'auraient pas repris le travail.

Mardi 18. La grève rebondit. D'une part les grèvistes acceptent le défi de Laniel et se cristallisent autour des comités de grève, pour une lutte pouvant être encore longue, et sont décidés à ne pas céder. D'autre part les syndicats ulcérés du peu de cas que fait Laniel de leur position, et obligés de ne pas désavouer le mouvement à ce stade, appuient une nouvelle fois les grévistes.

Mercredi 19. Combat titre " Laniel s'installe dans la grève". Les ouvriers de la métallurgie commençant à rentrer se préparent à la lutte. Des débrayages ont lieu chez Renault à Billancourt; l'usine du Mans cesse le travail. Au Havre la grève est pratiquement totale. Laniel emploie les jaunes à outrance, mais l'orchestration des mensonges lancés par le gouvernement n'atteint pas son but.

Jeudi 20. Dans la nuit le MRP joue les conciliateurs entre le gouvernement et les syndicats. On parle d'un accord, puis on le dément. Un certain revirement de la position du gouvernement a lieu, le bureau de l'Assemblée n'ayant pas encore statué sur la convocation du Parlement. Laniel parait temporiser.
Poussés par la volonté des métallos, les syndicats donnent l'ordre de grève générale dans la métallurgie. On verra plus loin comment ils ont fait noyer le poisson (V. "La grève chez Renault", ndlr).

Vendredi 21. La trahison des syndicats éclate au grand jour. FO et CFTC signent un accord avec le gouvernement. En réalité la "base" n'est pas dupe et, malgré les ordre de reprise, très peu de grévistes reprennent le travail. La situation parait flottante, l'accord ne donne pas de précision quant à son contenu. Les grévistes exigent un peu partout des explications.

Samedi 22. Le gouvernement a reculé sur la question de l'âge de la retraite, mais tous les autres points restent en suspens: sanctions, paiement des jours de grève. La question des sanctions, notamment chez les cheminots, cristallise une nouvelle fois la volonté de lutte des grévistes.

Lundi 24. Certains travailleurs qui avaient repris le travail recommencent la grève. La trahison profite aux staliniens qui peuvent démasquer FO et la CFTC aux yeux des grévistes et centrent leurs mots d'ordre sur la convocation du Parlement.

Mardi 25. Les grévistes sont une nouvelle fois trompés. Il n'y aura pas de convocation du Parlement. 207 signatures de députés ( il en fallait 209) sont seulement parvenues. Le mot d'ordre stalinien est balayé par les faits. La CGT donne l'odre de reprise du travail.
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede BlackJoker le Dim 24 Oct 2010 12:57

Un peu hs, mais j'avais lu aussi des récits/analyses intéressantes sur des mouvements de grève dure en Angleterre ( je crois dans les années84-85) dans la revue dont tu avais parlé une fois , "Os cangaceiros". ( numéro 2 je crois).

Ton topic ne se limite pas qu'aux mouvements en France j'imagine?
J'vais essayer de retrouver l'article, mais pas sur que j'puisse le copier coller. ( au pire s'il est vraiment utile j'essayerai de le recopier mais j'pense pas avoir beaucoup de temps.)
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede fu hsang le Dim 24 Oct 2010 15:26

merci
j ai des vieilles brochures aussi

"mouvement ouvrier Stalinisme et bureaucratie , 3iémé edition , de henri weber
"des etudiants de Mai aux urne de juin " edité par freres du monde
"ecoute camarde anarchisme et non violence 30 , publicatiode rn associée a l internationale des resistants a la guerre
et une fiche de formation sur "centralisme et democratie "de Rosa anotée par " les etudiants socialistes unifiés de nantes

je les mets ici ou je fais un topic ???
Ceux qui contrôlent leur désir, c'est que leur désir est assez faible pour être contrôlé ; et la raison qui contrôle prend la place du désir et commande à l'insoumis

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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Antigone le Dim 24 Oct 2010 17:16

BlackJoker a écrit:Un peu hs

Les grèves de 1953-55 font le lien entre 1936 et 1968. Des embryons d'auto-organisation apparaissent en passant par dessus les bureaucraties syndicales. Elles trimballent un héritage catégoriel,mais on aurait tort de les mépriser. Elles ont apporté un vécu qui a servi 15 ans plus tard et qui a compté. Et les numéros de Socialisme ou Barbarie sont assez rares.

fu hsang a écrit:j ai des vieilles brochures aussi
"mouvement ouvrier Stalinisme et bureaucratie , 3iémé edition , de henri weber
"des etudiants de Mai aux urne de juin " edité par freres du monde
"ecoute camarde anarchisme et non violence 30 , publicatiode rn associée a l internationale des resistants a la guerre
et une fiche de formation sur "centralisme et democratie "de Rosa anotée par " les etudiants socialistes unifiés de nantes
je les mets ici ou je fais un topic ???

Oui, ce topic a été créé pour recueillir les vieilleries.
Moi, je rajouterai une brochure "Prolétaires, si vous saviez, Italie 77-80" de Insurrezione (... mais il y a quand même 39 pages à taper !)

BlackJoker a écrit:mais j'avais lu aussi des récits/analyses intéressantes sur des mouvements de grève dure en Angleterre ( je crois dans les années 84-85) dans la revue dont tu avais parlé une fois

Ce doit être ça. Il y a 2 brochures. Je commence par la première:

Looting, arson, fighting as strikers return
THOUSANDS CLASH IN PIT STRIKERIOT FURY
QUELQUES ELEMENTS SUR LE MOUVEMENT ACTUEL DES PROLETAIRES EN GRANDE BRETAGNE (I)

Le 31 août 1984, à la suite d'une "compétition de danse", 200 jeunes attaquent la police et descendent plusieurs vitrines à Woolwich, quartier du sud-est de Londres. Le même jour des pickets volants de mineurs en grèves blessent 14 flics à Kiveton Park, Sud Yorkshire.
Dans la nuit du 11 juillet, la population de Fitzwilliam, West Yorkshire, mineurs, jeunes, chômeurs réunis, assiègent le poste de police et mettent au tapis 3 cops.
Le 24 août un groupe de pickets du Sud Yorkshire s'empare dans la nuit de bulldozers et détruit totalement plusieurs bureaux de la National Coal Board (charbonnages britanniques).
Il ne se passe pas un match de foot sans que celui-ci ne se transforme en affrontements directs contre les flics et en diverses attaques contre le décor environnant (un des plus ignobles quartiers de Paris, le 16e se souviendra longtemps de ces "hooligans" le 28 février 1984.)

