conan a écrit:C'est qui la fille en photo, je situe pas ?
Jacques Rancière : racisme d’État et racisme intellectuel «de gauche»
In Uncategorized on septembre 20, 2010 at 23:07
Samedi 11 septembre se tenait à La Parole errante, à Montreuil, un colloque intitulé « les Rroms, et qui d’autre ? », auquel participait, entre autres, le philosophe Jacques Rancière. Ci-dessous, le texte de son intervention.
Je voudrais proposer quelques réflexions autour de la notion de « racisme d’Etat » mise à l’ordre du jour de notre réunion. Ces réflexions s’opposent à une interprétation très répandue des mesures récemment prises par notre gouvernement, depuis la loi sur le voile jusqu’aux expulsions de roms. Cette interprétation y voit une attitude opportuniste visant à exploiter les thèmes racistes et xénophobes à des fins électoralistes. Cette prétendue critique reconduit ainsi la présupposition qui fait du racisme une passion populaire, la réaction apeurée et irrationnelle de couches rétrogrades de la population, incapables de s’adapter au nouveau monde mobile et cosmopolite. L’Etat est accusé de manquer à son principe en se montrant complaisant à l’égard de ces populations. Mais il est par là conforté dans sa position de représentant de la rationalité face à l’irrationalité populaire.
Or cette disposition du jeu, adoptée par la critique «de gauche», est exactement la même au nom de laquelle la droite a mis en œuvre depuis une vingtaine d’années un certain nombre de lois et de décrets racistes. Toutes ces mesures ont été prises au nom de la même argumentation: il y a des problèmes de délinquances et nuisances diverses causés par les immigrés et les clandestins qui risquent de déclencher du racisme si on n’y met pas bon ordre. Il faut donc soumettre ces délinquances et nuisances à l’universalité de la loi pour qu’elles ne créent pas des troubles racistes.
C’est un jeu qui se joue, à gauche comme à droite, depuis les lois Pasqua-Méhaignerie de 1993. Il consiste à opposer aux passions populaires la logique universaliste de l’Etat rationnel, c’est-à-dire à donner aux politiques racistes d’Etat un brevet d’antiracisme. Il serait temps de prendre l’argument à l’envers et de marquer la solidarité entre la «rationalité» étatique qui commande ces mesures et cet autre –cet adversaire complice– commode qu’elle se donne comme repoussoir, la passion populaire. En fait, ce n’est pas le gouvernement qui agit sous la pression du racisme populaire et en réaction aux passions dites populistes de l’extrême-droite. C’est la raison d’Etat qui entretient cet autre à qui il confie la gestion imaginaire de sa législation réelle.
J’avais proposé, il y a une quinzaine d’années, le terme de racisme froid pour désigner ce processus. Le racisme auquel nous avons aujourd’hui affaire est un racisme à froid, une construction intellectuelle. C’est d’abord une création de l’Etat. On a discuté ici sur les rapports entre Etat de droit et Etat policier. Mais c’est la nature même de l’Etat que d’être un Etat policier, une institution qui fixe et contrôle les identités, les places et les déplacements, une institution en lutte permanente contre tout excédent au décompte des identités qu’il opère, c’est-à-dire aussi contre cet excès sur les logiques identitaires que constitue l’action des sujets politiques. Ce travail est rendu plus insistant par l’ordre économique mondial. Nos Etats sont de moins en moins capables de contrecarrer les effets destructeurs de la libre circulation des capitaux pour les communautés dont ils ont la charge. Ils en sont d’autant moins capables qu’ils n’en ont aucunement le désir. Ils se rabattent alors sur ce qui est en leur pouvoir, la circulation des personnes. Ils prennent comme objet spécifique le contrôle de cette autre circulation et comme objectif la sécurité des nationaux menacés par ces migrants, c’est-à-dire plus précisément la production et la gestion du sentiment d’insécurité. C’est ce travail qui devient de plus en plus leur raison d’être et le moyen de leur légitimation.
