Eléments sur l'anarcha-féminisme

Espace de débats sur l'anarchisme

Eléments sur l'anarcha-féminisme

Messagede pit le Dim 2 Nov 2014 01:28

Eléments sur l'anarcha-féminisme

Anarchisme et féminisme sont parfois présentés comme deux notions qui iraient naturellement ensemble. Pourtant les liens entre les deux mouvements n'ont pas toujours été évidents. La notion d'anarcha-féminisme semble accréditer l'existence d'un courant historique féministe au sein de l'anarchisme, pourtant cette notion est d'introduction relativement récente.

La controverse Proudhon-Déjacque

Proudhon, premier penseur à revendiquer positivement la notion d’anarchie pour désigner sa pensée politique, s’oppose au mouvement d’émancipation des femmes (Proudhon, La pornocratie, 1875), tandis que Joseph Déjaque en fait la condition de toute pensée libertaire (Déjaques, Lettre à Proudhon, 1857). Pourtant, malgré ses vues traditionnelles sur cette question, Proudhon avait souligné le fait que l’autorité patriarcale du père sur sa femme et ses enfants constituait probablement le modèle du pouvoir théologique, politique et économique : Dieu le père, le roi assurant une protection paternelle à ses sujets ou encore le paternalisme patronal. Ainsi écrit-il dans Idée générale de la Révolution au XIXe: « La forme sous laquelle les premiers hommes ont conçu l'ordre dans la société est la forme patriarcale ou hiérarchique, c'est-à-dire, en principe, l'autorité, en action, le gouvernement » (Proudhon, 1851).

Mais c’est sans doute sous l’influence du fouriérisme, sensible dans la pensée de Joseph Déjaque, que s’introduit dans le mouvement anarchiste l’affirmation que l’émancipation des femmes constitue une dimension d’une société émancipée. Ainsi Déjacque accuse Proudhon de ne pas aller jusqu'au bout de ses positions anarchistes sur deux points : l'émancipation des femmes et le communisme économique. Ces deux positions sont liées. En effet, Proudhon est opposé au communisme économique car il pense que cela va remettre en cause la liberté individuelle : pour lui, le maintien de la propriété permet de maintenir une espace de liberté individuelle face à l'Etat et à la communauté économique.

Déjacques ne se fait pas la même idée du communisme que Proudhon. Il ne pense pas à un communisme autoritaire organisé par l'Etat. Il voit le communisme comme la mise en commun économique de biens dont chacun peut disposer à sa guise. Si Proudhon est opposé au mouvement d'émancipation des femmes, c'est qu'il l'associe à une forme de communisme sexuelle : une mise en commun des femmes dont chacun pourrait disposer librement. A l'inverse, pour Proudhon, le maintien de la famille patriarcale permet de maintenir un espace privée qui échappe aux poids de la communauté.

Déjacques ne voit pas les choses ainsi. Il est opposé au mariage et à la famille partriarcale. Il pense qu'il ne peut y avoir de réelle égalité économique que s'il y a remise en cause du système capitaliste, mais également s'il y a émancipation des femmes. Cela implique pour lui non seulement le communisme économique, mais une égale liberté sexuelle accordée à la fois aux femmes et aux hommes. Il s'agit pour lui d'abolir la propriété privée économique non seulement dans l'ordre économique, mais également dans l'ordre de l'amour.

Il est possible de remarquer que dans cette controverse s'affronte deux conceptions de l'être humain, de ses rapports avec autrui et de la liberté. Proudhon reprend un argument traditionnel de la philosophie politique libérale. La propriété privée constitue une protection pour la liberté individuelle car autrui est conçu comme une limite à ma liberté : ma liberté s'arrête là où commence celle d'autrui. La liberté est conçu comme un espace privée qu'autrui ne doit pas empiété.

Déjacques a une toute autre conception de la liberté. Sa conception de la liberté est liée à la solidarité. Les êtres humains sont d'autant plus libres qu'ils mettent en place des relations de solidarités et d'égalité les uns avec les autres. En effet, ces relations augmentent leur capacité d'agir alors que seules ils sont moins libres et moins puissants. C'est pourquoi Déjacques accuse Proudhon de rester libérale, de ne pas être totalement anarchiste, ou comme il le dit, libertaire.