L'annonce de la fermeture de puits ( 20 puits, soit 20 000 personnes) a immédiatement signifié pour les mineurs la destruction de leurs régions et leur inévitable déportation. D'un coup la situation générale des prolétaires, et ici des mineurs, comme simples pions amovibles au gré des nécessités d'une économie, dont jusqu'alors ils avaient pu tirer quelques compensations marchandes, devint intolérable.

Avant même que ne fut diffusée par le NBC la liste des puits condamnés à fermer, les mineurs se mettaient en grève. Quelques membres du patronat,simulant une opposition au mercenaire américain Mac Gregor (chargé de la restructuration des charbonnages - et ayant déjà fait ses armes lors de la grande grève des mineurs américains en 1973-74) - diffusèrent des documents indiquant le nom des puits les plus immédiatement condamnés, espérant ainsi à la fois diviser le mouvement de grèves, et se rendre sympathiques aux yeux des mineurs; et cela tout en appuyant le rôle de bouc émissaire de McGregor. Ce sordide marchandage n'aura eu aucun effet (ainsi dans le Yorkshire où peu de puits sont menacés, la grève a été et reste générale). Pas plus que n'auront eu d'effets les critiques orchestrées par la classe politique sur l'attitude anti-démocratique des mineurs refusant la mise en place d'un vote national. En affirmant leur force et de fait en se réappropriant leur vie contre tous leurs ennemis, les mineurs auront fait là, la plus belle critique du racket démocratique. Et l'on sait ce qu'est leur démocratie, notamment celle du travail, qui pour être appliquée doit passer entre les cordons de flics: les scabs, les respectueux-démocratiques en font la démonstration quotidienne.

Chacun sait bien que les menaces de Thatcher sur l'intervention de l'arméee contre les pickets sont déjà appliquées; les militaires déguisés en bobbies et en brigades anti-émeutes ne font plus aucune illusion sur les mensonges des démocrates britanniques qui tous ensemble ont tout intéret à l'écrasement le plus rapide du mouvement des mineurs. Le soulèvement des mineurs aura déjà brisé l'entretien de ces mensonges sur le statu-quo social. Tout comme il brise partout l'abstraction qu'entretient l'Etat à l'égard des pauvres sur leur accession toujours repoussée à la richesse. L'Etat avait tenté d'acheter la passivité de ces mineurs qui s'étaient déjà montré pour lui si dangereux, en leur permettant d'accéder plus que d'autres aux divers produits de la marchandise... A la grande surprise des spécialistes de la planification de l'apparente "paix sociale", voilà que les mineurs se débarrassent de leur vidéo, de leur voiture, et se montrent prêts aux plus belles décisions pour conquérir une communauté qui n'était jusqu'alors que simple décor de leur vie. "La manière dont je regarde ma télé et ma vidéo fait que s'il arrivait qu'elles brûlent, j'aurai gagné un moment de sommeil... Ce qui importe c'est la façon dont vous réagissez quand vous avez le dos au mur" (Keith Boyes, Malt by miner).

D'un coup cette communauté abstraite, où chacun vivant chez soi, en connaissait l'existence, devient une arme, un programme. L'inacceptable humiliation que signifiait la fermeture des puits se transforme en une volonté de mettre fin à toutes les humiliations. Et cette volonté est totalement inconciliable avec les formes dorénavant archaïques de cette communauté passée. Dans toutes les zones minières un point de non-retour a été atteint "Plus jamais nous ne retravaillerons avec un jaune".
Mais cette guerre contre les scabs n'est pas une simple division entre les mineurs. Il s'agit de toute une population qui commence à en finir avec son état de simple objet destiné aux besoins de l'économie, et qui en découvrant chaque jour l'usage et les développements de la richesse réelle s'affronte aux défenseurs et aux gestionnaires de l'Etat: scabs, flics, journalistes, hommes d'Etat réunis.

Après avoir tenté de supprimer l'action des pickets volants dans les premiers jours de la grève, le NUM (syndicat des mineurs) s'est trouvé contraint de les revendiquer, espérant ainsi circonscrire la violence qui commençait à s'organiser partout, dans un rapport strictement ouvrier. Ce qui se développe dans toutes les régions en grève n'est pas prêt de satisfaire la soif de richesses des prolétaires: les ardoises sont longues et les comptes commencent à se règler. Les scabs ne sont plus en sécurité nulle part et chaque face à face pickets flics tourne à l'affrontement. Plusieurs puits ont d'ores et déjà été inondés et rendus définitivement inexploitables après que des pickets aient enlevés les couvertures de sécurité ( Polkemmet, le plus important puits d'Ecosse dont la production alimentait la centrale de Ravenscraig est définitivement saboté après que 6 scabs aient tenté de reprendre le travail). A Hemsworth, Maltby, Armthorpe, Mexborough... ( Yorkshire), Garv, Betws (Pays-de-Galles), Easington (Durham) et d'ailleurs les commissariats ont été attaqués à plusieurs reprises, les commerçants refusant de faire crédit, assiégés et dépouillés...

Dans ce fantastique combat que mènent actuellement les prolétaires des bassins miniers du Yorkshire, du Pays-de-Galles, d'Ecosse, du Durham, du Northumberland, du Derbyshire, du Kent, des Midlands, se pose avec une violence qui ne cesse d'être scandaleuse, la question de leur dignité totalement incompatible avec l'ordre, auquel l'associent généralement les staliniens.
Cette même exigence, qu'avaient portée à son plus haut point d'affrontement contre les jaunes et les syndicats, les prolétaires de Talbot en décembre 1983-janvier 1984 s'était finalement laissée écraser dans l'isolement.

