INTRODUCTION
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1953. Un Président de la République, Vincent Auriol; un gouvenement Laniel avec des ministres Edgar Faure, Georges Bidault, François Mitterrand, René Pleven... etc. Une brochette bien fournie de marionnettes qui se succèdent chacune leur tour sur le théâtre de la IVe République et pour certains, de la Ve. Elles partent, reviennent, partent de nouveau, et réapparaissent encore avec à chaque fois des "solutions nouvelles pour les problèmes de la France", mais qui font toutes long feu.
1953, c'est la guerre froide: la guerre de Corée ne cesse que le 27 juillet. Une crise à Moscou, où après la mort de Staline, le Maréchal Béria est destitué; à Berlin-Est, grèves et occupations d'usines se multiplient.
En France, on tente de masquer la gabegie politicienne de quelques cocoricos: le 14 juillet verra la plus grand défilé militaire depuis la Libération, et Christian d'Oriola est chanpion du monde de fleuret !
Le problème de l'immigration algérienne trouve une bonne place en première page des journaux: la délinquance, le travail.On croit rêver... il suffit de changer la date ! Le 14 juillet justement, le Parti Communiste organise une manifestation qui est composée pour moitié de Nord-africains, la police charge Place de la Nation: 7 morts dont 5 Algériens.
La guerre d'Algérie non encore inscrite dans l'histoire puisqu'on en date le début en 1954, est pourtant bel et bien là.
En attendant, la bourgeoisie française vient, à la suite d'une enquête ouverte en octobre 1952, de découvrir un "complot communiste": Ducoloné, Baillot, P.Laurent sont détenus; Marty, Guillot, Billoux, Fajon, sont inculpés.
Et puis surtout... La Guerre d'Indochine avec la défaite pour bientôt.
C'est dans ce contexte que Laniel s'offre des Pouvoirs Spéciaux dont l'enjeu est de faire payer à la classe ouvrière l'incapacité de gestion de la crise coloniale, politique, économique.
Et puis, soudain, Le Monde titre, le 7 août: "Brusque flambée d'agitation sociale"
Laniel déclare que "Toute faute de service entrainera des sanctions exemplaires". La grève touche les services publics et regroupe 2 millions de travailleurs, puis 4 millions un peu plus tard. Entre le 21 et le 25 août, patrons et syndicats s'entendent pour faire cesser la grève. FO et la CFTC d'abord, la CGT ensuite. Le jour même de l'accord avec la CGT, les 5 détenus communistes sont libérés. Les "comploteurs" avaient choisi "l'intérêt de la France" contre celui des travailleurs. Ils en étaient récompensés.
.../... J.P.D.
LES GREVES D'AOUT 1953 (extraits)
de Robert Dussart, paru dans Socialisme ou Barbarie n°13 de janvier 1954
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Simultanément au glissement continuel de la politique française vers les solutions les plus réactionnaires, la classe ouvrière se trouvait divisée et démoralisée. Le détachement des ouvriers des organisations traditionnelles se faisait sous la forme d'un abandon pur et simple de la lutte, aucune réaction importante ne se produisait contre les attaques du Patronat et de l'Etat.
Pour utiliser les pouvoirs qui lui avaient été donnés par le Parlement, Laniel et ses conseillers poussèrent l'habileté jusqu'à porter le coup décisif aux fonctionnaires, ces parasites si bien dénoncés lors des précédentes campagnes d'économie, si peu populaires auprès des autres travailleurs et - chacun sait cela - si peu combatifs. Précaution supplémentaire: la date fut choisie pendant la période des vacances. Les stratèges avaient mis tous les atouts dans leur jeu. Et l'opération échoua. Mais les hommes du gouvernement ne furent pas les seuls à être stupéfiés de la tournure que prenaient les événements; les chefs syndicaux ne s'attendaient pas à un tel mouvement et eurent quelque peine à rectifier leur attitude.
La grande surprise d'août 1953 eut ses causes principales dans deux séries de faits. D'abord, les projets visant les fonctionnaires, postiers ou cheminots, venaient après un longue suite de promesses non tenues, de restrictions, de menaces et d'attaques contre cenrtains avantages spéciaux compensant mal le niveau particulièrement bas des salaires dans ces branches. La mesure était comble. C'était oublier que les travailleurs des services publics comme ceux de l'industrie privée, ne sont pas des domestiques résignés, mais des hommes capables de prendre conscience de leur force, de s'organiser, de s'opposer à leurs exploiteurs. (Finalement l'âge de la retraite a bien été fixé d'après un certain rapport de force travailleurs-Etat et non d'après l'allongement de la vie qu'entraine l'emploi des antibiotiques en médecine.) Le patron paternaliste qu'est Laniel pouvait ignorer cela. Mais il est révélateur de leur éloignement des travailleurs que les grandes organisations ouvrières se soient présentées dans un mouvement de cette ampleur avec une telle absence de perspectives.
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Quelle a été l'incidence des changements dans la politique internationale sur le développement des luttes de classes en France ?
Nous devons pour répondre à cette question nous placer dans l'optique même des travailleurs; les changements dans la situation objective internationale ont modifié radicalement la perception qu'ont les ouvriers de cette situation, mais aussi de la leur propre. Dans le bloc américain, jusqu'à ce moment, les luttes ouvrières paraissent avoir comme principal résultat d'aider l'effort de guerre de la Russie; l'absence d'organisation autonome de la classe et la puissance des organisations staliniennes (en France par exemple) renforçaient cette confusion et les organisations réformistes obligées de choisir trouvaient leur place dans cette grande coalition anticommuniste bourgeoise en s'opposant à toute tentative de mouvement social. L'autonomie ouvrière ne pouvait se réaliser que sur un plan très étroitement économique (bien que radical par rapport aux deux blocs en présence) et par ailleurs, des victoires partielles étaient de moins en moins possibles. Si ces facteurs jouaient à long terme dans le sens d'une clarification de la conscience de classe des ouvriers et de l'avant-garde, la perspective immédiate de luttes se trouvait singulièrement bouchée. Au contraire, le ralentissement du cours vers la guerre augmenta pour les ouvriers les chances de s'opposer efficacement à leurs exploiteurs et la possibilité apparut de mener des luttes sans rapport direct avec leur utilisation par les staliniens. L'hypothèse de l'intégration internationale des luttes fut levée ou passa au second plan, les facteurs politiques de division dans la classe ouvrière reculèrent et le rapport de force entre salariés et patrons se trouva de ce fait modifié. C'est dans ce cadre général que les grandes grèves éclatèrent en août 1953.