La question féministe dans le mouvement anarchiste

Anarchisme et féminisme de Balounine aux Mujeres libres

Cette conviction féministe, mise en avant par Déjacques, est présente aussi bien chez Bakounine par exemple que chez Emile Pouget même, si elles prennent les formes d’un féminisme différentialiste, comme en témoigne le chapitre XXX,intitulé « La libération de la femme » de Comment ferons nous la révolution (Pouget et Pataud, 1909).

Néanmoins au sein du mouvement anarchiste, les rapports entre anarchisme et féminisme ne sont pas avant tout l’objet d’une théorisation, mais d’une pratique. Car l’anarchisme, dont la base est constituée par l’action directe – qui désigne toute forme d’action sans représentants qu’elle soit légale ou illégale, violente ou non violente -, est une pratique avant d’être une théorie. Ce que les militantes anarchistes qualifient par la suite d’anarcha-féminisme se traduit en particulier au sein du mouvement anarchiste individualiste, durant la Belle Epoque, comme le montre les travaux d’Anne Steiner (Steiner, 2008), et durant l’Entre-deux guerre en France, mais aussi par exemple aux Etats-Unis, à travers en particulier les pratiques et la propagande néo-malthusienne qui défendent l’éducation sexuelle ou la contraception. Au travers des notions d’amour libre et plural, ce qui est mis en pratique, c’est une égale liberté sexuelle pour les femmes et la critique du mariage comme une forme de prostitution. Néanmoins, la division du travail domestique, dans les milieux libres anarchistes individualistes, n’est pas remise en cause (Steiner, 2007).

Autre exemple souvent rappelé des liens entre anarchisme et féminisme, le cas des Mujeres libres en Espagne (Chueca, 2001 ; 2010) qui constitue un groupe de femmes libertaires durant l’Entre deux-guerre. Cet exemple montre néanmoins comment les rapports sociaux de sexe traversent le mouvement anarchiste. En effet, les Mujeres libres ne parviennent pas à se faire reconnaître comme une branche spécifique du mouvement libertaire à égalité avec la CNTi, la FAIii et la FIJLiii. De même, si elles participent initialement aux combats durant la Guerre d’Espagne, Durrutti, sous la pression du Parti Communiste, leur interdit dans un second temps d’intervenir comme combattantes. Bien que la CNT soit une organisation qui revendique la lutte des classes, les Mujeres libres n’ont pas une analyse matérialiste des rapports sociaux de sexe, en termes de classe de sexe, mais universaliste.

L'émergence de l'anarcha-féminisme

Il faut attendre la seconde vague du féminisme, dans les années 1970, pour que commence à se théoriser de manière plus approfondi le lien entre féminisme et anarchisme sous la forme d’un lien entre oppression étatique et oppression des femmes. C’est le cas de Françoise d’Eaubonne (Eeaubonne, 1978), qui conceptualise plus largement l’éco-féminisme, ou encore de la sociologue canadienne Nicole Laurin-Frenette (Laurin-Frenette, 1981).

En France, la Commission femme de la FAiv (Claude, 2004) assure la continuité d’une réflexion et d’une action féministe anarchiste qui prend le nom d’anarcha-féministe. L’anarcha-féminisme apparaît comme une reconstruction a posteriori de l’histoire de l’anarchisme comme présentant un courant théorique féministe à travers les figures et les écrits de Louise Michel, de Voltayrine de Cleyre ou encore d’Emma Goldman pour citer les militantes de l’histoire de l’anarchisme les plus souvent intégrées sous l’étiquette d’anarcha-féministev. La commission femme de la FA organise ainsi un colloque international en 1992 sur l’anarcha-féminisme. Il est intéressant de constater qu’à cette époque l’on ne parle pas encore d’anarcha-féminisme, mais d’anarcho-féminisme (Guignat, 1992). Cette commission anime également sur Radio libertaire une émission, Femmes libres.