"Comme à Brixton" disait un picket lors des affrontements du 21 août à Brodsworth (Yorkshire). Et à Brixton chaun se prépare joyeusement aux coupures de courant (les villes se dégarnissent de leurs effectifs policiers envoyés massivement dans les bassins - les dépenses qu'occasionne pour l'Etat cette mobilisation massive empêchent financièrement dans l'immédiat tous nouveaux recrutements). Les mineurs se frottent les mains de cette alliance qui s'élabore et qui déjà se développe quasi-quotidiennement dans les quartiers prolétaires des métropoles anglaises: le 16 août, dans Railton Road (Brixton) un contrôle de flics se transforme en affrontement; une barricade est dressée: à Lime House (East End de Londres), fin août à l'occasion du passage d'un cirque, un kid allume avec un fusil à air comprimé des bobbies assistant au spectacle; tentative d'arrestations, la population attaque les flics, appel de renforts, déroute des cops qui emmènent leurs blessés. Des situations similaires se passent à Liverpool, Manchester, Bristol, Birmingham...

L'ouverture d'un second front va se généraliser dans les semaines à venir. L'exigence de dignité dont s'arment les prolétaires des bassins miniers, depuis maintenant 7 mois, est exactement la même qu'avaient commencé à développer les superbes émeutes de 1981. Cette exigence est l'exigence générale des prolétaires.

DES PROLETAIRES
Paris, 15 septembre 1984

La brochure est illustrée d'articles du Guardian, du Times, du Daily Telegraph... sur les événements.
Sur une photo prise dans une rue très british, une femme court avec un pied nu (magnifique foulée !), elle se précipite sur un scab (un jaune,) sa chaussure à la main, et s'apprête à lui assener un coup sur la tête.

Une autre photo: une voiture sur le toit devant un immeuble en briques dont les vitres sont cassées.
La légende < Un picket: "Quand les journalistes viennent au village et demandent: "Où sont les hooligans ?", nous nous regardons et disons: "Hum, hum, ça doit être nous".

J'essaierai un jour de trouver le temps de taper la deuxième brochure datée de janvier 1985 (47 pages au lieu de 12 pour celle-ci).
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Johan le Dim 24 Oct 2010 18:11

Voici un extrait de "La grève générale et la question du pouvoir" de Stéphane Just sur la grande grève générale de l'hiver 60-61 en Belgique.
Un bel exemple de trahison, de gâchis alors qu'un réel potentiel révolutionnaire se profilait. Et ce par toutes les forces politiques du pays, de la bourgeoisie à la gauche en passant par les directions syndicales.

La Grève Générale en Belgique (1960-1961)

La grève générale belge qui a duré du 20 décembre 1960 au 20 janvier 1961 est une autre de ces explosions au cours desquelles était posée la ques­tion du gouvernement, du pouvoir. Au point de départ de la grève générale, le projet de loi du gouvernement Eyskens dit « loi unique » :

« Pour donner une idée de l'ampleur du projet mis sur pied par le gouvernement Eyskens, voici quelques‑unes des mesures prévues par cette loi :
• La loi unique porte de 40 à 50 % la part du financement par l'État des investissements privés.
• 85 % des nouveaux impôts de la loi unique proviennent de la fiscalité indirecte, qui pèse plus lourdement sur les travailleurs que sur les autres couches sociales.
• Augmentation de 20 % des taxes de transmission, qui doit rapporter 5,7 milliards, dont les travailleurs paieraient la plus grande partie sous forme d'une augmentation de prix; cette augmentation étant d'ailleurs calculée de manière à ne pas provoquer la hausse de l'index, qui entraîne une hausse correspondante des salaires.
• Réduction de 1 milliard du fonds des communes et de 2 milliards du budget des secteurs sociaux.
• Augmentation de 25 % des cotisations de pension à la charge des agents des services publics. Pour ces mêmes agents, la loi unique prévoit le recul de l'âge de la retraite de 60 à 65 ans.
• Enfin, la loi unique remet en cause tout le système d'assurance maladie‑invalidité, et celui de l'assu­rance chômage, en permettant de pri­ver de secours certaines catégories de chômeurs au bout de quelques mois, et en établissant un système d'inquisi­tion à l'égard des chômeurs, soumis à de multiple mesures vexatoires et à des visites domiciliaires. »
(brochure de la SPEL sur la grève générale belge).

Le 16 décembre 1960, au comité national de la Fédération générale des travailleurs belges (FGTB), une réso­lution déposée par Renard obtient 475 823 contre 496 487 et 53 000 abstentions. Elle propose des débrayages régionaux, une grève générale de vingt‑quatre heures et un référendum sur la grève générale contre la loi uni­que. Compte tenu de ce que ce sont les dirigeants qui disposent des voix au comité national, cela signifie que la grande majorité des travailleurs belges étaient pour la grève générale. La Cen­trale générale des services publics appelle le 12 décembre à une grève illi­mitée à partir du 20 décembre, date de l'ouverture à la Chambre de la discus­sion de la loi unique. La grève est partout très largement suivie. Toutes les corporations s'engagent spontané­ment au cours des jours suivants dans la grève générale : la totalité des tra­vailleurs flamands, les secteurs décisifs d'Anvers et de Gand. Les 27 et 28 décembre, la grève générale atteint son sommet, le gouvernement est impuissant, paralysé, la grève générale est maîtresse du pays. Mais si certains dirigeants fédéraux ou locaux de la FGTB sont contraints de donner l'ordre de grève, seules les directions régionales wallonnes et celle d'Anvers donnent l'ordre de grève. La direction de la FGTB se refuse à lancer l'ordre de grève générale. Quant à la centrale syndicale chrétienne, elle joue ouvertement son rôle de jaune et de briseuse de grève.

