Pierre Morain est décédé
C’est un militant infatigable qui vient de nous quitter, à l’âge de 83 ans. Ouvrier du bâtiment, militant de la Fédération communiste libertaire en 1955, Pierre Morain s’est distingué dans le combat anticolonialiste, de la guerre d’Algérie à la cause palestinienne ces dernières années.
A son enterrement, le 30 mai à Saint-Martin-du-Larzac (Aveyron), environ 200 personnes étaient venues de tout le plateau et de plus loin. Des militants de tous les horizons — Alternative libertaire, Confédération paysanne, Faucheurs volontaires d’OGM, Ecole émancipée, Campagne civile pour la protection du peuple palestinien — étaient présents et ont lu des allocutions souvent émouvantes. Citons notamment celles d’un ancien prisonnier palestinien, et le message transmis par Jean-Claude Amara (Droits devant !!) et par Jean-Baptiste Eyrault (DAL).
Notre camarade Daniel (AL Paris-Sud) a transmis un message de Line Caminade (ex-FCL) et raconté sa rencontre avec Pierre et sa compagne Suzanne, lorsqu’il a réalisé le film Une résistance oubliée, dont des extraits ont été projetés pendant la cérémonie.
Après quelques chansons antimilitaristes comme La Butte rouge et Le Déserteur, les présents ont fait à Pierre l’hommage d’une ultime Internationale tandis que le cercueil était porté en terre.
Nous assurons sa compagne Suzanne et sa fille Eliane de toute notre amitié. Nous parlerons plus longuement de Pierre Morain dans le numéro d’été d’Alternative libertaire.
http://www.alternativelibertaire.org/sp ... rticle5360
http://labrique.net/numeros/en-ligne-un ... ncarcere-aMort de Pierre Morain, incarcéré à Loos en 1955 pour son soutien aux révolutionnaires algériens
« Moi je ne suis pas français, je suis ouvrier ». Voilà ce que répondit Pierre Morain au tribunal de Lille qui lui demandait pourquoi lui, Français, participait aux côtés des travailleurs algériens aux violentes émeutes qui retournèrent le centre-ville de Lille ce 1er mai 1955. Pierre Morain, ouvrier du bâtiment installé à Roubaix, anarchiste, sera le premier métropolitain incarcéré pour son soutien aux révolutionnaires algériens. Il est décédé le 27 mai 2013. L’historien Jean-René Genty lui rend cet hommage.Pierre Morain, à la sortie de la prison de la Santé en mars 1956
(source : tract annonçant la sortie de la brochure « Un homme, une cause… »)
Mort d’un anarchiste !
Pierre Morain est mort le 27 mai 2013 au Larzac où il résidait avec son épouse Suzanne depuis les années soixante-dix. Tous deux participaient à la lutte des agriculteurs du plateau contre l’extension du camp militaire. Au moment de son installation sur le plateau, Pierre Morain comptabilisait alors déjà de nombreuses années de militantisme. Jeune ouvrier du bâtiment dans la région parisienne au début des années cinquante, il militait à la Fédération Communiste Libertaire (FCL) et appartenait à son cercle le plus restreint, « l’Organisation Pensée Bataille » emmenée par Georges Fontenis.
C’est à ce titre qu’il fut envoyé dans le Nord en avril 1955 à la demande du Mouvement National Algérien avec mission d’organiser un comité de soutien aux militants algériens. Les contacts entre Messali Hadj et la FCL étaient alors étroits via l’intermédiaire de Daniel Guérin, qui se réclamait à la fois du communisme libertaire et de la lutte anticolonialiste. Pierre Morain expliquait que, se retrouvant à Roubaix, il n’avait pas eu vraiment le temps de trouver des contacts dans les milieux métropolitains. En revanche, il fut rapidement adopté par les Algériens de Roubaix, travaillant le jour comme manœuvre terrassier chez Carette-Duburcq et diffusant le soir et le week-end Le Libertaire dans les cafés algériens. Le journal consacrait une large place à l’activité des révolutionnaires algériens et Pierre Morain rédigea plusieurs articles importants consacrés à la vie quotidienne des Algériens de Roubaix.
