Génocide des Arméniens : un siècle de négationnisme d’État

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Génocide des Arméniens : un siècle de négationnisme d’État

Messagede Zoom le Dim 26 Avr 2015 02:20

Génocide des Arméniens : un siècle de négationnisme d’État

Avril 1915-février 1916 : 1,5 million d’Arméniens et Arméniennes sont déportés et exterminés par les autorités ottomanes dans une volonté explicite de faire disparaître cette communauté du territoire de l’empire. Cent ans plus tard, la diaspora arménienne ne peut toujours pas commémorer ce drame dans la dignité. Le combat pour la reconnaissance du génocide fait désormais partie intégrante de son histoire.

En 2014 le Premier ministre turc Recep Tayyip Erdoğan (aujourd’hui président de la République) présentait ses condoléances pour les « événements » de 1915, refusant toutefois la qualification de « génocide » et ne se positionnant pas clairement sur la notion de « massacre ».

Le geste était diplomatique, sûrement motivé par les enjeux économiques (la candidature à une entrée dans l’Union européenne), mais il semblait témoigner d’une conscience réelle de la signification des massacres de 1915. Il était cependant aussitôt contrebalancé par une provocation cynique : le choix du 24 avril 2015 pour commémorer la bataille de Gallipoli [1].

Or, le 24 avril est également la date hautement symbolique du début du génocide des Arméniens, en 1915.

Le racisme et le négationnisme en Turquie sont structurels et politiques. Moins de 10 % des Turcs reconnaissent aujourd’hui qu’il y a eu génocide [2]. Et pour cause. Dans une omission générale, les faits ne sont pas enseignés et sont même niés à l’école publique comme à l’Université.

En plus de cette éducation au négationnisme, l’État encourage le sentiment de haine raciale contre la population arménienne en subventionnant, dans la ville d’Iglir, un musée d’un prétendu « massacre des Turcs organisé par les Arméniens », qui expose des documents inventés de toutes pièces.

La volonté d’en finir avec la mémoire populaire arménienne et d’occulter cet épisode de l’histoire ottomane est donc confirmée. Ce négationnisme est la perpétuation du génocide, en ce sens qu’il est motivé par les mêmes raisons idéologiques qui conduisirent à l’extermination : l’homogénéisation culturelle et ethnique de la population, pour la conformer à l’idéal du fascisme panturquiste.

Paranoïa nationaliste

Côté judiciaire, nombre d’intellectuels et de militants turcs qui se sont exprimés pour la reconnaissance du génocide, ont connu la prison au nom de l’article 301 de la Constitution, emblème de la paranoïa nationaliste turque, qui interdit « l’insulte à l’identité turque » [3].

Les actes négationnistes et racistes persistent aussi fermement dans la société civile. On se souvient de l’assassinat, en 2007, du journaliste militant Hrant Dink, en plein jour dans une rue d’Istanbul par un jeune nationaliste turc. Plus récemment, on peut citer l’affaire Dogu Perinçek, un nationaliste turc qui a porté devant la Cour européenne des droits de l’homme son droit à la négation du génocide, qu’il qualifie de « mensonge impérialiste international », suggérant l’existence d’un complot contre la Turquie.

Il faut bien comprendre que la bataille sur l’emploi du terme « génocide », n’est pas que sémantique. Si l’État turc admettait qu’il y a eu génocide, cela signifierait – en plus de porter une responsabilité morale en contradiction avec l’idéologie dont il a hérité – devoir combattre le racisme structurel et promouvoir les droits des Arméniens en tant que communauté culturelle.

Et puis, surtout, cela signifierait réparer. Réparer, cela implique des dommages et intérêts, et la restitution des terres aux descendants des victimes [4]. Et cela, la Turquie, qui a construit un mausolée à Talaat Pacha (un des principaux commanditaires du génocide) ne le fera pas.

Une histoire actuelle

Sans en aucun cas se satisfaire de la situation, la sympathie de plus en plus large, en Turquie, pour la cause arménienne, est enthousiasmante. Mais le nombre de gens conscients reste généralement restreint à ceux et celles qui ont accès à la science historique et à la possibilité de formuler des critiques.