Mais, à partir du 28 décembre, la grève doit déboucher sur le plan politique dans la lutte ouverte pour renverser le gouvernement, ou piétiner. Spontanément, les travailleurs dans les meetings et manifestations de rue fixent eux-mêmes le prochain objectif à atteindre : la marche sur Bruxelles, c’est‑à‑dire l'affrontement direct avec l'appareil d'État bourgeois dont les organes dirigeants, gouvernement, Parlement, sont tous concentrés dans la capitale.

De la bourgeoisie à la gauche du mouvement ouvrier, la garde est montée autour du gouvernement, du pouvoir, de l'État. Le gouvernement a mis le Parlement en vacances, le Parti socialiste et le Parti communiste belges « mènent la lutte pour sa convocation ». Les dirigeants de la FGTB s'opposent à la « marche sur Bruxelles » et également le leader de la « gauche », André Renard. Le 3 janvier, au cours d'un meeting, il condamne publiquement l'exigence des manifestants qui crient : « Marche sur Bruxelles ! » Pis encore, Renard met en avant des revendications propres à diviser les travailleurs flamands et wallons : « le droit pour la Wallonie de disposer d'elle‑même et de choisir les voies de son expansion économique et sociale » pour appliquer des « réformes de structure ». Quant à Mandel, il s'aligne sur André Renard. « La Gauche » du 14 janvier 1961 écrit :

« Il nous est reproché d'avoir lancé le mot d'ordre de marche sur Bruxelles. ( ... ) Comme nous constatons que cette revendication n'a pas été reprise par les dirigeants, nous nous inclinons, mais nous rappelons que, au moment où notre annonce de la semaine passée a paru, aucune indication n'était encore donnée à ce sujet. »

Dès lors, le mouvement décline, les travailleurs belges n'ayant pas les moyens organisationnels et politiques d'aller plus loin. Les comités de grève sont constitués uniquement de dirigeants syndicaux. Ce sont les directions syndicales de la FGTB, sous la houlette d'André Renard, qui se sont constituées en comité de coordination des régions wallonnes. Il n'existe pas de parti ou même d'organisation politique révolutionnaire capable d'intervenir efficacement dans la grève générale et d'ouvrir la voie du combat contre le gouvernement et pour un gouvernement ouvrier. André Renard estime que la grève générale est « une grève économique qui fait peser une pression sur le capitalisme et l'État ». A partir du 7 janvier, la grève décline. Le gouvernement a convoqué la Chambre, qui adopte le 14 la loi unique. Le 21 janvier, les derniers grévistes, les 120 000 métallurgistes des bassins de Liège et de Charleroi, reprennent le travail.


Quand on sait ça, la chanson "La vie s'écoule" (sur la grève de 60-61) prend tout son sens...
La vie s'écoule la vie s'enfuit
Raoul Vaneigem

La vie s'écoule la vie s'enfuit
Les jours défilent au pas de l'ennui
Parti des rouges parti des gris
Nos révolutions sont trahies

Le travail tue le travail paie
Le temps s'achète au supermarché
Le temps payé ne revient plus
La jeunesse meurt de temps perdu

Les yeux faits pour l'amour d'aimer
Sont le reflet d'un monde d'objets
Sans rêve et sans réalité
Aux images nous sommes condamnés

Les fusillés les affamés
Viennent vers nous du fond du passé
Rien n'a changé mais tout commence
Et va mûrir dans la violence

Tremblez repères de curés
Nids de marchands de policiers
Au vent qui sème la tempête
Se récoltent les jours de fête

Les fusils vers nous dirigés
Contre les chefs vont se retourner
Plus de dirigeants plus d'état
Pour profiter de nos combats

La vie s'écoule la vie s'enfuit
Les jours défilent au pas de l'ennui
Parti des rouges parti des gris
Nos révolutions sont trahies

Dernière édition par Johan le Dim 24 Oct 2010 18:41, édité 1 fois.
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede BlackJoker le Dim 24 Oct 2010 18:40

Des photos de du mouvement de grève outre manche ( 84-85, mais pas sure du tout pour toutes les photos, je préfère pas trop m'avancer ) en attendant que je mette les articles en question ( très longs d'ailleurs...)

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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede fu hsang le Mar 26 Oct 2010 13:02

chopé ça sur le site de l INA
le gars parle de 3 greves
1936 /1953 'sur les retraites , en plein mois d aout et sur celle de 66

http://www.ina.fr/economie-et-societe/v ... 66.fr.html

pour les textes que je veux mettre en ligne ça va prendre du temps ^^
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede pit le Lun 1 Déc 2014 14:46

Samedi 6 décembre à Saint-Denis

Plus noir dans la nuit,
la grande grève des mineurs de 1948

Dominique Simonnot sera l' invitée de Radio Libertaire et signera son livre sur les grèves de 1948 : "Plus noir dans la nuit" de 10h à midi à la Librairie "La folie d'encre" 4 Place du Caquet à Saint-Denis (Metro Basilique)

« Reviennent alors la rudesse de ces jours, la cruelle répression, les licenciements, la prison, et ce chef, le congédiant, d'une joie mauvaise [...] : « Moi vivant, t'auras plus de boulot ! » Il revoyait Simone, lui et leur bébé, brutalement expulsés du logement des Mines, empilant leurs biens dans une charrette à bras, et traversant la cité dans cet équipage, puis errant du logis d'un ami à celui d'un parent ; il repensait à la 'Bataille du charbon' gagnée grâce à eux, les ouvriers, il repensait à leur Résistance, ainsi gratifiée. Plus Georges fouillait dans ses papiers, plus il les rassemblait, les relisait, plus le courroux d'alors lui revenait, intact, comme au jour de son arrestation, et plus il y pensait, plus il se disait que, décidément, il lui était impossible d'en rester là. »

Le récit d'une injustice.