De là un usage de la loi qui remplit deux fonctions essentielles : une fonction idéologique qui est de donner constamment figure au sujet qui menace la sécurité; et une fonction pratique qui est de réaménager continuellement la frontière entre le dedans et le dehors, de créer constamment des identités flottantes, susceptibles de faire tomber dehors ceux qui étaient dedans. Légiférer sur l’immigration, cela a d’abord voulu dire créer une catégorie de sous-Français, faire tomber dans la catégorie flottante d’immigrés des gens qui étaient nés sur sol français de parents nés français. Légiférer sur l’immigration clandestine, cela a voulu dire faire tomber dans la catégorie des clandestins des «immigrés»légaux. C’est encore la même logique qui a commandé l’usage récent de la notion de «Français d’origine étrangère». Et c’est cette même logique qui vise aujourd’hui les roms, en créant, contre le principe même de libre circulation dans l’espace européen, une catégorie d’Européens qui ne sont pas vraiment Européens, de même qu’il y a des Français qui ne sont pas vraiment Français. Pour créer ces identités en suspens l’Etat ne s’embarrasse pas de contradictions comme on l’a vu par ses mesures concernant les «immigrés». D’un côté, il crée des lois discriminatoires et des formes de stigmatisation fondées sur l’idée de l’universalité citoyenne et de l’égalité devant la loi. Sont alors sanctionnés et/ou stigmatisés ceux dont les pratiques s’opposent à l’égalité et à l’universalité citoyenne. Mais d’un autre côté, il crée au sein de cette citoyenneté semblable pour tous des discriminations comme celle qui distingue les Français «d’origine étrangère». Donc d’un côté tous les Français sont pareils et gare à ceux qui ne le sont pas, de l’autre tous ne sont pas pareils et gare à ceux qui l’oublient !
Le racisme d’aujourd’hui est donc d’abord une logique étatique et non une passion populaire. Et cette logique d’Etat est soutenue au premier chef non par on ne sait quels groupes sociaux arriérés mais par une bonne partie de l’élite intellectuelle. Les dernières campagnes racistes ne sont pas du tout le fait de l’extrême-droite dite «populiste». Elles ont été conduites par une intelligentsia qui se revendique comme intelligentsia de gauche, républicaine et laïque. La discrimination n’est plus fondée sur des arguments sur les races supérieures et inférieures. Elle s’argumente au nom de la lutte contre le «communautarisme», de l’universalité de la loi et de l’égalité de tous les citoyens au regard de la loi et de l’égalité des sexes. Là encore, on ne s’embarrasse pas trop de contradictions; ces arguments sont le fait de gens qui font par ailleurs assez peu de cas de l’égalité et du féminisme. De fait, l’argumentation a surtout pour effet de créer l’amalgame requis pour identifier l’indésirable: ainsi l’amalgame entre migrant, immigré, arriéré, islamiste, machiste et terroriste. Le recours à l’universalité est en fait opéré au profit de son contraire: l’établissement d’un pouvoir étatique discrétionnaire de décider qui appartient ou n’appartient pas à la classe de ceux qui ont le droit d’être ici, le pouvoir, en bref, de conférer et de supprimer des identités. Ce pouvoir a son corrélat: le pouvoir d’obliger les individus à être à tout moment identifiables, à se tenir dans un espace de visibilité intégrale au regard de l’Etat. Il vaut la peine, de ce point de vue, de revenir sur la solution trouvée par le gouvernement au problème juridique posé par l’interdiction de la burqa. C’était, on l’a vu, difficile de faire une loi visant spécifiquement quelques centaines de personnes d’une religion déterminée. Le gouvernement a trouvé la solution: une loi portant interdiction en général de couvrir son visage dans l’espace public, une loi qui vise en même temps la femme porteuse du voile intégral et le manifestant porteur d’un masque ou d’un foulard. Le foulard devient ainsi l’emblème commun du musulman arriéré et de l’agitateur terroriste. Cette solution-là, adoptée, comme pas mal de mesures sur l’immigration, avec la bienveillante abstention de la «gauche», c’est la pensée «républicaine» qui en a donné la formule. Qu’on se souvienne des diatribes furieuses de novembre 2005 contre ces jeunes masqués et encapuchonnés qui agissaient nuitamment. Qu’on se souvienne aussi du point de départ de l’affaire Redeker, le professeur de philosophie menacé par une «fatwa» islamique. Le point de départ de la furieuse diatribe antimusulmane de Robert Redeker était… l’interdiction du string à Paris-Plage. Dans cette interdiction édictée par la mairie de Paris, il décelait une mesure de complaisance envers l’islamisme, envers une religion dont le potentiel de haine et de violence était déjà manifesté dans l’interdiction d’être nu en public. Les beaux discours sur la laïcité et l’universalité républicaine se ramènent en définitive à ce principe qu’il convient d’être entièrement visible dans l’espace public, qu’il soit pavé ou plage.