L’auteure de cet article est convaincue que l’impérialisme, le fascisme et le racisme qui s’entretiennent mutuellement en Turquie cèderont face au combat commun des peuples qui en sont victimes.

L’histoire du peuple arménien est encore actuelle pour lui-même, mais aussi pour d’autres peuples (comme l’exemple flagrant des Palestiniens). La compréhension de nos histoires respectives permet de saisir nos causes communes tout en gardant à l’esprit leurs spécificités. D’autres minorités, comme les Kurdes, les Grecs et les Syriaques sont toujours concernées par beaucoup de problématiques communes. C’est par le respect de chacun, dans sa particularité, qu’une réelle solidarité peut se construire, et empêcher à l’avenir ces rapports d’oppression qui sont si souvent fatals.

Némésis Atabekian (amie d’AL)


[1] Pendant la Première Guerre mondiale, la presqu’île de Gallipoli fut le théâtre d’affrontements meurtriers entre l’armée ottomane et le corps expéditionnaire franco-britannique

[2] D’après Le Monde du 23 avril 2015 http://abonnes.lemonde.fr/europe/articl ... uie&xtcr=4, un sondage réalisé à Istanbul à la fin de 2014 par le Centre d’études économiques et de politique étrangère a révélé que seules 9,1% des personnes interrogées aimeraient voir leurs dirigeants reconnaître le génocide, 23,5% considèrent que les Arméniens n’étaient pas les seules victimes et 21,3% estiment qu’il ne faut prendre aucune nouvelle initiative sur ce dossier. Un quart des personnes sollicitées n’ont pas souhaité répondre.

[3] « Turquie : Amnesty International réagit à l’usage de l’article 301 », sur le site du Comité de défense de la cause arménienne http://www.cdca.asso.fr/s/detail.php?r=9&id=377 (4/12/2005)

[4] L’Histoire, février 2015, page 50.

http://alternativelibertaire.org/?Genoc ... -un-siecle
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Re: Génocide des Arméniens : un siècle de négationnisme d’État

Messagede Seven Dwarfs le Jeu 30 Avr 2015 11:05

Outre le génocide arménien il y a eu aussi le génocide des Assyro-Chaldéens. Moins nombreux que les arméniens il ont proportionnellement bien plus souffert. Ce génocide est totalement oublié probablement parce que cette communauté avait un mode de vie encore féodal et plus arriérée que les arméniens et n'avait ni élite intellectuelle, ni prolétariat et diaspora lettrés . Les Assyro-chaldéens sont des chrétiens orthodoxes: avant la création de la Syrie ils étaient appelé parfois "Syriens" ce qui complique la compréhension de vieux textes historiques.

Wiki sur le génocide assyrien: http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9nocide_assyrien

Les bords de la mer noire et l'arrière pays de Trebzonde (Trébizonde) étaient peuplés de grecs, minoritaires mais numériquement très importants (40 % par endroit), la population d'origine non islamisée. On les appelle grecs pontiques ou encore micrasiates. Eux aussi on été victime d'un quasi-génocide oublié dès la fin du XIX siècle, peut être parce que les grecs de Grèce et les survivants réfugiés se sont vengés sur les turcs de Grèce et qu'il y a eu là aussi des massacres?

Wikipédia génocide grec pontique http://fr.wikipedia.org/wiki/G%C3%A9noc ... c_pontique

Il est à remarquer que si il y a eu des pogroms localisés la communauté juive a beaucoup moins souffert car essentiellement regroupée à Istanbul et dans les très grande ville de l'Ouest. Dans la partie européenne (Istanbul et la Roumélie) les différents gouvernements ont épargné par intérêt les trois communautés non musulmanes. Étendre les massacres à cette régions aurait signé la mort économique d'un empire ottoman déjà très mal en point. Ces communautés ayant su développer un système éducatif assez efficace copié sur ce qui se faisait en Europe contrairement au reste la population resté à l'école coranique. Ils avait donc un quasi monopole du grand commerce pour les classes aisées et des emplois "modernes" pour les autres: postes, chemins de fer, petits fonctionnaires de bureau et banques activités naissants avec 40 de retard dans l'empire Ottoman.
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Re: Génocide des Arméniens : un siècle de négationnisme d’État