Plus noir dans la nuit relate une page oubliée de l'épopée des mineurs : la grande grève de 1948, la répression brutale qui suivit. Six morts, deux mille arrestations, autant de condamnations à la prison et des centaines de vies brisées. Norbert, Colette, Jeanne et les autres, qui ont vécu ces grandes heures de la mythologie ouvrière, racontent ici un monde à jamais englouti, un monde terrible et fraternel, et leur fureur d'en avoir été exclus.


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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede pit le Jeu 3 Sep 2015 15:35

Août 1935 : émeutes ouvrières à Brest contre les baisses de salaires

Il y a 80 ans Brest était le théâtre de plusieurs journées d’émeutes contre un ensemble de mesures que l’on qualifierait aujourd’hui « d’austérité » ; l’occasion pour brest.mediaslibres de revenir sur un épisode méconnu de l’histoire de cette ville.

Les articles retracent le fil des journées du 5 au 10 août 1935, qui voient une partie de la population ouvrière de la ville de Brest se soulever contre des baisses de salaire imposées par le gouvernement. La lutte, menée par les ouvriers de l’arsenal, se traduira notamment par de violents affrontements avec la police et l’armée, faisant plusieurs morts et des centaines de blessés.

« Ces journées d’émeutes ne sont pas l’histoire d’une autre époque à commémorer tous les ans, c’est l’histoire d’un des nombreux combats contre l’oppression mené par les oppressés eux même, un combat émancipateur, pour une société plus juste, un combat qui est toujours d’actualité, et n’est pas une relique du passé. »

Août 1935 — Émeutes à Brest : Pourquoi en parler ? (Partie 1/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article100

Août 1935 — Émeutes à Brest : Contexte politique et local (Partie 2/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article101

Août 1935 — Émeutes à Brest : La mort de Joseph Baraër (Partie 3/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article102

Août 1935 — Émeutes à Brest : La journée du 7 août (Partie 4/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article103

Août 1935 — Émeutes à Brest : Funérailles, répression et vengeance (Partie 5/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article104

Août 1935 — Émeutes à Brest : Retour sur … (Partie 6/6)
http://brest.mediaslibres.org/spip.php?article105
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Zoom le Mer 2 Déc 2015 15:38

Décembre 1995

En novembre-décembre 1995, la France était paralysée par le mouvement de grève le plus massif enregistré depuis Mai 68. Mais il s’agissait de bien davantage que d’une simple cessation de travail. Le mouvement a été empreint d’une forte dimension politique, symbolique et sociale, et ce n’est pas un hasard si dès les semaines suivantes, on parlait déjà de « Décembre 95 ».

Dossier : http://www.alternativelibertaire.org/?Decembre-95
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede pit le Mer 23 Déc 2015 22:25

Ils ont eu le courage de dire « non » : Les mutins de la mer Noire (1919)

En juin 1918, alors que l’issue de la Grande Guerre est encore incertaine, les forces de l’Entente décident d’intervenir en Russie afin d’apporter leur soutien au mouvement contre révolutionnaire et d’ainsi mettre à bas le jeune régime bolchevique. Des troupes sont notamment envoyées en Méditerranée orientale ainsi qu’en mer Noire. C’est là, que quelques mois plus tard, une mutinerie va toucher plusieurs navires de la flotte française. Pour les marins, les motifs de révolte sont alors multiples : soutien à la révolution russe, incapacité à comprendre le sens de leur présence dans une guerre civile qui ne les concerne pas, dureté de la vie quotidienne, lassitude ou encore volonté de rentrer en France, sont leurs principales motivations. La force des mutins d’avril 1919 est justement d’avoir su faire converger leurs volontés personnelles afin d’unir leurs forces et d’agir collectivement. Si l’impact de ce mouvement est à relativiser, il n’en reste pas moins l’un de ces moments de notre histoire, où des individus unis ce sont courageusement mobilisés pour défendre leurs volontés et sont ainsi parvenus à faire trembler le pouvoir en place.

... https://matthieulepine.wordpress.com/20 ... oire-1919/
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede pit le Sam 27 Fév 2016 20:41

" Vive la sociale"

Souvenirs du mouvement de 1995

Il y a vingt ans, en décembre 1995, un important mouvement de grèves et de manifestations contre le "plan Juppé" (réforme de la Sécurité sociale et des régimes publics de retraite, entre autres) a secoué le pays pendant trois semaines. C’est à cette occasion qu’est né à Paris le collectif interprofessionnel du 18e, qui a donné naissance à l’émission « Vive la sociale » sur FPP. Pour fêter nos vingt ans, nous avons donc invité plusieurs membres de cet ancien collectif, avec lesquels nous faisons revivre nos souvenirs de ce grand moment de lutte collective que certains considèrent comme le "premier mouvement social contre la mondialisation", mais que les grands médias ont préféré oublier.

Après un rapide historique des prémices, puis du déroulé des grèves et des manifestations, chacun évoque les moments forts de la mobilisation tels qu'il les a vécus dans son secteur, ainsi que les initiatives de contacts interprofessionnels et d'ouverture à la population du quartier qui ont été une des forces de ce mouvement porté par l'idée que c'est "tous ensemble" qu'on peut gagner.

Emission à écouter : http://www.vivelasociale.org/les-emissi ... nt-de-1995
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede pit le Jeu 21 Avr 2016 21:36

Répression policière à La Belle Époque

Les Amis d’Orwell ont reçu vendredi 8 avril Anne Steiner, sociologue et auteure de plusieurs ouvrages sur les grèves et émeutes au début du xxe siècle.


830 grèves en 1905, 1306 grèves en 1906… dans la décennie qui précède la 1re Guerre Mondiale, le peuple des villes et des campagnes se soulève pour améliorer ses conditions de travail et de vie. Anne Steiner, sociologue à Paris X Nanterre, a écrit deux ouvrages sur les luttes sociales à cette période : Le Goût de l’émeute (éditions L’Echappée, 2012) et Le Temps des révoltes (L’Echappée, 2015). Le premier livre retrace les manifestations et violences de rue à Paris et en banlieue, le second nous immerge, à partir des cartes postales, dans un milieu rural insoumis.