Je conclus: beaucoup d’énergie a été dépensée contre une certaine figure du racisme –celle qu’a incarnée le Front National– et une certaine idée de ce racisme comme expression des «petits blancs» représentant les couches arriérées de la société. Une bonne part de cette énergie a été récupérée pour construire la légitimité d’une nouvelle forme de racisme: racisme d’Etat et racisme intellectuel «de gauche». Il serait peut-être temps de réorienter la pensée et le combat contre une théorie et une pratique de stigmatisation, de précarisation et d’exclusion qui constituent aujourd’hui un racisme d’en-haut: une logique d’Etat et une passion de l’intelligentsia.
Jacques Rancière, 11 septembre 2010
[Source : Mediapart]
Extrême droite et gauche laïco-xénophobe
publié par Yves, le mardi 14 décembre 2010
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Depuis 2007, la revue Ni patrie ni frontières a dénoncé à plusieurs reprises les laïques et les athées qui flirtaient avec Riposte laïque ou avec la xénophobie – comme Mireille Popelin quand elle participait encore au site Respublica, site républicain de gauche où elle publia un article vicieusement xénophobe à partir d’un fait divers impliquant des jeunes du 9-3 dans une colonie de vacances, à la montagne.
Cela nous a valu quelques échanges très vifs avec Jocelyn Bézecourt, responsable du site atheisme.org et un animateur de Radio libertaire lors du Salon du livre libertaire de juin 2008. Ce "débat-traquenard" se trouve reproduit sur le site http://anarsonore.free.fr/spip.php?...;; il est intéressant parce qu’il montre qu’en juin 2008 Riposte laïque était encore en "odeur de sainteté" auprès de cet animateur de Radio Libertaire et de Jocelyn Bézecourt ; il montre aussi que sous prétexte de rester, eux, dans le concret, contrairement à moi qu’ils accusaient de planer trop haut dans le ciel des idées, ils ne voyaient pas ce que pouvait avoir de pernicieux le fait de colporter des anecdotes sur le prétendu "terrorisme religieux" musulman (et chrétien pour faire bonne mesure) en France. Bézecourt se réclamait très sérieusement de la tradition anarchiste anticléricale appelant au meurtre des prêtres, comme si ces positions avaient le moindre intérêt aujourd’hui, de surcroît face à l’islam et l’islamisme actuel. Riposte laïque continua d’ailleurs à être invité sur la radio de la Fédération anarchiste par le même animateur, longtemps après ce débat en avril 2009 comme en témoigne l’article des Luftmenschen http://luftmenschen.over-blog.com/a..., à ce sujet. Une telle invitation presque un an après notre confrontation prouve que certains militants de la FA n’avaient pas encore compris le danger que représentait Riposte laïque, et qu’ils l’ont compris seulement en juin 2010 quand Riposte laïque fit alliance avec les Identitaires. Il n’était désormais plus possible de prétendre qu’il s’agissait de laïques qui se trompaient, avec lesquels on pouvait discuter, il était devenu évident qu’ils avaient basculé de l’autre côté de la barricade. Il aura fallu à certains anarchistes trois ans pour déceler le virus de la xénophobie et du racisme dans une prose pourtant très explicite. Notre critique de Riposte laïque nous valut aussi une correspondance virulente avec Jean-François Chalot, ce "troskyste" qui réalisa une version inédite du "Front unique ouvrier" avec l’UMP locale contre l’ouverture d’une mosquée salafiste à Champs-sur-Marne.
Depuis 2007, la collaboration entre Riposte laïque, la droite et l’extrême droite n’a fait que s’approfondir et ce ne sont pas les dernières déclarations de Marine Le Pen, le vendredi 10 décembre 2010, qui nous contrediront. En effet, la dernière comparaison de l’avocate frontiste entre la période de l’Occupation nazie et le fait que quelques rues en France soient "occupées" une fois par semaine quelques minutes par des musulmans qui ne trouvent pas de salle assez grande pour prier, cette comparaison avait d’abord été rodée sur le site de Riposte laïque pendant des mois.