Dans les années 1990 se développe à Lyon une mouvance anarcha-féministe, dont l’une des figures marquante est Léo Thiers Vidal. Proche du milieu squatt et anti-spéciste, cet anarcha-féminisme fait référence également au féminisme matérialiste de Christine Delphy. La constitution au sein de la FA de groupes proches de ces positions fut une des causes d’une crise importante au sein de cette organisation et de manière générale dans le milieu anarchiste lyonnaisvi. Par ailleurs, à partir des années 1980, la lutte contre les anti-IVG fait que cette question est appréhendée dans les organisations et les milieux anarchistes, moins comme une lutte féministe, que comme une lutte anti-fasciste, marquée par un certain virilisme. Le milieu autonome anti-fasciste s’inscrit également dans des pratiques liées au milieu squatt. Avec l’introduction du queer en France dans les années 1990, le milieu squatt se revendiquant de l’anarcha-féminisme intègre progressivement les problématiques TPG (Transpédégouine) comme le montrent les productions des brochures des infokiosques. Même si comme le relève la thèse de doctorat de Julie Abbou sur les brochures anti-sexistes libertaires (Abbou, 2011), les positions des actrices vis-à-vis du queer sont parfois plus ambivalentes. On peut ainsi distinguer en France actuellement au moins trois expressions du féminisme dans les milieux anarchistes. La première est celle de la Fédération anarchiste, qui comme l’a montré Simon Luck dans sa thèse de doctorat (Luck, 2008), est une organisation davantage tournée vers le maintien d’une mémoire et d’un héritage anarchiste historique, et qui défend donc une forme de féminisme universaliste. La seconde est celle des milieux squatt où s’exprime en particulier une affinité avec le queer dans le désir de mettre en pratique dans la vie quotidienne un autre rapport au genre et à la sexualité. Enfin, dans des organisations communistes libertaires tels qu’Alternative libertaire et la CGA (Coordination des groupes anarchistes), il s’agit plutôt d’un féminisme où la dimension matérialiste et intersectionnelle des rapports sociaux de sexe est mise en avant.


Notes :

i Confédération nationale du travail

ii Fédération anarchiste ibérique.

iii Fédération ibérique des jeunesses libertaires.

iv Fédération anarchiste.

v Certains vont jusqu’à remonter à Mary Wollstonecraft dont le conjoint, William Godwin, est cité parmi les précurseurs de l’anarchisme.

vi On trouvera sur cette page Internet outre des liens vers des textes de Leo Thiers Vidal, des liens sur les conflits entre anarcha-féministes et anarchistes à Lyon: http://1libertaire.free.fr/LeoThiersVidal10.html

http://iresmo.jimdo.com/2014/04/20/elem ... A9minisme/


Féminisme et Anarchie

Commission des femmes, Fédération Anarchiste 1970

Le 20 avril 1870, Serge Netchaîev écrit en collaboration avec Ogarev une proclamation intitulée : "L'association révolutionnaire russe aux femmes" dans laquelle il est dit : "L'histoire du développement juridique des sociétés humaines vous a mises partout dans un état de suggestion absolue vis-à-vis de l'homme. Elaborant lui-même les lois sociales, n'ayant en vue que ses propres intérêts, l'homme vous a fait auprès de lui une place de concubine on de servante. Toutes les lois sont rédigées dans un tel esprit que la femme la plus douée est considérée comme inférieure à l'homme le plus niais."

Deux ans plus tôt, Bakounine avait résumé le problème de la femme en envoyant au troisième congrès de l'A.I.T. une lettre dans laquelle il disait : "Au nom de l'affranchissement intellectuel des masses populaires, au nom de l'affranchissement économique et social des peuples, nous voulons, premièrement, l'abolition du droit de la propriété héréditaire, deuxièmement, l'égalisation complète des droits politiques et sociaux de la femme avec ceux de l'homme, troisièmement, l'abolition du mariage en tant qu'institution religieuse, politique et civile, etc."

Un siècle plus tard, les mouvements féministes reposent avec acuité le problème de l'égalité de la femme avec l'homme. Déjà en 1905, E. Reclus écrit dans "l'Homme et la Terre" : Evidemment toutes les revendications de la femme sur l'homme sont justes". Le masculin l'emporte sur le féminin : c'est une des règles de notre grammaire mais c'est aussi l'une des bases fondamentales de notre société. Dans les relations humaines, ce critère est inscrit profondément dans la structure de pensée des individus ; d'un côté les hommes qui veulent préserver leurs prérogatives et conserver ce qu'ils conçoivent comme un avantage que la nature leur a donné, de l'autre, la passivité des femmes qui acceptent docilement la place qui leur est laissée et qui collaborent inconsciemment au rôle que leur a déterminé la société.