Messagede Seven Dwarfs le Mer 6 Mai 2015 08:53

Il y a un exposition - gratuite - sur le génocide arménien à la mairie de Paris. Très bien faite !
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Re: Génocide des Arméniens : un siècle de négationnisme d’État

Messagede Zoom le Dim 17 Mai 2015 12:51

Génocide arménien : sur les pas de l’opération Némésis

[vidéo] On n’est jamais mieux servi que par soi-même. De 1920 à 1922, la Fédération révolutionnaire arménienne, de tendance socialiste, coordonna l’opération Némesis. Il s’agissait de traquer, puis d’exécuter les cerveaux du génocide qui avaient trouvé refuge en Allemagne, en Italie ou en Géorgie.

De jeunes militants dévoués, armés de révolvers, s’acquittèrent de cette mission.

Au total huit hauts responsables ottomans et trois traîtres arméniens subirent cette justice directe.

... http://www.alternativelibertaire.org/?G ... s-pas-de-l
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Re: Génocide des Arméniens : un siècle de négationnisme d’État

Messagede Seven Dwarfs le Lun 18 Mai 2015 11:28

L'une des raison du négationnisme est le fait que plusieurs futurs compagnons de Kemal Atatürk qui feront la révolution et la Turquie moderne avec lui ont aussi été impliqués dans le génocide. K.A. n'y a pas été impliqué exerçant un commandement militaire opérationnel sur le front dans la partie européenne de la Turquie.
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Re: Génocide des Arméniens : un siècle de négationnisme d’État

Messagede Zoom le Ven 10 Juil 2015 02:06

En 1915 : Le nationalisme comme fabrique d’une identité meurtrière

Le génocide des Arméniens et Arméniennes est admis comme le premier du XXe siècle [2] . Bien que ce fait soit internationalement connu, le contexte dans lequel il s’est déroulé l’est moins du grand public. C’est le cas en France, où jusqu’aux années 2000, il était à peine mentionné dans les programmes d’histoire. Les événements et publications du centenaire devraient en partie y remédier.

Le génocide des Arméniens a longtemps été un fait plus ou moins occulté par les historiens de la Première Guerre mondiale, parce que noyé dans une histoire très européocentrée. Le négationnisme des gouvernements turcs successifs et les pressions tant nationales qu’internationales des autorités turques ont également joué contre la vérité historique. Cette difficulté à imposer auprès du grand public la réalité du génocide arménien n’est toutefois pas quelque chose d’unique.

Ainsi la communauté juive et les historiens travaillant sur le génocide juif ont été confronté-e-s à de semblables difficultés jusque dans les années 1970.

1,5 million de morts en trois ans

Pour faire émerger cette histoire si difficile à dire et à écrire, il a fallu l’acharnement de la diaspora arménienne pour sauvegarder sa mémoire. La multiplication des travaux d’historiens a également joué un rôle important.

Mais au-delà de l’abondance de la production historique, il faut aussi souligner le rôle de l’évolution du regard des historiens sur la Première Guerre mondiale en particulier et sur les guerres en général. Ainsi on peut voir dans les travaux de ces vingt-cinq dernières années un plus grand intérêt prêté au sort des civils, à la banalisation de la violence véhiculée par un nationalisme qui glorifie la guerre et à la « brutalisation des sociétés ».

Tous ces facteurs ont ainsi contribué à faire passer le génocide arménien d’une horreur noyée dans celles du premier conflit mondial à un fait majeur de cette même guerre.

Celui-ci est le fait du régime des Jeunes Turcs au pouvoir depuis 1908. Ce régime est porteur d’un projet nationaliste de turcisation de l’espace anatolien dès ses débuts. Il bascule dans une politique génocidaire dans un contexte de déroute des armées ottomanes particulièrement sensible à partir de janvier 1915.