Durant La Belle Époque (1879-1914), la République s’installe au pouvoir et la gauche arrive au gouvernement. Clemenceau est nommé ministre de l’Intérieur en 1906, puis devient président du Conseil. Le monde du travail change, se modernise : artisans et ouvriers voient leur métier évoluer vers plus de spécialisation, rendant leur activité moins intéressante. Les usines se développent et les conditions de travail se dégradent. La CGT, composée de nombreux anarchistes, rêve de grève générale. Les grèves se multiplient et la solidarité des classes populaires permet aux travailleurs de tenir grâce aux soupes populaires.

Les grévistes doivent affronter les "jaunes", envoyés sur les postes de travail par les patrons. Les manifestations sont interdites à cette époque et elles se transforment souvent en émeutes, violemment réprimées par la police et l’armée. Le peuple se sert parfois de révolvers dont la possession est autorisée. Il n’hésite pas à tirer sur la police ou les patrons, à monter des barricades. Les pétards font peur aux chevaux des hussards et autres dragons. L’armée et la police chargent, utilisent des sabres au clair qui occasionnent de nombreuses blessures et mutilations chez les manifestants. On compte les morts, les arrestations.

Ecouter l’émission : http://amaanda.free.fr/2016Orwell/Orwell20160408.mp3

Les Amis d’Orwell, un vendredi sur deux de 21 h à 22 h 30 sur Radio libertaire (89.4)

http://souriez.info/Repression-policiere-a-La-Belle
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede pit le Mer 27 Juil 2016 21:21

Révolte ouvrière à Saint-Nazaire en 1955

En 1955, la classe ouvrière montre toute sa puissance politique au cours de la grève de Saint-Nazaire. Des pratiques de lutte spontanées se développent.

C’est la classe ouvrière qui se trouve au cœur des luttes sociales au XXe siècle. Les prolétaires disposent d’une longue histoire de grèves et de révoltes. Louis Oury propose son témoignage sur les luttes ouvrières dans son livre Les Prolos. Il évoque notamment le puissant mouvement de grève qui éclate à Saint-Nazaire en 1955. Il retrace cet évènement à travers son regard de jeune ouvrier pas encore politisé.

... http://www.zones-subversives.com/2016/0 ... -1955.html
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede Zoom le Jeu 29 Déc 2016 18:41

Décembre 1986-Janvier 1987 : La plus longue grève du rail

La grève de novembre-décembre 1995 demeure un exemple, parfois mythifié, de mouvement social dans lequel les cheminots et les cheminotes ont tenu une place prépondérante. Mais celle de décembre-janvier 1986/87 fut sans doute plus importante, par le renouveau qu’elle apportait et par ses conséquences dans les pratiques syndicales.

Si la grève de 1995 a existé, c’est parce que le mouvement de 1986/87 l’a préparé, à travers tout ce qu’il a porté et s’est retrouvé au cœur du mouvement social durant la décennie qui suit. « Fruit d’années de construction par des équipes militantes CFDT et parfois CGT, la grève de décembre 1986-janvier 1987 marque un tournant important en termes de démocratie dans la lutte, de démocratie syndicale, par la place conquise par les assemblées générales. C’est aussi une rupture avec la litanie des grèves carrées sans perspective, un retour à l’action directe par l’occupation des voies et des locaux de travail, l’instauration d’un contrôle de la base sur les négociations, la naissance des coordinations, etc. » [1].

Le mouvement qui a paralysé la SNCF durant près d’un mois s’inscrit dans la suite directe de la grève et des manifestations contre le projet de loi Devaquet. Nombre d’équipes syndicales ont relayé les informations sur ce mouvement et participé aux manifestations ; une partie non négligeable de la population cheminote s’y retrouvait d’autant plus qu’elle avait un point commun avec les étudiants et les étudiantes : la jeunesse. La période 1973/83 avait vu un très fort renouvellement du personnel SNCF.

La grève avant la grève

La longue grève inter-catégorielle se situe dans la suite directe d’un mouvement entamée deux semaines auparavant, par les vendeurs et vendeuses SNCF. Sur l’initiative des agents des gares de Paris-Saint-Lazare et Paris-Lyon, où les équipes syndicales CFDT [2] sont particulièrement actives, ils et elles ont construit un mouvement fort, reconductible et original : la grève des réservations, en réaction à la décision patronale de leur supprimer une indemnité. La réservation, devenue obligatoire pour les TGV mais encore facultative pour les autres trains, était une prestation différente du « billet de train » lui-même. Ce n’est que pour celle-ci que les agents commerciaux utilisaient le système informatique, auquel était liée cette indemnité. D’où l’idée : « puisque la direction veut nous supprimer l’indemnité de saisie, nous ne faisons plus de réservation » ; action illégale mais dont le caractère massif permis de repousser les menaces de sanction et … de gagner le maintien de l’indemnité de saisie pour (au moins) 30 années supplémentaires. Durant deux semaines, les agents commerciaux se réunissent chaque jour lors d’une assemblée générale tenue sur une heure de grève, décident des actions complémentaires à leur « grève des résas », choisissent et mandatent les délégations qui rencontrent la direction, se coordonnent directement de gare à gare : ils et elles exercent la démocratie syndicale et ouvrière au quotidien. Dans plusieurs régions, le mouvement s’élargira à quelques autres services, également concernés par l’indemnité de saisie [3]. A compter du 17 décembre, la CGT appelle à cesser la grève dans plusieurs gares, position confirmée par un tract fédéral le l8 ; au contraire, dans la même période, des A.G. de vendeurs et vendeuses soutenues par les syndicats CFDT locaux, décident de passer de la grève des réservations à la grève totale. Car l’histoire se construit aussi du côté des agents de conduite de Paris Nord…

Le syndicat est l’outil des travailleurs et des travailleuses…

Début décembre, un groupe d’agents de conduite de Paris-Nord a lancé une pétition, reprenant un cahier revendicatif ancré dans la réalité et mettant en avant la volonté de partir en grève pour le faire aboutir. Proposition est faite à toutes les fédérations syndicales de venir discuter de cette initiative lors d’une assemblée générale. Seule la fédération CFDT sera présente. Michel Desmars [4] prend l’engagement, non seulement d’appuyer la démarche régionale mais de l’amplifier en la relayant auprès de toutes les collectifs locaux CFDT, en incitant à l’organisation d’Assemblées Générales dans tous les dépôts dès que la grève aura démarré à Paris-Nord. Les revendications [5] n’ont rien de révolutionnaires, ce qui l’est plus est leur adéquation avec ce que pense la très grande majorité des cheminots et des cheminotes d’une part, l’utilisation dynamique qu’en fait la CFDT Cheminots d’autre part.