La femme qui accepte la position qui lui est destinée accepte ainsi le rôle de courroie de transmission des sociétés capitalistes et impérialistes.

Elle fait d'elle-même son propre bourreau et devient le bourreau de ses enfants en commençant à leur inculquer l'esprit d'obéissance aux parents qui les mènera à la soumission aux chefs et à l'ordre établi au détriment de leur individualité et au profit de cet ordre. La hiérarchie de sexes existe de fait et oblige les individus à vivre des rapports inégalitaires.

Tous les apôtres du phallocratisme et les assoiffés de pouvoir ont essayé de justifier la dépendance, l'obéissance et l'infériorité de la femme par rapport à l'homme. Ces thèses, profondément racistes, ont bien sûr été reprises par tous ceux qui trouvaient ou qui pensaient trouver des avantages à cette situation. C'est en partie sur la différence de force physique qui existe entre les hommes et les femmes que certains ont bâti une théorie où jamais n'entre l'égalité dans la différence.
Nous pourrions répliquer à ceux qui se réclament encore de ce principe qu'entre les hommes eux-mêmes il y a aussi une différence de force physique et que celui qui soulève 100 kilos n'est en rien supérieur à celui qui ne peut en lever que 50, et que prendre la différence que la nature fait entre les hommes et les femmes, et même, comme nous l'avons vu, entre les hommes eux-mêmes, afin d'en appliquer une théorie de l'infériorité, est une aberration et une pratique réactionnaire qui peut aller jusqu'à cautionner le racisme.

On a voulu faire croire, et on a réussi à démontrer qu'en fonction de sa nature la femme ne petit avoir d'autres fonctions que celle de reproductrice des enfants que l'homme lui fait. On a essayé et on a réussi à lui faire avaler que le rôle d'éducatrice est une confiance, presque une faveur, que l'homme lui accorde et qu'il est dans sa nature de tenir le foyer familial, ce qui permet à l'homme de sauvegarder sa "liberté".

L'homme du peuple a toujours repris les conceptions aberrantes que lui fournissent abondamment ses penseurs les plus sérieux et les plus autorisés, fier et heureux de n'être pas complètement en bas de l'échelle de la hiérarchie.

A l'heure actuelle, les capitalistes et les impérialistes d'Est et d'Ouest veulent assurer leur continuité par l'entretien d'une classe régnante sur une classe à exploiter pour son profit, et par la domination de l'homme sur la femme, continuité de la société patriarcale dont les structures font de la femme la propriété de l'homme en perdant son identité par le mariage qui la fait passer de l'autorité paternelle à celle du chef de famille (et il en sera de même pour sa fille et ainsi de suite...).

Ainsi commence avec la famille patriarcale le type de structure sociale du système capitaliste et étatique. Il faut un chef de famille responsable, qui exerce par sa domination de chef sa domination sur sa femme et ses enfants selon l'idéal voulu et entretenu, de même qu'il faut un patron-chef, un chef d'Etat, un Etat-chef, ordre hiérarchique qui sévit depuis des millénaires.

Nous savons que dans la société tous les prétextes que prennent les individus pour justifier l'exploitation, la domination qu'ils exercent sur une classe, un sexe, un groupement, un autre individu, ne tiennent que dans la mesure où cette classe, ce sexe, ce groupement ou cet individu subissant cette exploitation ou cette domination n'ont pas pris conscience de cette réalité.

La négation de cette réalité sociale prend sa source dans la révolte de l'individu face à sa condition. Toute notre histoire nous apprend que l'être humain s'est toujours révolté face à une situation d'injustice. Ces révoltes collectives ou individuelles qui naissent d'un désir plus ou moins conscient de vivre d'autres rapports ne donnent pas toujours lieu à des acquis pour ceux qui se révoltent. *

Le grand rassemblement que désirait le mouvement féminin prit le départ après Mai 1968 et s'inscrivit dans une analyse d'où résultait la volonté de rassembler toutes les femmes de la société sans distinction aucune, partant du principe que toute femme, quelle que soit sa position sociale, subit à un degré ou à un autre la domination de l'homme et que cette subordination dé la femme est une des bases du système capitaliste.