Riposte laïque agit donc bien en poisson pilote, en passerelle entre l’extrême droite et la gauche comme nous l’expliquions dans le premier de nos deux articles sur les bases politiques des prochaines Assises contre l’islamisation du 18 décembre reproduits sur ce même site http://www.mondialisme.org/spip.php... , le second portant sur la gauche réactionnaire du XIXe siècle, dont Riposte laïque perpétue la tradition xénophobe. Ce groupe teste en direction d’un public de gauche des formules xénophobes pour qu’ensuite le FN les balance dans les médias avec un effet démultiplié par son poids électoral, évidemment sans commune mesure avec le petit lectorat de Riposte laïque.
Le samedi 11 décembre 2010, à Lyon, a eu lieu un débat sur le thème des convergences politiques entre l’extrême droite et la gauche laïco-xénophobe. Nous reproduirons dans un second article les questions très intéressantes qui ont été posées par les participants à ce débat. Pour le moment, nous présentons ci-dessous le canevas de la présentation .
Post scriptum : Selon deux journalistes du Monde (http://droites-extremes.blog.lemond...[NL_Titresdujour]-20101214-[zoneb]), cette comparaison est beaucoup plus vieille que je ne le pensais :
"le 15 mai 1993. Le FN, sous l’égide de son conseil scientifique, organisait un “colloque” intitulé “d’une résistance à l’autre, l’Histoire en question de 1940 à 1993″. Le délégué général, Bruno Mégret, y avait alors fait une intervention “remarquée”, racontée par Renaud Dely dans son Histoire secrète du Front national (Grasset, 1999), traçant un parallèle abject entre l’occupant nazi de 1940 et les immigrés. “Le combat de la résistance visait à s’opposer à la fois à l’invasion allemande et à l’oppression nazie. Or, aujourd’hui il y a invasion et il y a oppression.Certes, il s’agit de formes molles, non militaires de ces deux fléaux, mais les deux mots peuvent être valablement utilisés.” “L’invasion, c’est naturellement l’invasion liée à l’immigration” poursuivait Bruno Mégret, la France étant, à ses yeux, “victime, depuis de nombreuses années, d’une authentique invasion silencieuse et pour le moment pacifique. Il ajoutait que si “l’établissement adopte une attitude de collaboration avec l’envahisseur”, “le Front national adopte, lui, une attitude de résistance”."
Comme quoi, plus on creuse la question, plus les positions de la gauche laïco-xénophobe ne sont qu’un copier-collier de la "pensée" d’extrême droite.
Y.C.
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Avant de commencer je crois qu’il faut se mettre d’accord sur 6 points fondamentaux qui devraient permettre de fixer un cadre et un contexte au débat de ce soir :
1. Les religions et les Eglises ont évolué, leur place dans les sociétés occidentales a changé, et on ne peut plus les critiquer de la même façon qu’au XIXe siècle – ce qui n’enlève rien à l’importance de l’athéisme et du matérialisme scientifique, bien au contraire ;
2. L’idéologie de l’extrême droite a subi des changements importants, notamment sous l’influence de la Nouvelle Droite. L’antifascisme traditionnel – quelles que soient par ailleurs ses limites démocratiques-bourgeoises – doit donc renouveler son argumentaire s’il souhaite être convaincant ;
3. Il existe en France, depuis le XIXe siècle, un courant « socialiste-national », à la fois athée et anticapitaliste, laïque, chauvin et raciste, en clair une « gauche réactionnaire », que l’on ne peut réduire ni à l’extrême droite ni au fascisme, ce qui ne la rend pas moins nocive.
4. Derrière les discussions sur la laïcité et l’islam, ce sont des convergences ou des divergences sur la nature de la nation et la pertinence de la défense de l’Etat-nation qui jouent un rôle essentiel.
5. La montée des « national-populismes » en Europe coïncide avec la construction de « l’Europe forteresse ». C’est dans ce contexte social et politique qu’il faut situer les débats sur la laïcité et l’islam, les contrôles des « flux migratoires » et la définition de qui est « européen » et qui ne l’est pas.