Le 18 décembre la grève démarre à Paris Nord, l’action s’étend le jour même sur l’ensemble du réseau Nord. Le 19, les dépôts de Paris Sud Est, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse se mettent en grève. Le 20 au matin, 70 dépôts sur 94 sont en grève ; le soir, 93. L’extension à d’autres secteurs commence et se généralise à compter du lundi 22. La direction joue la division, multiplie les réunions pour se concilier l’appui de quelques fédérations (CFTC, FO, FMC, CGC), sans répondre aux revendications des grévistes dont les A.G. repoussent ces provocations. Le 29 décembre marque le point le plus fort de la grève ; à partir de là, le mouvement se renforcera dans les établissements où il n’était pas encore majoritaire mais ne touchera pas les quelques services qui n’étaient pas vraiment entrés dans l’action. Durant trois semaines, la direction SNCF fera appel à de très nombreuses reprises aux forces dites de l’ordre, pour faire évacuer les voies, disperser des piquets de grèves, mettre un terme aux occupations de locaux de travail.

A la base, une pratique démocratique et unitaire

Tout au long du mouvement, la CFDT est à l’initiative, tout en promouvant la démocratie et le rôle des assemblées générales. La fédération fait circuler l’information en temps réel, tant sur la réalité de la grève que sur les négociations, les équipes locales défendent la primauté des assemblées générales, souvent contre la CGT, parfois contre des groupes politiques qui prétendent dicter aux grévistes la marche à suivre. Ce n’est pas un long fleuve dans tranquille dans la CFDT : les tiraillements sont forts avec la Fédération Générale des Transports et de l’Equipement qui défend une ligne plus modérée et tentera de l’imposer, via la presse, par-dessus la Branche fédérale cheminote ; quand à la confédération, début janvier, elle dénoncera publiquement la poursuite de la grève. Le rôle de la CFDT Cheminots, dans laquelle se retrouve nombre de militants et militantes révolutionnaires, a été très important. Il prend sa source dans l’activité menée depuis des années, en animant de nombreuses luttes locales, des structures syndicales locales, régionales et nationales, des regroupements intersyndicaux ou encore l’opposition au sein de la CFDT. Mais la grève de 1986/87 résulte aussi de dynamiques unitaires à la base. En témoigne Jaques Hais, alors un des animateurs du syndicat CFDT de la région rouennaise : Une tradition unitaire existait depuis longtemps sur l’agglomération rouennaise, des rencontres, des bulletins de boites, des actions étaient régulièrement réalisés par des cheminots syndiqués à la CGT, à la CFDT ou non syndiqués. Cette génération ne se reconnaissait pas dans le syndicalisme tel qu’il était, elle refusait la division syndicale ainsi que les divisions catégorielles.

En 1975 une trentaine de cheminots créent un modeste bulletin de 4 pages « La Basse Tonne » ; peu après, le Comité Unitaire de Mobilisation des Cheminots (CUMC) est créé ; il préconise la lutte autrement que par des grèves de 24 heures à répétition et affirme la nécessité de l’unité syndicale large ; le CUMC s’exprime par tracts et pétitions, son audience est d’environ 500 personnes sur l’agglomération rouennaise. La 3ème tentative de regroupement unitaire à la base se fera autour du journal « Rail Bol ». Vendu à 500 exemplaires, il sera édité de mai 1985 jusqu’à mi-1986. Les mêmes personnes impulsent des actions de soutien au niveau international : soutien à Solidarnosc, soutien au Nicaragua, soutien aux mineurs anglais, etc. »

La CGT combat la grève puis son auto-organisation

La fédération CGT s’oppose à la grève reconductible ; pour éviter la jonction, elle a appelé les agents commerciaux à cesser le mouvement juste avant le démarrage de la grève des agents de conduite. Surtout, durant les premières jours, elle organise des piquets antigrève dans plusieurs dépôts et freinent toute extension à d’autres catégories. Dépassée par la dynamique lancée, elle doit finalement soutenir le mouvement, mais multiplie les avertissements sur « les dangers de cette grève au moment des fêtes de fin d’année ». Lorsque se créent des coordinations, au lieu de mener le débat, de pointer les insuffisances, les contradictions voire les manipulations, la fédération CGT se contente de les dénoncer par principe. Dans de très nombreux sites, les militants et militantes CGT sont désarçonnés par la pratique des assemblées générales quotidiennes : alors que c’est un lieu vivant, interactif, créatif, ils et elles se contentent d’y lire le communiqué fédéral du jour et s’arc-boutent sur des positions parfois totalement étrangères aux participants et participantes aux assemblées générales. La CGT fera ultérieurement le bilan de cette grève, en tirera des enseignements, mais cet épisode important est un des éléments qui expliquent pourquoi le choix de cette organisation était impossible pour les milliers de cheminots et cheminotes quittant la CFDT quelques années plus tard, en janvier 1996.