Face à l’échec de l’offensive de l’armée ottomane opposée aux armées russes au Caucase, le gouvernement rend les soldats d’origine arménienne responsables de cette défaite. Certes le génocide des Arménien-ne-s n’est pas programmé au début de la guerre, et ce même si les persécutions et les massacres ont cours dès les années 1890. En revanche on peut dire que la guerre joue un rôle d’accélérateur de l’histoire.

Les revers militaires s’ajoutent à l’humiliante défaite subie lors des guerres balkaniques (1912-1913) à l’issue desquelles la tendance la plus radicale de la CUP (voir encadré) accède au pouvoir. L’Empire ottoman perd alors la plupart de ses territoires en Europe et ne conserve que la Thrace et Constantinople.

L’émancipation qui fait peur au pouvoir

Cette débâcle est vécue comme un traumatisme par les nationalistes turcs qui craignent que l’Anatolie orientale, où vivent d’importantes minorités (arménienne et kurde notamment) suivent une semblable évolution. Ils développent alors un discours paranoïaque et stigmatisent les minorités arménienne et grecque. Ils sont également influencés par les théories racistes ou encore le darwinisme social présents chez Haeckel, Le Bon et Gobineau qui contribuent à radicaliser leur discours.

Ainsi ce sont ces mêmes autorités nationalistes qui impulsent les campagnes de boycott des commerces grecs et arméniens à partir de 1912.

Les Arméniens ne sont donc pas la seule minorité vivant dans l’Empire ottoman et on peut se demander pourquoi elle est plus persécutée que les autres. A la différence des Grecs, les Arméniens ne peuvent compter sur le soutien d’aucun état protecteur. Ils et elles sont pointé-e-s comme un danger parce que vivant sur les marches de l’Empire et majoritairement influencé-e-s par des courants progressistes, libéraux et socialistes qui luttent pour une émancipation touchant aussi bien les Arméniens que les musulmans. Les Arméniens forment également une communauté dynamique qui prend part au développement économique et culturel. Le nationalisme arménien qui émerge dans les années 1890 et qui porte des revendications d’égalité des droits et d’autonomie entre en contradiction avec le nationalisme turc autoritaire et peu enclin à voir se développer un particularisme au sein des minorités de l’Empire.

Le nationalisme à l’œuvre

Pour autant Turcs et Arméniens n’évoluent pas dans des sphères étanches. Jusqu’en 1914, les Arméniens constituent une des composantes de la classe politique ottomane au sein de laquelle ils comptent des hauts fonctionnaires et des ministres. De même l’arrivée des Jeunes Turcs en 1908 est perçue avec espoir par les principaux partis nationalistes arméniens Hentchak et Dachnak.

Il y a donc une conjonction entre l’action de couches dirigeantes qui veulent unifier l’Empire ottoman en s’appuyant sur un discours nationaliste et ­raciste et un contexte international marqué par une succession de défaites militaires que le pouvoir unioniste veut conjurer par cette même idéologie afin de se maintenir aux commandes. Et c’est donc dans ce contexte que le pouvoir unioniste opte pour le processus génocidaire.

En janvier et février l’état-major ordonne le désarmement des soldats arméniens de la 3e armée et l’exécution de la plupart d’entre eux. Fin mars les dirigeants ottomans décident de vider les zones de peuplement historique arménien situées dans l’Est anatolien. La première phase du génocide commence à ce moment-là avec les marches de la mort qui partent de Cilicie et les massacres des hommes arméniens. Le 24 avril 1915, le pouvoir ottoman fait arrêter des centaines d’intellectuels, de politiques et de religieux arméniens dans plusieurs villes dont Constantinople.

Les marches de la mort et l’enfermement dans des camps de concentration se poursuivent pendant tout l’été et l’automne 1915. La seconde phase du génocide débute en février 1916 avec l’exécution des déportés dans les camps du désert syro-mésopotamien qui ont survécu. Les massacres se poursuivent jusqu’en 1918. A cela il faut ajouter les spoliations, les conversions forcées, l’éclatement des familles (avec notamment de nombreux enfants retirés à leurs parents et confiés à des familles turques). Il est à noter que le pouvoir ottoman implique la minorité kurde dans cette entreprise génocidaire.