6. À l’échelle internationale, le débat sur le « conflit de civilisations » est intimement lié aux interventions des Etats-Unis et de leurs alliés au Koweit, en Irak et en Afghanistan ; à la volonté des grandes puissances de contrôler les sources d’énergie et les grands axes commerciaux ; au jeu des puissances intermédiaires (Iran, Turquie) et des Etats pétroliers (du Golfe ou pas) qui souhaitent obtenir une part des bénéfices de l’exploitation des matières premières et des prolétaires ; et, last but not least, aux activités militaires ou politiques des mouvements islamistes au Proche-Orient, au Moyen-Orient et au Maghreb qui donnent une tonalité religieuse à ce qui sont avant tout des conflits d’intérêts matériels.
Si l’on prend en compte ces différents éléments, d’inégale importance, et si l’on dénonce le nationalisme et le patriotisme comme des idéologies mortifères, et l’Etat comme le représentant naturel des intérêts du Capital, alors il sera peut-être possible de clarifier les clivages politiques. Sinon la confusion perdurera.
On assimile traditionnellement la droite française à la dénonciation des Lumières, à l’obscurantisme religieux, à l’homophobie, au sexisme, à l’antisémitisme, au racisme et à la défense d’un « Etat fort », voire des dictatures militaires ou fascistes ; et on assimile la gauche à la défense de la laïcité, de la République, de la démocratie, du féminisme et des droits des homosexuels, et de toutes les minorités nationales ou ethniques. Or, depuis quelques années, les frontières idéologiques semblent s’être brouillées entre la droite, l’extrême droite et la gauche en France, notamment à l’occasion des débats passionnés sur le contenu « totalitaire » de l’islam comme religion et de l’islamisme comme doctrine politique.
La tenue de plusieurs « apéros saucisson-pinard » dans différentes villes en juin et juillet 2010 a été l’occasion d’observer une inquiétante convergence entre des républicains de gauche (Riposte laïque), des gaullistes, des villiéristes, des souverainistes de droite et de gauche, et des « Identitaires (1) » (en clair des nationalistes fascisants ou néofascistes) au nom de la défense de la laïcité et du féminisme, et de l’expulsion des immigrés – musulmans ou pas (2). Cette coalition hétéroclite prétend rassembler de pseudo-« résistants » face à « l’invasion » supposée des immigrés et de l’islam. Et ils n’hésitent pas à traiter leurs adversaires de « collabos », ou de « collabobos ».
Comment expliquer de telles convergences entre militants de droite et de gauche ? Sont-elles vraiment nouvelles ?
Il nous semble que cette évolution (apparemment) récente a été précédée et préparée, à droite, par le long travail souterrain des idéologues de ce qu’il est convenu d’appeler la « Nouvelle Droite » ou les « nouvelles droites ». Cette étiquette a été inventée pour qualifier une mouvance aux contours vagues, qui va du GRECE (et surtout de son animateur Alain de Benoist, atteint d’une « incontinence de l’encrier » comme le dit l’un de ses copains fachos) au Club de l’Horloge en passant par de nombreux clubs, revues et colloques. Les individus formés ou influencés par ces différentes structures ont à leur tour réinterprété les messages qu’ils lisaient ou entendaient, ce qui a donné naissance à une certaine cacophonie idéologique – parfois volontaire, les néodroitiers se plaisant à proclamer tout et son contraire et à puiser chez des intellectuels aussi divers que Georges Dumézil, Claude Lévi-Strauss, Julius Evola, Louis Rougier, Robert Jaulin et Carl Schmitt.
Je n’entrerai pas ici dans le détail de tous les courants et sous-courants de la « Nouvelle Droite ». Il importe seulement de souligner ici qu’un certain nombre d’intellectuels et de cadres militants des groupuscules d’extrême droite ont efficacement contribué à « brouiller les lignes » et à semer la confusion entre droite et gauche, en récupérant beaucoup de thèmes que la gauche avait mis à la mode dans les années 60-70, même si la droite avait déjà exploité certains de ces thèmes : écologie profonde, régionalisme anti-jacobin, anti-impérialisme, bien sûr, mais aussi altermondialisme, multiculturalisme (3) et féminisme (4).