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Les grèves prirent au début le caractère d'une lutte purement défensive. On sait que les fameux droits - qui ne furent d'ailleurs acquis qu'après de longues luttes - s'intégraient parfaitement dans le mode de fonctionnement des grandes entreprises publiques. Sécurité de l'emploi, retraite assurée, régime d'assurances sociales plus avantageux, étaient effectivement utilisés pour s'assurer la fidélité des fonctionnaires: cheminots, postiers, etc... Mais menacés, ces maigres avantages se transformèrent en motifs de lutte. On doit d'ailleurs noter que c'est dans les secteurs où la concentration et l'industrialisation sont le plus poussées: transports, communications, production du gaz, de l'électricité etc., que le mouvement a pris naissance. Il exista cependant un décalage entre l'éclatement spontané des grèves, leur étendue et leur durée d'une part, les objectifs poursuivis, les moyens mis en oeuvre d'autre part. Ni dans les révendications (maintien du régime antérieur des retraites) ni dans l'organisation des grèves (le plus souvent, pas des comités de grève élus, mais comités formés des différents responsables syndicaux, voire simples comités de coordination inter-syndicaux, absence de manifestations de rue, évacution des chantiers ou bureaux) les grévistes ne manifestèrent une volonté de lutte ferme et claire, ne s'affranchirent de la tutelle des directions syndicales.
Les grèves d'août représentèrent l'opposition de l'ensemble de la classe ouvrière française à la politique de Laniel et consorts. Ce fut donc à ce moment l'ensemble de la classe ouvrière qui ne sut pas dépasser le cadre étroit dans lequel les syndicats avaient enferme les grèves: les travailleurs du secteur public en n'abordant pas franchement les revendications les plus générales, et les autres ouvriers (métallos en particulier), en en reconnaissant pas dans ces grèves la lutte de tous les travailleurs contre leurs oppresseurs. Pourtant malgré l'extrèmeconfusion qui régnait dans l'esprit des grévistes quant aux objectifs finaux, et aux possibilités réelles du mouvement, aucune illusion ne subsistait sur le caractère soit-disant économique et politiquement neutre de la lutte. Les grévistes avaient conscience de l'enjeu politique de la lutte qui les opposait au gouvernement et les plus anciens parlaient aux jeunes ouvriers de juin 36. Le gouvernement ne fut ni assez fort, ni assez cohérent pour briser le mouvement. La prime spéciale qu'il accorda aux agents de police fit douter de son autorité auprès de ses serviteurs plutôt qu'elle ne prépara ces derniers à des combats de rue. Il n'osa pas les lancer contre les grévistes. Malgré un effort spécial pour remettre en marche les transports et communications, il ne parvint avec l'aide du haut personnel de la direction de la SNCF, qu'à lancer quelques trains de voyageurs de parade et le recrutement de jaunes fut un lamentable échec dans les PTT.
Ni victoire ni défaite, mais finalement un bilan positif, tel apparait le bilan des grèves d'août; ni victoire car les travailleurs sentirent bien qu'une telle mobilisation ouvrière aurait pu avoir des résultats beaucoup plus importants et que la forme même que prirent les grèves fut bien inoffensive: c'est à peine si ces centaines de milliers de travailleurs qui arrêtèrent pendant plus de deux semaines la vie du pays, organisèrent des comités de liaison inter-professionnels pour venir en aide aux familles des grévistes. Ni défaite car pratiquement les décrets sur l'âge de la retraite furent enterrés, la grève se prolongea après le 24 avec des manifestations particulièrement combatives à Rouen, Angers, Nantes, les ouvriers interprétèrent la défection des organisations réformistes non comme un échec mais comme une trahison et enfin, le sentiment général au moment de la reprise était qu'il faudrait remettre ça. Bilan positif puisque les grèves d'août portèrent un coup d'arrêt à l'évolution dans un sens de plus en plus réactionnaire de la politique française, modifièrent sur le plan social le rapport de force en faveur du prolétariat et marquèrent une reprise de confiance de la classe ouvrière dans ses propres forces.
Le décalage que nous avons constaté entre la spontanéité des grèves et leur but, leur potentiel et leur forme ne fait qu'exprimer la contradiction qui se trouve dans toutes les actions que les ouvriers engagent aujourd'hui: d'une part la défiance envers les organisations traditionnelles héritées de la période précédente demeure comme une acquisition de l'expérience, valable même lorsque l'attitude de ces organisations parait changer (obligeant les dirigeants syndicaux à des concessions "démocratiques" telles que: élections dans certains cas de comités de grève, discussion et formulation de revendications par les travailleurs eux-mêmes, etc.); d'autre part la conscience de l'importance de l'enjeu, le désir des ouvriers de mener une grande bataille, les conduisirent à prendre comme cadre organisationnel les grands syndicats solidement charpentés, représentés nationalement, , en liaison avec les syndicats d'autres branches industrielles et possédant les militants formés pour remplir ces tâches. Les ouvriers les plus enclins à critiquer les syndicats et à se mettre en grève sans en avoir l'ordre étaient les mêmes qui formaient des délégations demandant aux dirigeants syndicaux l'extension de la grève, sa généralisation, etc. Ainsi l'action spontanée est un des moyens par lesquels les ouvriers parviennent à surmonter la tutelle des organisations bureaucratiques mais cette spontanéité est immédiatement ressentie comme insuffisante pour règler le problème de la lutte contre le capitalisme centralisé. Les ouvriers ont parfaitement compris l'obligation où ils sont de s'organiser pour vaincre mais ils savent aussi que l'organisation des masses d'ouvriers est la porte par laquelle s'insinuent les tendances bureaucratiques de domination de la classe ouvrière. Leur oscillation entre la révolte spontanée et la lutte dirigée par les chefs syndicaux dénote qu'aux problèmes posés par leur opposition tant à la bourgeoisie capitaliste qu'à la bureaucratie, les ouvriers cherchent une solution sur le plan de l'organisation.