Rapidement se fit jour à l'intérieur de ce mouvement des divergences idéologiques. Certaines souhaitent articuler dans une perspective marxiste l'analyse de l'oppression des femmes avec l'analyse de classe de la société capitaliste, s'opposant à celles qui considèrent le patriarcat en soi comme une structure que l'on retrouverait à tous les stades de l'histoire et qui déclarent que la lutte révolutionnaire doit s'attaquer au patriarcat plutôt qu'au capitalisme, celui-ci n'en étant que la représentation historique.

D'autres encore, se déclarant contre tous les "ismes" (humanisme, idéalisme, socialisme), puisque contre toute idéologie, pensent que "la politique consiste à chasser le phallus de sa tête". Ces trois principaux courants comportent une réalité plus complexe faite de fluctuations et entrent facilement dans le spontané avec ses contradictions et souvent dans l'inorganisé. Tous ces mouvements idéologiques ou non se rejoignent sur un point: le refus d'accepter les hommes dans leurs luttes estimant que malgré toute la bonne volonté que peuvent manifester certains hommes, ils restent les oppresseurs de la femme.

Les revendications des différents mouvements féminins ont apporté une prise de conscience de plus en plus importante parmi les femmes et sont arrivées jusqu'à une répercussion générale inévitable, même si certaines se sont exprimées par une violence anti-mâles ou que d'autres ont limité leurs luttes à des revendications spécifiques telles que : contraception, avortement, crèches, égalité des salaires. Si ces mouvements féminins ont fait ressortir les problèmes inhérents à la société, ils ne sont cependant pas allés jusqu'à remettre la société, ils ne sont pas allés jusqu'à remettre la société tout entière en cause ; tout au plus ont-ils posé leurs problèmes en tant que lutte des classes en considérant que l'homme représente la classe bourgeoise et la femme le prolétariat.

La révolte des femmes représentée par les mouvements féministes a eu le mérite de poser le problème autrement qu'en terme de lutte de classe, unique moteur de l'histoire vu par les marxistes, en faisant ressortir le problème d'un type d'exploitation économique autre le travail non rétribué des femmes à la maison), car il permet la reproduction de la force de travail de l'homme.

Le capitalisme a besoin idéologiquement de cette forme d'organisation de la société ; afin de détruire les barrières de classe, en mettant tous les hommes dans le même sac au nom de la virilité régnante ; afin de masquer l'exploitation de l'ouvrier en lui assignant un rôle dominant dans la famille, sur la femme et les enfants ; afin d'institutionnaliser les rapports de domination subordination, de hiérarchisation au sein de la structure familiale.

C'est par la révolte des femmes et non par leur attente passive que se fera leur libération, car la révolte est le premier acte de liberté qu'accomplit l'individu et, par conséquent, sa première manifestation vraiment humaine et libre. En se révoltant, la femme pose le problème de l'égalité et "nous le savons, l'égalité n'est possible que par la liberté ; pas cette liberté exclusive des bourgeois qui est fondée sur l'esclavage des masses et qui n'est pas la liberté mais le privilège ; mais cette liberté universelle des êtres humains qui élève chacun à la dignité humaine.

Nous savons aussi que cette liberté n'est possible que dans l'égalité.

Révolte non seulement théorique mais pratique contre toutes les institutions et contre tous les rapports sociaux créés par l'inégalité, puis l'établissement de l'égalité économique et sociale par la liberté de tout le monde" (1).

La révolte des femmes pose donc le problème de la contradiction de l'homme qui désire son émancipation en tant qu'exploité dans la société et qui refuse l'émancipation de la femme de la tutelle masculine comme condition primordiale de son exploitation. Aucun être humain ne peut prétendre à la liberté si lui-même se pose comme barrière à la liberté d'autrui. Nul ne peut se prétendre libre si sa liberté est une atteinte à la liberté humaine dans sa globalité, car la liberté individuelle n'existe que si elle a pour corollaire systématique la liberté collective.