C’est sans doute aux Pays-Bas (5) que ce brouillage des lignes est allé le plus loin, puisqu’il existe dans ce pays un parti d’extrême droite, « national-populiste », important (24 députés sur 150), le PVV, Parti pour la liberté (6), qui prône l’expulsion de tous les immigrés musulmans (ce qui est plutôt banal), mais défend aussi les Lumières, les droits des gays et des lesbiennes, ce qui est plus rare à l’extrême droite : Théo Van Gogh, le démagogue qui succéda à Pim Fortuyn (7), et précéda Geert Wilders dans la dénonciation du multiculturalisme néerlandais, de l’immigration et de l’islam, avait coutume d’apostropher ses critiques de gauche en leur lançant : « Vous prétendez connaître les immigrés maghrébins, mais moi, je les connais mieux que vous car je les baise régulièrement dans les back-rooms. » On imagine mal Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret ou même Marine Le Pen tenir ce genre de propos, quelle que soit leur volonté de moderniser leur discours et leur look…
Pourtant, si l’on parcourt la production « théorique » des groupuscules racistes et fascisants de la « Nouvelle Droite » française depuis les années 60, particulièrement des « néo-païens », on découvre que certains d’entre eux ne s’opposent pas à l’homosexualité… tant qu’elle est discrète (8). Cette position est pour eux « cohérente » dans la mesure où ils vantent les mérites de la civilisation grecque antique et des sociétés « indo-européennes » avant le christianisme. Dans leur vison mythifiée de cet Age d’Or « indo-européen », ou « indo-germanique », la notion de péché n’existait pas encore ; la sexualité n’était donc pas soumise à autant d’interdits ; l’homosexualité et le lesbianisme constituaient des formes de relations sexuelles socialement admises. Et un tel changement de position face à l’homosexualité n’est pas du tout anodin, car il touche à un élément central pour toutes les extrêmes droites : la défense de la famille. Pour un parti d’extrême droite, et a fortiori pour un parti fasciste, reconnaître (même timidement) l’homosexualité c’est reconnaître implicitement qu’un des points fondamentaux de son programme et de son idéologie n’est plus soutenable dans les sociétés occidentales modernes.
Si certains historiens et politologues ont déjà commencé à décrire l’évolution de la droite et de l’extrême droite depuis 30 ans, il n’en est pas de même à gauche. À part le filon sensationnaliste qui consiste à dénoncer tous les antisionistes comme des antisémites (cf. les ouvrages de P.A. Taguieff qui tournent malheureusement aux pamphlets approximatifs dès qu’ils abordent les positions de l’extrême gauche et de l’ultragauche ; ou le livre de Michel Dreyfus, "L’antisémitisme à gauche", qui croit qu’en remplaçant la préposition « de » par « à » on résoudra un problème épineux et séculaire qui touche à la nature de l’anticapitalisme, et qui se permet lui aussi de lancer des accusations infondées contre Lutte ouvrière et certains ultragauches), on ne peut pas dire que les universitaires se soient beaucoup intéressés aux rapprochements récents entre la gauche et la droite.
Plus exactement, on trouve de nombreux essais à propos de « l’islamophobie » qui prétendent que la gauche a toujours été colonialiste, que la majorité des philosophes des Lumières étaient racistes, et que l’universalisme de la gauche conduit à une impasse « eurocentriste ». Le problème est que ces auteurs de la gauche « postmoderne » abandonnent tout esprit critique face aux religions, particulièrement face à l’islam, mais aussi face à l’islamisme, présentant ce dernier comme un mouvement émancipateur. La question de la religion étant intimement liée à celle de la nation, on ne s’étonnera pas que ces intellectuels, qui ont un regard totalement acritique sur le nationalisme des Etats et des mouvements de libération nationale des pays non occidentaux, soient incapables de critiquer les religions qui rythment la vie quotidienne des peuples concernés.