Quatre foyers de résistance

Durant toute cette période, une résistance arménienne existe et s’exprime même si la communauté arménienne est profondément affaiblie et déstabilisée. Quatre foyers de résistance sont situés dans la partie occidentale de l’Arménie historique. Le plus connu est celui de Van où la population arménienne se révolte et tient tête aux troupes ottomanes jusqu’à l’arrivée de l’armée russe. Un cinquième est situé en Cilicie (ancienne Petite Arménie) du Musa Dagh [1] sur le littoral méditerranéen à moins de 100 km d’Alep. Assiégés pendant 53 jours et à cours de vivres comme de munitions, 4 000 Arméniens et Arméniennes sont évacué-e-s par la marine française.

Cette opération de sauvetage se distingue toutefois par son caractère exceptionnel. Pourtant les témoins des massacres – qui ne manquent pas, qu’ils soient allemands, états-uniens ou français – et les Arméniens eux et elles-mêmes s’efforcent d’alerter l’opinion internationale. Mais ils et elles doivent faire face à une redoutable indifférence du fait même du nationalisme qui prévaut dans chaque pays belligérant, qui pousse à ne considérer que ses combattants et secondairement sa population civile, et aussi par européocentrisme. De surcroît la mobilisation contre le massacre des Arméniens n’est pas considérée comme un but de guerre par les Alliés.

Le génocide sort de l’ombre

Cette chape de plomb se maintient après 1918. Et les procès que le nouveau gouvernement turc met en œuvre en 1919-1920 pour juger les principaux responsables du génocide s’apparentent à une parodie de justice. Pour autant ils ont le mérite de révéler des documents qui attestent de la réalité de ce même génocide.

Le combat pour la justice et la mémoire s’appuie alors pour l’essentiel sur les efforts de la diaspora arménienne dont certains membres issus des partis nationalistes arméniens se chargent d’exécuter les commanditaires du génocide en fuite en Allemagne, en Italie ou en Asie centrale.

Alors que tous les protagonistes du génocide sont décédés, le combat pour la mémoire se poursuit notamment contre les assassins de la mémoire que sont les négationnistes turcs. Il est toutefois heureux de voir que ces derniers sont sur la défensive et que sur cette question la société turque bouge de plus en plus depuis quelques années. Dans ce contexte la bataille pour l’ouverture des archives constitue un enjeu important. L’état turc s’y oppose pour raison de « sécurité nationale », car il craint que l’accès aux archives donne droit aux revendications de réparations et de récupération de biens mal acquis.

Laurent Esquerre (AL Paris-Nord-Est)

Pour aller plus loin, je ne peux que conseiller la lecture du numéro de la revue L’Histoire de février 2015 qui consacre un dossier au génocide arménien et répertorie nombre de travaux historiques récents.



QUELLE ÉTAIT L’IDÉOLOGIE DES CERVEAUX DU GÉNOCIDE ?

Le Comité Union et Progrès (CUP), qui domina la vie politique ottomane à partir de 1908, fut longtemps le sujet d’un malentendu. Et pour cause : il tenait un double discours systématique. À l’extérieur, il se présentait comme moderniste, laïc et démocrate – ce qui explique qu’il ait reçu, à ses débuts, le soutien des socialistes européens et même arméniens. À l’interne, il ne véhiculait au contraire que des discours sectaires, racistes et autoritaires.

Formé de jeunes officiers nationalistes, pour la plupart turcs des Balkans, ce CUP était le rejeton réactionnaire du mouvement réformateur dit des Jeunes-Turcs, opposé à l’absolutisme du sultan. S’y mêlaient diverses influences, parfois contradictoires, qui ne s’homogénéisèrent que progressivement :

– l’impérialisme ottoman, avec l’obsession de sauver un empire séculaire de la décadence ;

– un panislamisme, qui visait à unir les musulmans de l’empire (qu’ils soient turcs, kurdes, arabes, bulgares, albanais, tchétchènes…) pour maintenir le système de discriminations à l’encontre des « dhimmis » (juifs et chrétiens, qu’ils soient arabes, arméniens, grecs, bulgares…) ;

– le darwinisme social, qui postulait que la survie de chaque « race » dépendait de sa capacité à écraser les autres ;

– un nationalisme panturc, avec l’ambition de fonder un État-nation homogène dont l’Anatolie serait le cœur, et incluant l’Azerbaïdjan ;

– un fonctionnement de société secrète, sur le modèle des révolutionnaires serbes ou bulgares ;

– le militarisme, avec l’idée que l’armée était le levier essentiel du pouvoir, et la violence son instrument.