Or, les causes qui ont rendu possible l'éclatement des grèves d'août subsistent et en liaison ave le ralentissement du cours vers la guerre il existe désormais, bien que faibles et limitées, des possibilités objectives de succès ouvriers. Il est vrai que la bourgeoisie française a des difficultés spéciales (guerre d'Indochine, concurrence du capitalisme allemand) qui sont à peine ou pas du tout atténuées par les changements dans la politique mondiale mais on sait aussi que la possibilité de donner satisfaction ne dépend pas de la seule volonté de la bourgeoisie mais d'un certain rapport de forces. Par contre rien n'indique que les luttes qui éclateront sur ces bases auront l'ampleur des grèves d'août: celles-ci polarisèrent une opposition générale au régime, mais elles ne pouvaient obtenir satisfaction que sur certains points précis tels que l'âge de la retraite etc.
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CHRONOLOGIE DES GREVES
Apparemment rien ne laissait présager l'ampleur du conflit qui allait se développer avant le 4 août 1953. Laniel ayant en mains certains pouvoirs spéciaux, en annonçait l'application proche. Certes la coupe était pleine et les prolétaires de l'Etat se sentaient cette fois la force de résister victorieusement aux attaques que leur Patron s'apprêtait à lancer contre eux. Mais personne n'eut pu prédire que, rapidement, la grève allait grouper 4 millions de travailleurs dans la lutte.
Mardi 4, une journée de protestation des fonctionnaires contre les "économies" de Laniel est organisée par les syndicats. Seule FO s'abstient et ne participe pas au mouvement. La CGT invite ses adhérents à participer à la journée du 4 août. Le même jour la section girondine de la Fédération FO des PTT lance l'ordre de grêve illimitée à Bordeaux.
Mercredi 5, la grève générale des PTT est déclenchée. L'ordre en est donné par FO, à laquelle se joignent la CFTC et les autonomes. La plus part des grands centres postiers sont rapidement paralysés. La Fédération postale CGT demande à ses adhérents d'appuyer le mouvement.
Jeudi 6, le cartel FO des services publics groupant les cheminots, les Services de Santé, les mineurs, le Gaz, l'Electricité, la Régie des Tabacs décide de lancer un ordre de grève de 24 heures. En même temps, les Fédérations CGT envoient une lettre au cartel FO et aux autres centrales, proposant une action commune pour le lendemain dans tous les services publics. La CFTC lance un ordre de grève également. La grève est totale dans les PTT. Laniel lance son premier appel aux grévistes et réquisitionne le personnel de l'interurbain.
Vendredi 7, la grève est effective dans tous les Services publics et se développe en profondeur.
Samedi 8, Combat titre "Situation confuse". Les fonctionnaires ont repris le travail, sauf les postiers qui continuent la lutte. Mais les premiers décrets sont arrêtés par le gouvernement.
Lundi 10. Sous l'influence des cheminots CGT, la Fédération demande à ses militants d'organiser l'arrêt du travail dans tous les services. Cette fois la CGT offre aux autres centrales syndicales de reprendre la grève. La SFIO invite ses députés à exiger la convocation du Parlement.
Mardi 11, la grève est générale dans tous les Services publics. La base dépasse les directions syndicales en cette journée et force les dernières fédérations (Service Santé) à lancer l'ordre de grève illimitée. FO et la CFTC demandent la convocation du Parlement.
Mercredi 12, Laniel dit "non à la grève". La grève des Services publics tente de s'étendre au secteur privé. Les syndicats FO et CFTC tentent de forcer la décision de Laniel pour la réunion de l'Assemblée. La date du 21 est avancée. Laniel répond par un durcissement de l'attitude gouvernementale (arrestations, menaces, utilisations de la troupe).
Jeudi 13. Un seul autobus roule dans Paris. Les grévistes tiennent malgré les manoeuvres venant de toute part. Propagande ultra mensongère du gouvernement. FO demande une entrevue à Herriot, en même que l'on joue la généralisation de la grève. FO demande également la possibilité de pourparlers avec le CNPF. A travers ces tentatives se font jour les possibilités d'une discussion avec le gouvernement au-dessus des masses en lutte.
Vendredi 14. Situation stationnaire. Le début de la grève dans la métallurgie marque le pas (la plupart des ouvriers ont encore en vacances). La CGT publie une déclaration disant qu'elle est prête à discuter avec le gouvernement "dans l'intérêt des travailleurs". D'autre part Laniel dit ne pas refuser d'envisager la convocation de la Commission des Conventions collectives.
Samedi 15. La CFTC commence des conversations avec le gouvernement " au niveau le plus élevé". Une entrevue a lieu entre Baladoux et Levard et le Président du Conseil, voulant élargir la discussion aux représentants de FO.
Dimanche 16. Jouhaux remet au gouvernement un memorandum au nom du Conseil économique (qui à cette date était en vacances). Une nouvelle fois le vieux bonze réformiste joue les médiateurs. La discussion reprend entre le gouvernement, FO et CFTC. Les syndicats dépassés par le mouvement tentent sans être mandatés par les grévistes de faire admettre à Laniel la nécessité de règler le problème des salaires des postiers, des cheminots, des travailleurs de la RATP. Dans la nuit de dimanche à lundi, Bacon donne lecture de l'ultimatum aux grévistes, leur enjoignant de reprendre le travail, aucune discussion ne devant être menée avant la reprise.
Lundi 17. Laniel fait entrer dans les faits son ultimatum. Il exige de FO et de la CFTC que l'ordre de reprise soit donné avant 18 heures. Dans la soirée, il déclare à la radio qu'aucune négociation ne sera engagée avec ceux qui n'auraient pas repris le travail.
Mardi 18. La grève rebondit. D'une part les grèvistes acceptent le défi de Laniel et se cristallisent autour des comités de grève, pour une lutte pouvant être encore longue, et sont décidés à ne pas céder. D'autre part les syndicats ulcérés du peu de cas que fait Laniel de leur position, et obligés de ne pas désavouer le mouvement à ce stade, appuient une nouvelle fois les grévistes.
Mercredi 19. Combat titre " Laniel s'installe dans la grève". Les ouvriers de la métallurgie commençant à rentrer se préparent à la lutte. Des débrayages ont lieu chez Renault à Billancourt; l'usine du Mans cesse le travail. Au Havre la grève est pratiquement totale. Laniel emploie les jaunes à outrance, mais l'orchestration des mensonges lancés par le gouvernement n'atteint pas son but.
Jeudi 20. Dans la nuit le MRP joue les conciliateurs entre le gouvernement et les syndicats. On parle d'un accord, puis on le dément. Un certain revirement de la position du gouvernement a lieu, le bureau de l'Assemblée n'ayant pas encore statué sur la convocation du Parlement. Laniel parait temporiser.