En dehors de Zeev Sternhell, violemment critiqué par la plupart des historiens français, Marc Crapez est l’un des rares auteurs, à ma connaissance, qui aient apporté quelques pistes intéressantes sur la gauche réactionnaire du XIXe siècle et ses connivences idéologiques profondes avec ce qui allait devenir l’extrême droite (cf. notre article à ce sujet sur ce site 1586). Il montre dans son livre qu’au XIXe siècle et dans la première moitié du XXe siècle, il existait déjà en France des courants athées et racistes (à l’époque antisémites), anticapitalistes et nationalistes : ces blanquistes et ces communards boulangistes de gauche étaient en quelque sorte reconnus comme des « camarades dans l’erreur » par les autres tendances socialistes de l’époque. Ils formaient la branche « socialiste-nationale » de la famille, et Riposte laïque aujourd’hui (l’antisémitisme en moins le racisme anti-arabes en plus) en est la piètre héritière.
Il faut donc dénoncer ces rapprochements idéologiques entre droite et gauche qui sont mortifères pour tout changement social, mais aussi souligner que la critique des religions doit tenir compte de leur évolution, et de l’évolution des comportements politiques des croyants et des fidèles. Sinon il est impossible affronter la question de l’islam dans les pays capitalistes occidentaux, et les problèmes qui peuvent être posés par l’influence néfaste de cette religion sur un certain nombre de travailleurs et d’exploités.
Et cela concerne bien sûr d’autres religions que l’islam : il suffit d’observer l’apathie et la résignation encouragées par les pentecôtistes dans l’émigration haïtienne en France depuis le tremblement de terre du 13 janvier 2010, et la façon dont sur place ils prétendent que le séisme serait une punition divine pour la pratique du vaudou par le peuple haïtien !
Y.C.
Notes
1. Le terme d’identitaire a été choisi par ces individus pour éviter d’utiliser le mot « nationaliste ». Il existe des groupes identitaires dans différents pays d’Europe.
2. La même coalition réactionnaire organise des Assises internationales contre l’islamisation le 18 décembre 2010. A ce propos, un site d’extrême droite annonce que je serais un des "invités surprises" de ces Assises. Il s’agit bien évidemment d’une blague débile. Malheureusement, la nocivité des néodroitiers et des néofascistes ne se limite pas à de telles plaisanteries de potaches.
3. C’est ainsi que le Vlaams Blok, devenu plus tard le Vlaams Belang, se réclame d’une « Europe multiculturelle de peuples monoculturels (et monoraciaux) » de structure confédérale.
4. La « Nouvelle Droite », en reconnaissant les genres et en invoquant un « universel féminin » a pu faire illusion.
5. Ce n’est pas un hasard si le groupe De Fabel van de illegaal a étudié en détail comment l’extrême droite néerlandaise s’est emparée de thèmes comme l’altermondialisme, l’écologie et le féminisme (cf. le recueil d’articles La Fable de l’illégalité publié par Ni patrie ni frontières en 2004).
6. Cf. les articles suivants publiés sur le site mondialisme.org et dans la revue Ni patrie ni frontières : « Geert Wilders et le PVV aux Pays-Bas : Le « Parti pour la Liberté » vous exclura aussi ! » ; « De Geert Wilders à Riposte laïque, l’Internationale de la xénophobie » ; « Geert Wilders, un politicien populiste et d’extrême droite » ; « Qui est vraiment Geert Wilders ? ».
7. Pim Fortuyn fut assassiné le 6 mai 2002 par un déséquilibré se réclamant de l’écologie, et Théo van Gogh le 2 novembre 2004 par un Marocain musulman.
8. L’extrême droite actuelle, aidée par Riposte laïque, rejoue la même partition, cette fois contre « l’islamisation » imaginaire de l’Europe.. Dans un article de "Pouvoirs" (n° 87, novembre 1998), Piero Ignazi signale qu’au début des années 90 le MSI néofasciste, qui se transforma en Alleanza nazionale en 1994, adopta, à une courte majorité, une position hostile aux discriminations contre les homosexuels en Italie.
Quelques articles parus ou à paraître dans Ni patrie ni frontières mais qui sont déjà sur le site mondialisme.org
Sur Respublica puis Riposte laïque
http://www.mondialisme.org/spip.php...
http://www.mondialisme.org/spip.php...
Sur Wilders interviewé par RL et chouchou de RL
http://www.mondialisme.org/spip.php...
http://www.mondialisme.org/spip.php...
Avec qui peut-on (et ne peut-on pas) s’allier pour lutter contre l’islamisme ?
http://www.mondialisme.org/spip.php...
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