Au lieu de rompre avec la politique d’épuration ethnique du sultan, qui avait conduit aux massacres de 1894-1896, le CUP s’inscrivit donc dans ses pas, ambitionnant de purger le pays de l’« ennemi de l’intérieur » – Arméniens, Grecs et Assyro-Chaldéens. La Grande Guerre lui en fournit l’occasion.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)



DE LA « QUESTION ARMÉNIENNE » AU GÉNOCIDE

1878 Après la Grèce en 1830, l’Empire ottoman perd la Roumanie, la Serbie et la Bulgarie. L’Arménie, dernière importante région chrétienne de l’empire, commence à être perçue comme une menace.

1889 Fondation du mouvement des Jeunes Turcs, opposé à l’absolutisme du sultan.

1890 Début des persécutions systématiques en Arménie.

1894-1896 « Massacres hamidiens » : des pogroms encadrés par l’armée du sultan Abdülhamid II font 250 000 morts ; plusieurs dizaines de milliers converties de force ; 50 000 femmes et enfants réduits en esclavage ; 100 000 fuient à l’étranger. Le sultan fait cesser les massacres devant la menace d’une intervention militaire internationale.

1908 Coup d’État à Istanbul : le sultan est contraint d’accepter un gouvernement dominé par l’aile nationaliste des Jeunes-Turcs, le Comité Union et Progrès (CUP).

1909 Massacre d’Adana : le CUP révèle son vrai visage en orchestrant le massacre de 19 000 Arméniens.

1912-1913 La déroute ottomane dans la guerre des Balkans est attribuée à la « trahison » des soldats chrétiens.

Février 1914 :Le CUP commence à envisager l’extermination.

Novembre 1914 Entrée en guerre au côté de l’Allemagne.

Avril 1915-février 1916 Première phase du génocide : exécution de l’intelligentsia arménienne à Istanbul ; massacre des hommes mobilisés dans l’armée ; déportation des femmes et des enfants dans des « marches de la mort » vers des camps de concentration en Syrie. Bilan : 800 000 morts et 200 000 convertis et réduits en esclavage.

Février 1916-1918 Deuxième phase du génocide : les rescapés des « marches de la mort » sont exterminés dans le désert. Bilan : 400 000 morts.

Février 1918-octobre 1918 Troisième phase du génocide : à mesure que l’armée ottomane progresse dans le Caucase, les populations arméniennes y sont exterminées. Bilan : 150 000 morts.

1919-1920 Simulacre de procès des génocidaires par les autorités impériales cherchant à se dissocier du CUP aux yeux du monde.

1921-1922 Opération Némésis : des révolutionnaires arméniens exécutent, un à un, les chefs du CUP exilés en Europe.

Guillaume Davranche (AL Montreuil)


[1] Le romancier Franz Werfel publie en 1932, un roman, Les Quarante Jours du Musa Dagh, qui évoque cet épisode de la résistance arménienne et compare le génocide arménien à l’idéologie nazie.

[2] Cette qualification n’est toutefois pas tout à fait exacte dans la mesure où nombre d’historien-ne-s estiment que le massacre des Héréros et des Namas à partir de 1904 par l’armée allemande en Namibie est un génocide. 80 % des Héréros ont péri dans la répression menée sous l’impulsion du colonel von Trotta qui agissait sur ordre et en vertu d’un programme d’extermination.

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Re: Génocide des Arméniens : un siècle de négationnisme d’État

Messagede Seven Dwarfs le Sam 11 Juil 2015 18:14

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