Il fut partie prenante des événements du 1er mai 1955 à Lille au cours desquels les Algériens du Nord encadrés par le service d’ordre messaliste affrontèrent pendant cinq heures les charges des forces de police et de gendarmerie mobile qui tentaient de s’emparer des banderoles proclamant l’Algérie libre et des portraits du Zaïm. Pierre Morain participa aux affrontements aux côtés de ses camarades algériens. Repéré par les différents services – il signait de son nom les articles publiés dans Le Libertaire – il fut contrôlé par des douaniers (la bataille de la frontière entre nationalistes algériens et forces de l’ordre commençait) le 23 mai. Le 24 mai, il fut interpellé par la DST puis relâché. Le 29 mai, Pierre Morain fut arrêté et emprisonné à Loos où il rejoignit les cadres algériens incarcérés à la suite de la manifestation. Tous étaient poursuivis pour « reconstitution de ligue dissoute ». Pierre Morain fut condamné à cinq mois de prison. Après appel interjeté par le parquet, la Cour d’appel de Douai élevait sa peine à un an de prison.
La condamnation du premier « Frère des Frères » de la guerre d’indépendance algérienne en métropole passa assez inaperçue et le cas Morain sortit peu à peu de l’anonymat grâce à l’action du comité de défense emmené par Jean Cassou, Daniel Guérin, Claude Bourdet et Yves Dechezelles. Mais ce fut la prise de position d’Albert Camus dans L’Express du 8 novembre 1955 qui attira l’attention de l’opinion publique sur « la situation d’un jeune militant (…) placé sous les verrous pour avoir manifesté un mauvais esprit en matière de politique algérienne. La protestation, jusqu’à présent a été limitée à d’étroits secteurs de l’opinion. Morain ayant le double tort d’être ouvrier et anarchiste ». Rappelons que jusqu’à sa mort, Camus demeura fidèle à ses contacts avec l’anarchisme et le messalisme.
Pierre Morain quitta la prison de la Santé à la fin du mois de mars 1956 mais il demeurait sous le coup d’une inculpation pour atteinte à la sûreté extérieure de l’Etat. En janvier 1957, il participait à l’assaut donné par un groupe de « l’Organisation Pensée Bataille » contre la permanence du mouvement Poujade, rue Blomet dans le 16ème arrondissement.
L’aventure du groupe « Organisation Pensée Bataille » se termina par le passage dans la clandestinité et l’arrestation de son principal dirigeant, Georges Fontenis.
Par la suite, Pierre Morain continuera à militer dans la mouvance anarchiste puis alternative.
J.-R. GENTY
Sources : Fontenis Georges, L’autre communisme, histoire subversive du mouvement libertaire, Lucée, Acratie, 1990 ; Comité Pierre Morain, Un homme, une cause, Pierre Morain prisonnier d’Etat, Paris, 1956 ; Témoignage de Pierre Morain, 22 août 1992, archives privées J.-R. Genty ; Témoignage de Georges Fontenis, 23 juin 1992, archives privées J.-R. GENTY ; Collection du journal Le Libertaire, BDIC de Nanterre. Genty J.-R., L’immigration algérienne dans le Nord-pas-de-Calais, Paris, L’Harmattan, 1999 ; Genty J.-R., Fidaou el Dzezaïr, les nationalistes algériens dans le Nord, Paris, L’Harmattan, 2008.
http://www.alternativelibertaire.org/sp ... rticle1240Algérie, Toussaint 1954 : Le déclenchement de l’insurrection
Il y a 50 ans éclatait l’insurrection algérienne, prélude de la guerre de libération nationale qui aboutit en 1962 à la décolonisation de l’Algérie.
Plus d’un siècle et demi avant, en 1794, la Révolution française est menacée de l’intérieur et sur ses frontières. Les réserves s’épuisent et aucun État ne veut vendre de grain à la France hormis le dey d’Alger. Deux ans plus tard, les finances de la France sont au plus bas et de nouveau, le dey va prêter au Directoire, un million sans intérêts pour l’achat de blé. Par le biais d’intermédiaires, la France achète alors pour 7 millions de blé. 31 ans plus tard le dey n’a toujours pas récupéré le premier million.