Les coordinations

Pour la majorité des grévistes, ce sont les assemblées générales qui décidaient et il revenait aux fédérations syndicales de coordonner la lutte. En Normandie, Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées, Auvergne, les comités de grèves locaux s’organisent à l’échelle régionale. Mais deux coordinations nationales sont mises une place : une concernant les agents de conduite, dans la suite de l’appel des grévistes de Paris-Nord ; l’autre, inter-catégorielle, basée sur la région Paris-Sud-Ouest. La CGT dénonce les deux. Au sein de la CFDT, la coordination inter-catégorielle est un sujet polémique : le choix de ses animateurs, responsables CFDT de Paris-Sud-Ouest, de dénoncer « les syndicats » y est pour beaucoup, ainsi que l’attitude de militants et militantes de Lutte Ouvrière qui investissent cette coordination nationale sans le moindre mandat de leur assemblée générale. La division sur ce sujet affectera aussi le mouvement libertaire : les militants UTCL, fortement impliqués dans la fédération CFDT, sont dénoncés par ceux de l’OCL et la FA. Si elles ont été médiatisées et étaient indéniablement une des facettes de la recherche d’auto-organisation du mouvement, les coordinations n’ont pas été l’élément décisif : ce sont les assemblées générales, quotidiennes et organisées par collectifs de travail, qui ont joué ce rôle. Il n’en reste pas moins que le phénomène marquera de nombreuses luttes des années qui suivent : dans l’éducation, dans la santé, jusqu’à la coordination des « camions jaunes » de la poste qui aboutira à la création de Sud PTT.

Fin de la grève

Le 31 décembre au soir, la bataille contre le projet de nouvelle grille salariale est gagnée ; les autres revendications ne sont pas satisfaites. La grève est reconduite. De nouveaux acquis, insuffisants, sont engrangés le 8 janvier. La grève se poursuit, mais la fatigue, les divisions, les faiblesses interprofessionnelles finiront par l’emporter. La reprise décidée au dépôt de Chambéry le 9, marque le début du reflux ; mais ce n’est que le 14 que la grève nationale prend réellement fin [6]. Le projet patronal de grille salariale a été retiré ; celle alors en vigueur l’est restée jusqu’à la négociation d’une nouvelle, applicable au 1er janvier 1992 (toujours en fonction aujourd’hui). L’indemnité de saisie est maintenue, son application est élargie, une nouvelle indemnité est crée pour les vendeurs et vendeuses ne travaillant pas sur informatique. De nombreux articles de la réglementation du travail sont améliorés.

20 ans plus tard, Jean-Michel Dauvel qui en 1986 travaillait au dépôt de Sotteville et était animateur du syndicat CFDT et de la coordination nationale des agents de conduite, résumait ainsi : « Ce qui restera dans l’imaginaire cheminot, plus que l’idée de victoire, c’est la conviction d’une fierté retrouvée : nous avons, dans la durée, égalé et dépassé nos aïeux de la grande grève de 1920. Nous avons su, contre le gouvernement et la direction, malgré certaines fédérations syndicales, construire un outil de lutte géré de bas en haut. Ce modèle sera repris lors des luttes des instituteurs et institutrices en 1987, puis des infirmières et des infirmiers en 1988. Vingt ans après, les syndicats ont (un peu) évolué, les assemblées générales sont devenues incontournables. Pour autant les syndicalistes révolutionnaires ont encore à se battre pour le maximum d’autonomie et d’initiative à la base. Ils ont encore à promouvoir la nécessité d’une organisation permanente (ça s’appelle un syndicat) gérée de bas en haut. Ils ont encore à lutter pour l’autogestion des luttes, « gymnastique » préalable à la reprise en main de l’outil de travail, prélude à l’autogestion de toute la société ! ». 10 ans de plus ont passé, le constat et les espoirs demeurent.

Christian (AL Banlieue Sud-est)


[1] « Grève des cheminots et cheminotes de 1986 et 2016 ; et si on parlait de grève reconductible ? » ; Ce dossier, avec des contributions de Mathieu Borie, Jacques Hais, Christian Mahieux, Frédéric Michel et Julien Troccaz, figure dans le numéro 3 de la revue Les utopiques, paru en octobre 2016 (Cahiers de réflexions de l’Union syndicale Solidaires : http://www.editions-lesutopiques.org )

[2] En janvier 1996, le syndicat CFDT de la Région de la Gare de Lyon sera le premier à fonder SUD-Rail, en votant sa désaffiliation par 94% des mandats de ses 700 membres ; celui de Paris-Saint-Lazare suivra majoritairement quelques jours plus tard.

[3] Les Centres Information Triage et Centres Information Séjour, chargés du suivi des wagons et voitures SNCF sur l’ensemble du réseau national.

[4] Michel Desmars est alors l’un des secrétaires de la fédération des cheminots CFDT, où il est notamment chargé du Groupe Technique National Agents de Conduite. L’équipe fédérale CFDT avait été largement renouvelée lors du congrès tenu deux mois plus tôt. Plusieurs des membres, particulièrement présents dans le mouvement de 1986/87, feront partie des fondateurs de SUD-Rail en janvier 1996.

[5] Elles portent sur le refus du projet patronal de grille des salaires qui diminue considérablement la part d’avancement à l’ancienneté, sur l’amélioration du déroulement de carrière, des primes et des conditions de travail, et sur la dénonciation de la médecine répressive.

[6] Dans quelques sites, ce sera le 15. A partir de là, des situations locales amènent aussi des militants et militantes à se trouver en « absence irrégulière » … contrairement à toute la période précédente, comptée en « grève » alors qu’il n’y avait aucun préavis rendant légalement valide cette grève ! Comme quoi, le rapport de forces…

http://www.alternativelibertaire.org/?D ... 87-La-plus
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Re: Petites histoires des grandes grêves du passé

Messagede pit le Mar 3 Jan 2017 03:54

Le libertaire Hors série spécial « Grande grève de la Métallurgie au Havre »

Nous mettons à la disposition de nos lecteurs un numéro Hors série de notre journal « le libertaire » consacré à la grande grève de la métallurgie au Havre en 1922. De superbes phots…Et l’armée française, cette ennemie des travailleurs, qui occupe la Bourse du Travail, le Cercle Franklin au Havre.

Lib Hors-Serie Grève 1922 (1) : http://le-libertaire.net/wp-content/upl ... s-Serie-Grève-1922-1.pdf
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