Poussés par la volonté des métallos, les syndicats donnent l'ordre de grève générale dans la métallurgie. On verra plus loin comment ils ont fait noyer le poisson (V. "La grève chez Renault", ndlr).
Vendredi 21. La trahison des syndicats éclate au grand jour. FO et CFTC signent un accord avec le gouvernement. En réalité la "base" n'est pas dupe et, malgré les ordre de reprise, très peu de grévistes reprennent le travail. La situation parait flottante, l'accord ne donne pas de précision quant à son contenu. Les grévistes exigent un peu partout des explications.
Samedi 22. Le gouvernement a reculé sur la question de l'âge de la retraite, mais tous les autres points restent en suspens: sanctions, paiement des jours de grève. La question des sanctions, notamment chez les cheminots, cristallise une nouvelle fois la volonté de lutte des grévistes.
Lundi 24. Certains travailleurs qui avaient repris le travail recommencent la grève. La trahison profite aux staliniens qui peuvent démasquer FO et la CFTC aux yeux des grévistes et centrent leurs mots d'ordre sur la convocation du Parlement.
Mardi 25. Les grévistes sont une nouvelle fois trompés. Il n'y aura pas de convocation du Parlement. 207 signatures de députés ( il en fallait 209) sont seulement parvenues. Le mot d'ordre stalinien est balayé par les faits. La CGT donne l'odre de reprise du travail.
BlackJoker a écrit:Un peu hs
fu hsang a écrit:j ai des vieilles brochures aussi
"mouvement ouvrier Stalinisme et bureaucratie , 3iémé edition , de henri weber
"des etudiants de Mai aux urne de juin " edité par freres du monde
"ecoute camarde anarchisme et non violence 30 , publicatiode rn associée a l internationale des resistants a la guerre
et une fiche de formation sur "centralisme et democratie "de Rosa anotée par " les etudiants socialistes unifiés de nantes
je les mets ici ou je fais un topic ???
BlackJoker a écrit:mais j'avais lu aussi des récits/analyses intéressantes sur des mouvements de grève dure en Angleterre ( je crois dans les années 84-85) dans la revue dont tu avais parlé une fois
Looting, arson, fighting as strikers return
THOUSANDS CLASH IN PIT STRIKERIOT FURY
QUELQUES ELEMENTS SUR LE MOUVEMENT ACTUEL DES PROLETAIRES EN GRANDE BRETAGNE (I)
Le 31 août 1984, à la suite d'une "compétition de danse", 200 jeunes attaquent la police et descendent plusieurs vitrines à Woolwich, quartier du sud-est de Londres. Le même jour des pickets volants de mineurs en grèves blessent 14 flics à Kiveton Park, Sud Yorkshire.
Dans la nuit du 11 juillet, la population de Fitzwilliam, West Yorkshire, mineurs, jeunes, chômeurs réunis, assiègent le poste de police et mettent au tapis 3 cops.
Le 24 août un groupe de pickets du Sud Yorkshire s'empare dans la nuit de bulldozers et détruit totalement plusieurs bureaux de la National Coal Board (charbonnages britanniques).
Il ne se passe pas un match de foot sans que celui-ci ne se transforme en affrontements directs contre les flics et en diverses attaques contre le décor environnant (un des plus ignobles quartiers de Paris, le 16e se souviendra longtemps de ces "hooligans" le 28 février 1984.)
L'annonce de la fermeture de puits ( 20 puits, soit 20 000 personnes) a immédiatement signifié pour les mineurs la destruction de leurs régions et leur inévitable déportation. D'un coup la situation générale des prolétaires, et ici des mineurs, comme simples pions amovibles au gré des nécessités d'une économie, dont jusqu'alors ils avaient pu tirer quelques compensations marchandes, devint intolérable.
Avant même que ne fut diffusée par le NBC la liste des puits condamnés à fermer, les mineurs se mettaient en grève. Quelques membres du patronat,simulant une opposition au mercenaire américain Mac Gregor (chargé de la restructuration des charbonnages - et ayant déjà fait ses armes lors de la grande grève des mineurs américains en 1973-74) - diffusèrent des documents indiquant le nom des puits les plus immédiatement condamnés, espérant ainsi à la fois diviser le mouvement de grèves, et se rendre sympathiques aux yeux des mineurs; et cela tout en appuyant le rôle de bouc émissaire de McGregor. Ce sordide marchandage n'aura eu aucun effet (ainsi dans le Yorkshire où peu de puits sont menacés, la grève a été et reste générale). Pas plus que n'auront eu d'effets les critiques orchestrées par la classe politique sur l'attitude anti-démocratique des mineurs refusant la mise en place d'un vote national. En affirmant leur force et de fait en se réappropriant leur vie contre tous leurs ennemis, les mineurs auront fait là, la plus belle critique du racket démocratique. Et l'on sait ce qu'est leur démocratie, notamment celle du travail, qui pour être appliquée doit passer entre les cordons de flics: les scabs, les respectueux-démocratiques en font la démonstration quotidienne.
Chacun sait bien que les menaces de Thatcher sur l'intervention de l'arméee contre les pickets sont déjà appliquées; les militaires déguisés en bobbies et en brigades anti-émeutes ne font plus aucune illusion sur les mensonges des démocrates britanniques qui tous ensemble ont tout intéret à l'écrasement le plus rapide du mouvement des mineurs. Le soulèvement des mineurs aura déjà brisé l'entretien de ces mensonges sur le statu-quo social. Tout comme il brise partout l'abstraction qu'entretient l'Etat à l'égard des pauvres sur leur accession toujours repoussée à la richesse. L'Etat avait tenté d'acheter la passivité de ces mineurs qui s'étaient déjà montré pour lui si dangereux, en leur permettant d'accéder plus que d'autres aux divers produits de la marchandise... A la grande surprise des spécialistes de la planification de l'apparente "paix sociale", voilà que les mineurs se débarrassent de leur vidéo, de leur voiture, et se montrent prêts aux plus belles décisions pour conquérir une communauté qui n'était jusqu'alors que simple décor de leur vie. "La manière dont je regarde ma télé et ma vidéo fait que s'il arrivait qu'elles brûlent, j'aurai gagné un moment de sommeil... Ce qui importe c'est la façon dont vous réagissez quand vous avez le dos au mur" (Keith Boyes, Malt by miner).