Le problème de la libération de la femme se situe à deux niveaux :

- Le refus de continuer d'accepter le rôle traditionnel que la société désire lui voir jouer, mais aussi de poser le problème relationnel avec l'homme, c'est-à-dire de refuser les relations de subordination, de domination et surtout de hiérarchisation Qui existent actuellement, en contraignant l'homme à rejeter les prérogatives que cette société lui impose comme nécessaires à la survie de celle-ci qui l'exploite à un autre niveau. L'homme qui entreprend l'effort de rejeter le rôle traditionnel Que la société lui impose comme faisant partie de sa nature forte et virile, pour vivre des rapports égalitaires avec la femme, tout comme la femme qui se révolte contre la situation qui fait d'elle le dernier barreau de l'échelle de la hiérarchie posent le problème de l'égalité dans la différence et accomplissent un acte révolutionnaire.

- Le fait est que l'on retrouve des femmes dans toutes les classes sociales, mais si l'ouvrière se libère puisqu'elle n'a rien à perdre et tout à gagner, il en va autrement des intérêts des femmes de la classe bourgeoise, car, si elles accomplissent leur révolte de femmes face à l'homme, elles affaiblissent les structures de la société sur lesquelles s'appuie la lutte des classes. Il est clair que si la bourgeoisie refuse l'autorité de son mari et le rapport que la société lui impose comme femme, elle doit aussi refuser le rôle d'exploitation et de domination qu'elle joue au sein de la classe privilégiée si elle veut être conséquente, logique et honnête avec elle-même et les autres. La révolte de la femme bourgeoise en tant que femme doit aller de pair avec son refus de collaborer sous toute forme à une exploitation dont elle cherche à se débarrasser à un autre niveau. il va sans dire que cette double démarche qu'elle doit accomplir n'est pas prés de se réaliser car, finalement, la bourgeoise préfère, lorsqu'elle en a conscience, préserver ses privilèges de classe et accepter la place qu'on lui laisse en tant que femme.

Dés cet instant, les intérêts des femmes bourgeoises et ouvrières ne se recoupent pas puisqu'elles ne peuvent pas être solidaires entre elles. La libération de la femme doit dépasser largement le cadre de sa propre émancipation pour arriver à celle, plus vaste, de l'humanité tout entière sous peine de mourir de sa spécificité. La lutte des femmes n'étant qu'une lutte parmi d'autres dans la société, tous les éléments étant indissolublement liés et s'interférant, elle s'inscrit de plain-pied, comme toutes les luttes spécifiques qui tendent à poser les bases d'une société différente, dans les fondements d'une société à caractère anarchiste. Le refus des mouvements féministes de voir en l'homme un être humain capable de se libérer et de refuser le pouvoir que la société lui procure, en considérant ce pouvoir comme une aliénation pour lui-même, est un refus de concevoir l'homme comme capable de se révolter contre une injustice qui l'oblige à vivre en contradiction avec ses sentiments, ses désirs et sa nature profonde.

Qu'on le veuille ou non, la libération de la femme engendre la libération de l'homme.

Qu'on le refuse ou qu'on l'accepte, on ne fera pas taire la révolte et la soif d'égalité qui existent chez tout individu pour qui la liberté, sa liberté, n'existe qu'en fonction de la liberté des autres. Il serait trop facile de croire que cette évolution peut se faire sans heurts et sans craquements dans la baraque vermoulue qu'est la société capitaliste. La difficulté qu'a l'être humain à se prendre en charge et à remettre en question la base de ses relations humaines ne peut permettre de faire cette évolution sans douleur. L'accouchement progressif d'un comportement différent s'accompagne quelquefois d'une césarienne. La libération de la femme ne doit pas non plus tendre vers une uniformisation de la personnalité. La révolte de la femme, comme celle de l'homme, doit être liée à la découverte de sa propre individualité. C'est la diversité des capacités et des forces, les différences d'ethnies, de sexes, de mœurs qui, loin d'être un mal social, constituent la richesse de l'humanité.

C'est la possibilité donnée à l'être humain d'être lui-même qui constitue la base d'une société anarchiste. "Le vieux monde des Etats fondés sur la civilisation bourgeoise avec son complément indispensable : le droit de la propriété héréditaire et celui de la famille juridique, s'écroule pour faire place au monde international et librement organisé des travailleurs", écrit Bakounine.