Plus grave encore, le dey apprend que la France vient de fortifier un bâtiment destiné au commerce sur la côte algérienne. Il demande des explications au gouvernement ; ses lettres restent sans réponse. Il convoque le Consul de France. Le ton monte, le dey donne un coup de chasse-mouche au consul… La France tient son prétexte. Nous sommes en 1830, la première guerre d’Algérie commence et durera 40 années durant lesquelles des villages seront incendiés, des tribus entières asphyxiées dans des grottes, des hommes et des enfants massacrés, les femmes parfois épargnées pour être vendues. Le bétail et les terres seront récupérés par l’armée pour être redistribuées aux colons.
Le point de non-retour
Pendant près d’un siècle le peuple algérien subit mais ne se résigne pas. Longtemps il a espéré une intégration, ou du moins l’égalité. Les anciens combattants de la Grande guerre n’ont toujours pas les mêmes droits que leurs frères de tranchée de métropole ni la même reconnaissance. Quand il faut se battre pour délivrer la « mère-patrie » du joug nazi, ils sont encore là sur les côtes italiennes, au Monte Cassino et au delà de la frontière du Rhin. Ceux qui en réchappent, encore tout auréolés de gloire, vont apprendre en rentrant au pays ce qui s’est passé à Sétif le jour de la victoire du 8 mai 1945 1. Les médailles se ternissent et les poings se serrent. Parmi ces soldats, il y a l’adjudant Ben Bella, le sergent Ouamrane, l’adjudant Boudiaf et bien d’autres qui, petit à petit, se font à l’idée que seule une lutte armée, émancipera le peuple algérien.
La colère couve
Depuis le massacre de Sétif, les choses s’emblaient rentrer dans l’ordre. La France se relève de la guerre. L’Algérie traditionnelle et rurale fournit des milliers de travailleurs pour l’industrie métropolitaine. Ce prolétariat de plus en plus important est organisé dans les syndicats mais surtout politisé autour de Messali Hadj, chef charismatique d’un mouvement ouvrier et indépendantiste depuis le milieu des années 20 2. À l’aube de l’insurrection, le vieux dirigeant va laisser passer sa chance historique. Il ne prendra pas au sérieux les informations concernant la date et la mesure du projet. Il est vrai qu’ils ne sont, fin juillet 1954, que 22 jeunes activistes regroupés au sein du CRUA 3 à prendre la décision de déclencher une action nationale pour le courant de l’automne et à proclamer le Front de libération nationale.
L’étincelle
Après avoir été repoussée une fois, la date du déclenchement est décidée pour le jour de la Toussaint. À minuit dans cinq zones de l’Algérie, des fermes sont incendiées, des casernes attaquées, des colons tués. Des attentats visent des centres énergétiques et industriels. L’ensemble de la communauté des Français d’Algérie est frappé de stupeur par la multiplication coordonnée des attaques. Le gouvernement, l’armée, les colons, les fonctionnaires, le petit peuple, tout ce système colonial ne peut imaginer que la deuxième guerre d’Algérie vient de commencer. Elle durera huit ans au cours desquelles la France écrira ses pages d’histoire parmi les plus sombres.
Les communistes libertaires
La Fédération communiste libertaire (FCL) créée en 1953 va soutenir activement les luttes anti-colonialistes au côté des indépendantistes de tout l’empire. Chaque numéro du Libertaire foisonne d’articles dénonçant les méfaits de la France en Indochine et appelle au sabotage et à la désertion. Les lecteurs sont régulièrement informés de l’évolution de la situation au Maroc et en Tunisie. Depuis 1951 le Mouvement libertaire nord-africain (MLNA) tente d’organiser les travailleurs sur place et est une source d’information importante permettant plus tard à la FCL d’être parmi les tous premiers à dénoncer la torture. Tout naturellement lorsque les militants de la FCL apprennent le déclenchement de l’insurrection, ils se mobilisent immédiatement. Les saisies, amendes, procès vont bientôt faire partie du quotidien. Un de ses militants, Pierre Morain, sera le premier prisonnier politique européen de la guerre d’Algérie.
René Jacques Defois
Références bibliographiques :
- Robert Louzon, Cent ans de capitalisme en Algérie, 1830-1930, Acratie.
- Georges Fontenis, Changer le monde, histoire du mouvement communiste libertaire 1945-1997, Le Coquelicot/Alternative libertaire.
- Daniel Guérin, Quand l’Algérie s’insurgeait, 1954-1962, La Pensée sauvage.