D'un coup cette communauté abstraite, où chacun vivant chez soi, en connaissait l'existence, devient une arme, un programme. L'inacceptable humiliation que signifiait la fermeture des puits se transforme en une volonté de mettre fin à toutes les humiliations. Et cette volonté est totalement inconciliable avec les formes dorénavant archaïques de cette communauté passée. Dans toutes les zones minières un point de non-retour a été atteint "Plus jamais nous ne retravaillerons avec un jaune".
Mais cette guerre contre les scabs n'est pas une simple division entre les mineurs. Il s'agit de toute une population qui commence à en finir avec son état de simple objet destiné aux besoins de l'économie, et qui en découvrant chaque jour l'usage et les développements de la richesse réelle s'affronte aux défenseurs et aux gestionnaires de l'Etat: scabs, flics, journalistes, hommes d'Etat réunis.
Après avoir tenté de supprimer l'action des pickets volants dans les premiers jours de la grève, le NUM (syndicat des mineurs) s'est trouvé contraint de les revendiquer, espérant ainsi circonscrire la violence qui commençait à s'organiser partout, dans un rapport strictement ouvrier. Ce qui se développe dans toutes les régions en grève n'est pas prêt de satisfaire la soif de richesses des prolétaires: les ardoises sont longues et les comptes commencent à se règler. Les scabs ne sont plus en sécurité nulle part et chaque face à face pickets flics tourne à l'affrontement. Plusieurs puits ont d'ores et déjà été inondés et rendus définitivement inexploitables après que des pickets aient enlevés les couvertures de sécurité ( Polkemmet, le plus important puits d'Ecosse dont la production alimentait la centrale de Ravenscraig est définitivement saboté après que 6 scabs aient tenté de reprendre le travail). A Hemsworth, Maltby, Armthorpe, Mexborough... ( Yorkshire), Garv, Betws (Pays-de-Galles), Easington (Durham) et d'ailleurs les commissariats ont été attaqués à plusieurs reprises, les commerçants refusant de faire crédit, assiégés et dépouillés...
Dans ce fantastique combat que mènent actuellement les prolétaires des bassins miniers du Yorkshire, du Pays-de-Galles, d'Ecosse, du Durham, du Northumberland, du Derbyshire, du Kent, des Midlands, se pose avec une violence qui ne cesse d'être scandaleuse, la question de leur dignité totalement incompatible avec l'ordre, auquel l'associent généralement les staliniens.
Cette même exigence, qu'avaient portée à son plus haut point d'affrontement contre les jaunes et les syndicats, les prolétaires de Talbot en décembre 1983-janvier 1984 s'était finalement laissée écraser dans l'isolement.
"Comme à Brixton" disait un picket lors des affrontements du 21 août à Brodsworth (Yorkshire). Et à Brixton chaun se prépare joyeusement aux coupures de courant (les villes se dégarnissent de leurs effectifs policiers envoyés massivement dans les bassins - les dépenses qu'occasionne pour l'Etat cette mobilisation massive empêchent financièrement dans l'immédiat tous nouveaux recrutements). Les mineurs se frottent les mains de cette alliance qui s'élabore et qui déjà se développe quasi-quotidiennement dans les quartiers prolétaires des métropoles anglaises: le 16 août, dans Railton Road (Brixton) un contrôle de flics se transforme en affrontement; une barricade est dressée: à Lime House (East End de Londres), fin août à l'occasion du passage d'un cirque, un kid allume avec un fusil à air comprimé des bobbies assistant au spectacle; tentative d'arrestations, la population attaque les flics, appel de renforts, déroute des cops qui emmènent leurs blessés. Des situations similaires se passent à Liverpool, Manchester, Bristol, Birmingham...
L'ouverture d'un second front va se généraliser dans les semaines à venir. L'exigence de dignité dont s'arment les prolétaires des bassins miniers, depuis maintenant 7 mois, est exactement la même qu'avaient commencé à développer les superbes émeutes de 1981. Cette exigence est l'exigence générale des prolétaires.
DES PROLETAIRES
Paris, 15 septembre 1984
La Grève Générale en Belgique (1960-1961)
La grève générale belge qui a duré du 20 décembre 1960 au 20 janvier 1961 est une autre de ces explosions au cours desquelles était posée la question du gouvernement, du pouvoir. Au point de départ de la grève générale, le projet de loi du gouvernement Eyskens dit « loi unique » :
« Pour donner une idée de l'ampleur du projet mis sur pied par le gouvernement Eyskens, voici quelques‑unes des mesures prévues par cette loi :
• La loi unique porte de 40 à 50 % la part du financement par l'État des investissements privés.
• 85 % des nouveaux impôts de la loi unique proviennent de la fiscalité indirecte, qui pèse plus lourdement sur les travailleurs que sur les autres couches sociales.
• Augmentation de 20 % des taxes de transmission, qui doit rapporter 5,7 milliards, dont les travailleurs paieraient la plus grande partie sous forme d'une augmentation de prix; cette augmentation étant d'ailleurs calculée de manière à ne pas provoquer la hausse de l'index, qui entraîne une hausse correspondante des salaires.
• Réduction de 1 milliard du fonds des communes et de 2 milliards du budget des secteurs sociaux.
• Augmentation de 25 % des cotisations de pension à la charge des agents des services publics. Pour ces mêmes agents, la loi unique prévoit le recul de l'âge de la retraite de 60 à 65 ans.
• Enfin, la loi unique remet en cause tout le système d'assurance maladie‑invalidité, et celui de l'assurance chômage, en permettant de priver de secours certaines catégories de chômeurs au bout de quelques mois, et en établissant un système d'inquisition à l'égard des chômeurs, soumis à de multiple mesures vexatoires et à des visites domiciliaires. » (brochure de la SPEL sur la grève générale belge).
Le 16 décembre 1960, au comité national de la Fédération générale des travailleurs belges (FGTB), une résolution déposée par Renard obtient 475 823 contre 496 487 et 53 000 abstentions. Elle propose des débrayages régionaux, une grève générale de vingt‑quatre heures et un référendum sur la grève générale contre la loi unique. Compte tenu de ce que ce sont les dirigeants qui disposent des voix au comité national, cela signifie que la grande majorité des travailleurs belges étaient pour la grève générale. La Centrale générale des services publics appelle le 12 décembre à une grève illimitée à partir du 20 décembre, date de l'ouverture à la Chambre de la discussion de la loi unique. La grève est partout très largement suivie. Toutes les corporations s'engagent spontanément au cours des jours suivants dans la grève générale : la totalité des travailleurs flamands, les secteurs décisifs d'Anvers et de Gand. Les 27 et 28 décembre, la grève générale atteint son sommet, le gouvernement est impuissant, paralysé, la grève générale est maîtresse du pays. Mais si certains dirigeants fédéraux ou locaux de la FGTB sont contraints de donner l'ordre de grève, seules les directions régionales wallonnes et celle d'Anvers donnent l'ordre de grève. La direction de la FGTB se refuse à lancer l'ordre de grève générale. Quant à la centrale syndicale chrétienne, elle joue ouvertement son rôle de jaune et de briseuse de grève.
Mais, à partir du 28 décembre, la grève doit déboucher sur le plan politique dans la lutte ouverte pour renverser le gouvernement, ou piétiner. Spontanément, les travailleurs dans les meetings et manifestations de rue fixent eux-mêmes le prochain objectif à atteindre : la marche sur Bruxelles, c’est‑à‑dire l'affrontement direct avec l'appareil d'État bourgeois dont les organes dirigeants, gouvernement, Parlement, sont tous concentrés dans la capitale.
De la bourgeoisie à la gauche du mouvement ouvrier, la garde est montée autour du gouvernement, du pouvoir, de l'État. Le gouvernement a mis le Parlement en vacances, le Parti socialiste et le Parti communiste belges « mènent la lutte pour sa convocation ». Les dirigeants de la FGTB s'opposent à la « marche sur Bruxelles » et également le leader de la « gauche », André Renard. Le 3 janvier, au cours d'un meeting, il condamne publiquement l'exigence des manifestants qui crient : « Marche sur Bruxelles ! » Pis encore, Renard met en avant des revendications propres à diviser les travailleurs flamands et wallons : « le droit pour la Wallonie de disposer d'elle‑même et de choisir les voies de son expansion économique et sociale » pour appliquer des « réformes de structure ». Quant à Mandel, il s'aligne sur André Renard. « La Gauche » du 14 janvier 1961 écrit :
« Il nous est reproché d'avoir lancé le mot d'ordre de marche sur Bruxelles. ( ... ) Comme nous constatons que cette revendication n'a pas été reprise par les dirigeants, nous nous inclinons, mais nous rappelons que, au moment où notre annonce de la semaine passée a paru, aucune indication n'était encore donnée à ce sujet. »
Dès lors, le mouvement décline, les travailleurs belges n'ayant pas les moyens organisationnels et politiques d'aller plus loin. Les comités de grève sont constitués uniquement de dirigeants syndicaux. Ce sont les directions syndicales de la FGTB, sous la houlette d'André Renard, qui se sont constituées en comité de coordination des régions wallonnes. Il n'existe pas de parti ou même d'organisation politique révolutionnaire capable d'intervenir efficacement dans la grève générale et d'ouvrir la voie du combat contre le gouvernement et pour un gouvernement ouvrier. André Renard estime que la grève générale est « une grève économique qui fait peser une pression sur le capitalisme et l'État ». A partir du 7 janvier, la grève décline. Le gouvernement a convoqué la Chambre, qui adopte le 14 la loi unique. Le 21 janvier, les derniers grévistes, les 120 000 métallurgistes des bassins de Liège et de Charleroi, reprennent le travail.
La vie s'écoule la vie s'enfuit
Raoul Vaneigem
La vie s'écoule la vie s'enfuit
Les jours défilent au pas de l'ennui
Parti des rouges parti des gris
Nos révolutions sont trahies
Le travail tue le travail paie
Le temps s'achète au supermarché
Le temps payé ne revient plus
La jeunesse meurt de temps perdu
Les yeux faits pour l'amour d'aimer
Sont le reflet d'un monde d'objets
Sans rêve et sans réalité
Aux images nous sommes condamnés
Les fusillés les affamés
Viennent vers nous du fond du passé
Rien n'a changé mais tout commence
Et va mûrir dans la violence
Tremblez repères de curés
Nids de marchands de policiers
Au vent qui sème la tempête
Se récoltent les jours de fête
Les fusils vers nous dirigés
Contre les chefs vont se retourner
Plus de dirigeants plus d'état
Pour profiter de nos combats
La vie s'écoule la vie s'enfuit
Les jours défilent au pas de l'ennui
Parti des rouges parti des gris
Nos révolutions sont trahies
http://www.alternativelibertaire.org/?D ... 87-La-plusDécembre 1986-Janvier 1987 : La plus longue grève du rail
La grève de novembre-décembre 1995 demeure un exemple, parfois mythifié, de mouvement social dans lequel les cheminots et les cheminotes ont tenu une place prépondérante. Mais celle de décembre-janvier 1986/87 fut sans doute plus importante, par le renouveau qu’elle apportait et par ses conséquences dans les pratiques syndicales.
Si la grève de 1995 a existé, c’est parce que le mouvement de 1986/87 l’a préparé, à travers tout ce qu’il a porté et s’est retrouvé au cœur du mouvement social durant la décennie qui suit. « Fruit d’années de construction par des équipes militantes CFDT et parfois CGT, la grève de décembre 1986-janvier 1987 marque un tournant important en termes de démocratie dans la lutte, de démocratie syndicale, par la place conquise par les assemblées générales. C’est aussi une rupture avec la litanie des grèves carrées sans perspective, un retour à l’action directe par l’occupation des voies et des locaux de travail, l’instauration d’un contrôle de la base sur les négociations, la naissance des coordinations, etc. » [1].
Le mouvement qui a paralysé la SNCF durant près d’un mois s’inscrit dans la suite directe de la grève et des manifestations contre le projet de loi Devaquet. Nombre d’équipes syndicales ont relayé les informations sur ce mouvement et participé aux manifestations ; une partie non négligeable de la population cheminote s’y retrouvait d’autant plus qu’elle avait un point commun avec les étudiants et les étudiantes : la jeunesse. La période 1973/83 avait vu un très fort renouvellement du personnel SNCF.
La grève avant la grève
La longue grève inter-catégorielle se situe dans la suite directe d’un mouvement entamée deux semaines auparavant, par les vendeurs et vendeuses SNCF. Sur l’initiative des agents des gares de Paris-Saint-Lazare et Paris-Lyon, où les équipes syndicales CFDT [2] sont particulièrement actives, ils et elles ont construit un mouvement fort, reconductible et original : la grève des réservations, en réaction à la décision patronale de leur supprimer une indemnité. La réservation, devenue obligatoire pour les TGV mais encore facultative pour les autres trains, était une prestation différente du « billet de train » lui-même. Ce n’est que pour celle-ci que les agents commerciaux utilisaient le système informatique, auquel était liée cette indemnité. D’où l’idée : « puisque la direction veut nous supprimer l’indemnité de saisie, nous ne faisons plus de réservation » ; action illégale mais dont le caractère massif permis de repousser les menaces de sanction et … de gagner le maintien de l’indemnité de saisie pour (au moins) 30 années supplémentaires. Durant deux semaines, les agents commerciaux se réunissent chaque jour lors d’une assemblée générale tenue sur une heure de grève, décident des actions complémentaires à leur « grève des résas », choisissent et mandatent les délégations qui rencontrent la direction, se coordonnent directement de gare à gare : ils et elles exercent la démocratie syndicale et ouvrière au quotidien. Dans plusieurs régions, le mouvement s’élargira à quelques autres services, également concernés par l’indemnité de saisie [3]. A compter du 17 décembre, la CGT appelle à cesser la grève dans plusieurs gares, position confirmée par un tract fédéral le l8 ; au contraire, dans la même période, des A.G. de vendeurs et vendeuses soutenues par les syndicats CFDT locaux, décident de passer de la grève des réservations à la grève totale. Car l’histoire se construit aussi du côté des agents de conduite de Paris Nord…
Le syndicat est l’outil des travailleurs et des travailleuses…
Début décembre, un groupe d’agents de conduite de Paris-Nord a lancé une pétition, reprenant un cahier revendicatif ancré dans la réalité et mettant en avant la volonté de partir en grève pour le faire aboutir. Proposition est faite à toutes les fédérations syndicales de venir discuter de cette initiative lors d’une assemblée générale. Seule la fédération CFDT sera présente. Michel Desmars [4] prend l’engagement, non seulement d’appuyer la démarche régionale mais de l’amplifier en la relayant auprès de toutes les collectifs locaux CFDT, en incitant à l’organisation d’Assemblées Générales dans tous les dépôts dès que la grève aura démarré à Paris-Nord. Les revendications [5] n’ont rien de révolutionnaires, ce qui l’est plus est leur adéquation avec ce que pense la très grande majorité des cheminots et des cheminotes d’une part, l’utilisation dynamique qu’en fait la CFDT Cheminots d’autre part.
Le 18 décembre la grève démarre à Paris Nord, l’action s’étend le jour même sur l’ensemble du réseau Nord. Le 19, les dépôts de Paris Sud Est, Lyon, Marseille, Bordeaux, Toulouse se mettent en grève. Le 20 au matin, 70 dépôts sur 94 sont en grève ; le soir, 93. L’extension à d’autres secteurs commence et se généralise à compter du lundi 22. La direction joue la division, multiplie les réunions pour se concilier l’appui de quelques fédérations (CFTC, FO, FMC, CGC), sans répondre aux revendications des grévistes dont les A.G. repoussent ces provocations. Le 29 décembre marque le point le plus fort de la grève ; à partir de là, le mouvement se renforcera dans les établissements où il n’était pas encore majoritaire mais ne touchera pas les quelques services qui n’étaient pas vraiment entrés dans l’action. Durant trois semaines, la direction SNCF fera appel à de très nombreuses reprises aux forces dites de l’ordre, pour faire évacuer les voies, disperser des piquets de grèves, mettre un terme aux occupations de locaux de travail.
A la base, une pratique démocratique et unitaire
Tout au long du mouvement, la CFDT est à l’initiative, tout en promouvant la démocratie et le rôle des assemblées générales. La fédération fait circuler l’information en temps réel, tant sur la réalité de la grève que sur les négociations, les équipes locales défendent la primauté des assemblées générales, souvent contre la CGT, parfois contre des groupes politiques qui prétendent dicter aux grévistes la marche à suivre. Ce n’est pas un long fleuve dans tranquille dans la CFDT : les tiraillements sont forts avec la Fédération Générale des Transports et de l’Equipement qui défend une ligne plus modérée et tentera de l’imposer, via la presse, par-dessus la Branche fédérale cheminote ; quand à la confédération, début janvier, elle dénoncera publiquement la poursuite de la grève. Le rôle de la CFDT Cheminots, dans laquelle se retrouve nombre de militants et militantes révolutionnaires, a été très important. Il prend sa source dans l’activité menée depuis des années, en animant de nombreuses luttes locales, des structures syndicales locales, régionales et nationales, des regroupements intersyndicaux ou encore l’opposition au sein de la CFDT. Mais la grève de 1986/87 résulte aussi de dynamiques unitaires à la base. En témoigne Jaques Hais, alors un des animateurs du syndicat CFDT de la région rouennaise : Une tradition unitaire existait depuis longtemps sur l’agglomération rouennaise, des rencontres, des bulletins de boites, des actions étaient régulièrement réalisés par des cheminots syndiqués à la CGT, à la CFDT ou non syndiqués. Cette génération ne se reconnaissait pas dans le syndicalisme tel qu’il était, elle refusait la division syndicale ainsi que les divisions catégorielles.
En 1975 une trentaine de cheminots créent un modeste bulletin de 4 pages « La Basse Tonne » ; peu après, le Comité Unitaire de Mobilisation des Cheminots (CUMC) est créé ; il préconise la lutte autrement que par des grèves de 24 heures à répétition et affirme la nécessité de l’unité syndicale large ; le CUMC s’exprime par tracts et pétitions, son audience est d’environ 500 personnes sur l’agglomération rouennaise. La 3ème tentative de regroupement unitaire à la base se fera autour du journal « Rail Bol ». Vendu à 500 exemplaires, il sera édité de mai 1985 jusqu’à mi-1986. Les mêmes personnes impulsent des actions de soutien au niveau international : soutien à Solidarnosc, soutien au Nicaragua, soutien aux mineurs anglais, etc. »
La CGT combat la grève puis son auto-organisation
La fédération CGT s’oppose à la grève reconductible ; pour éviter la jonction, elle a appelé les agents commerciaux à cesser le mouvement juste avant le démarrage de la grève des agents de conduite. Surtout, durant les premières jours, elle organise des piquets antigrève dans plusieurs dépôts et freinent toute extension à d’autres catégories. Dépassée par la dynamique lancée, elle doit finalement soutenir le mouvement, mais multiplie les avertissements sur « les dangers de cette grève au moment des fêtes de fin d’année ». Lorsque se créent des coordinations, au lieu de mener le débat, de pointer les insuffisances, les contradictions voire les manipulations, la fédération CGT se contente de les dénoncer par principe. Dans de très nombreux sites, les militants et militantes CGT sont désarçonnés par la pratique des assemblées générales quotidiennes : alors que c’est un lieu vivant, interactif, créatif, ils et elles se contentent d’y lire le communiqué fédéral du jour et s’arc-boutent sur des positions parfois totalement étrangères aux participants et participantes aux assemblées générales. La CGT fera ultérieurement le bilan de cette grève, en tirera des enseignements, mais cet épisode important est un des éléments qui expliquent pourquoi le choix de cette organisation était impossible pour les milliers de cheminots et cheminotes quittant la CFDT quelques années plus tard, en janvier 1996.
Les coordinations
Pour la majorité des grévistes, ce sont les assemblées générales qui décidaient et il revenait aux fédérations syndicales de coordonner la lutte. En Normandie, Rhône-Alpes, Midi-Pyrénées, Auvergne, les comités de grèves locaux s’organisent à l’échelle régionale. Mais deux coordinations nationales sont mises une place : une concernant les agents de conduite, dans la suite de l’appel des grévistes de Paris-Nord ; l’autre, inter-catégorielle, basée sur la région Paris-Sud-Ouest. La CGT dénonce les deux. Au sein de la CFDT, la coordination inter-catégorielle est un sujet polémique : le choix de ses animateurs, responsables CFDT de Paris-Sud-Ouest, de dénoncer « les syndicats » y est pour beaucoup, ainsi que l’attitude de militants et militantes de Lutte Ouvrière qui investissent cette coordination nationale sans le moindre mandat de leur assemblée générale. La division sur ce sujet affectera aussi le mouvement libertaire : les militants UTCL, fortement impliqués dans la fédération CFDT, sont dénoncés par ceux de l’OCL et la FA. Si elles ont été médiatisées et étaient indéniablement une des facettes de la recherche d’auto-organisation du mouvement, les coordinations n’ont pas été l’élément décisif : ce sont les assemblées générales, quotidiennes et organisées par collectifs de travail, qui ont joué ce rôle. Il n’en reste pas moins que le phénomène marquera de nombreuses luttes des années qui suivent : dans l’éducation, dans la santé, jusqu’à la coordination des « camions jaunes » de la poste qui aboutira à la création de Sud PTT.
Fin de la grève
Le 31 décembre au soir, la bataille contre le projet de nouvelle grille salariale est gagnée ; les autres revendications ne sont pas satisfaites. La grève est reconduite. De nouveaux acquis, insuffisants, sont engrangés le 8 janvier. La grève se poursuit, mais la fatigue, les divisions, les faiblesses interprofessionnelles finiront par l’emporter. La reprise décidée au dépôt de Chambéry le 9, marque le début du reflux ; mais ce n’est que le 14 que la grève nationale prend réellement fin [6]. Le projet patronal de grille salariale a été retiré ; celle alors en vigueur l’est restée jusqu’à la négociation d’une nouvelle, applicable au 1er janvier 1992 (toujours en fonction aujourd’hui). L’indemnité de saisie est maintenue, son application est élargie, une nouvelle indemnité est crée pour les vendeurs et vendeuses ne travaillant pas sur informatique. De nombreux articles de la réglementation du travail sont améliorés.
20 ans plus tard, Jean-Michel Dauvel qui en 1986 travaillait au dépôt de Sotteville et était animateur du syndicat CFDT et de la coordination nationale des agents de conduite, résumait ainsi : « Ce qui restera dans l’imaginaire cheminot, plus que l’idée de victoire, c’est la conviction d’une fierté retrouvée : nous avons, dans la durée, égalé et dépassé nos aïeux de la grande grève de 1920. Nous avons su, contre le gouvernement et la direction, malgré certaines fédérations syndicales, construire un outil de lutte géré de bas en haut. Ce modèle sera repris lors des luttes des instituteurs et institutrices en 1987, puis des infirmières et des infirmiers en 1988. Vingt ans après, les syndicats ont (un peu) évolué, les assemblées générales sont devenues incontournables. Pour autant les syndicalistes révolutionnaires ont encore à se battre pour le maximum d’autonomie et d’initiative à la base. Ils ont encore à promouvoir la nécessité d’une organisation permanente (ça s’appelle un syndicat) gérée de bas en haut. Ils ont encore à lutter pour l’autogestion des luttes, « gymnastique » préalable à la reprise en main de l’outil de travail, prélude à l’autogestion de toute la société ! ». 10 ans de plus ont passé, le constat et les espoirs demeurent.
Christian (AL Banlieue Sud-est)
[1] « Grève des cheminots et cheminotes de 1986 et 2016 ; et si on parlait de grève reconductible ? » ; Ce dossier, avec des contributions de Mathieu Borie, Jacques Hais, Christian Mahieux, Frédéric Michel et Julien Troccaz, figure dans le numéro 3 de la revue Les utopiques, paru en octobre 2016 (Cahiers de réflexions de l’Union syndicale Solidaires : http://www.editions-lesutopiques.org )
[2] En janvier 1996, le syndicat CFDT de la Région de la Gare de Lyon sera le premier à fonder SUD-Rail, en votant sa désaffiliation par 94% des mandats de ses 700 membres ; celui de Paris-Saint-Lazare suivra majoritairement quelques jours plus tard.
[3] Les Centres Information Triage et Centres Information Séjour, chargés du suivi des wagons et voitures SNCF sur l’ensemble du réseau national.
[4] Michel Desmars est alors l’un des secrétaires de la fédération des cheminots CFDT, où il est notamment chargé du Groupe Technique National Agents de Conduite. L’équipe fédérale CFDT avait été largement renouvelée lors du congrès tenu deux mois plus tôt. Plusieurs des membres, particulièrement présents dans le mouvement de 1986/87, feront partie des fondateurs de SUD-Rail en janvier 1996.
[5] Elles portent sur le refus du projet patronal de grille des salaires qui diminue considérablement la part d’avancement à l’ancienneté, sur l’amélioration du déroulement de carrière, des primes et des conditions de travail, et sur la dénonciation de la médecine répressive.
[6] Dans quelques sites, ce sera le 15. A partir de là, des situations locales amènent aussi des militants et militantes à se trouver en « absence irrégulière » … contrairement à toute la période précédente, comptée en « grève » alors qu’il n’y avait aucun préavis rendant légalement valide cette grève ! Comme quoi, le rapport de forces…
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