Les femmes doivent en effet se débarrasser du carcan juridique et moral du vieux monde et apprendre qu'elles ne sont pas la propriété de l'homme mais d'elles-mêmes. Il dit encore : "Après l'anthropophagie est venu l'esclavage, après l'esclavage le servage, après le servage le salariat auquel doit succéder d'abord le jour terrible de la justice et beaucoup plus tard l'ère de la fraternité."

Les femmes vivent encore leur temps de servage, à elles de s'en libérer.

Le présent doit tirer ses leçons d'un passé vers un avenir qui dépassera ce passé non pas dans sa continuité, mais vers un avenir qui fera l'éclatement d'une nouvelle société.
Par leur libération, les femmes feront œuvre par la terrible justice qui reste encore à faire et qui mènera hommes et femmes à l'ère de la fraternité.

Commission des femmes, Fédération Anarchiste 1970

(1) Bakounine.

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Re: Eléments sur l'anarcha-féminisme

Messagede pit le Sam 17 Jan 2015 15:27

L’anarcha-féminisme

Claude Rua, Marie-Jo Pothier, Hélène Hernandez, Elisabeth Claude

Depuis les premières années du XXe siècle, le féminisme recouvre des conceptions et des sensibilités diverses et parfois opposées. Nous pouvons dégager trois grandes tendances qui
accueillent elles-mêmes différents courants. Une avant-garde radicale,
révolutionnaire, très minoritaire, revendique une égalité totale qui
implique de profonds bouleversements des rôles sexuels. Une tendance
réformiste, majoritaire, représentée par les grandes associations
féministes, milite pour l’amélioration progressive de la condition des
femmes et concentre ses efforts sur les réformes juridiques. Une tendance
modérée, essentiellement suffragiste et politiquement conservatrice, se
constitue dans les années 1920. Ces tendances du féminisme constituent
un mouvement aux frontières perméables.

Aux fondements de l’anarcha-féminisme

Le courant que nous tentons de définir et de développer ici s’est appelé anarcho-féminisme au cours de la préparation d’une Rencontre internationale anarcho-féministe, organisée le 2 mai 1992 à Paris aux côtés de la Rencontre internationale des Fédérations anarchistes. Nous cherchons à dévoiler les discours et les pratiques patriarcaux, afin d’élaborer un féminisme et un anarchisme qui se fécondent mutuellement pour développer un projet révolutionnaire d’une société d’individus libres, égaux et solidaires.
Dès l’émergence des idées anarchistes, il a fallu affronter Pierre-Joseph Proudhon qui apparaît autant misogyne que stupide et odieux sur la question des femmes, dans un siècle, certes, empreint de morale
victorienne, mais qui cherchait en France peu à peu à scolariser les filles.
Dans la Pornocratie ou les femmes dans les temps modernes, nous avons droit à quelques florilèges : « La femme ne peut être que ménagère ou courtisane »,
« La femme est un joli animal, mais c’est un animal. Elle est avide de baisers comme la chèvre de sel ». Heureusement des anarchistes comme Joseph Déjacque, Michel Bakounine ou Eugène Varlin s’opposent à ce point de vue.
Quand Proudhon répond à Jenny d’Héricourt à propos de « M. Proudhon et
la question des femmes » paru dans la Revue philosophique en janvier 1857 : « Et si vous ne la comprenez point, cette question […] cela tient précisément, comme je vous l’ai dit, à votre infirmité sexuelle », Déjacque lui rétorque en mai 1857 par une lettre intitulée De l’être mâle et femelle : « Est-il vraiment possible, célèbre publiciste, que sous votre peau de lion se trouve tant d’ânerie ? […] Cerveau hermaphrodite, votre pensée a la monstruosité du double sexe sous le même crâne, le sexe-lumière et le sexeobscurité, et se roule et se tord en vain sur elle-même sans pouvoir parvenir à enfanter la vérité sociale. » Pourquoi se souvient-on si peu de Déjacque et davantage de la position de Proudhon ?

Quelques figures hautement symboliques de l’anarchisme et du féminisme nous ont ouvert la voie. Qu’il s’agisse de Louise Michel, de Séverine,
de Voltairine de Cleyre, de Nelly Roussel ou d’Emma Goldman, et de tant d’autres moins connues, elles ne se revendiquent pas toutes expressément féministes mais leur vie, leur militantisme, leurs propos, leurs écrits attestent sans équivoque qu’elles veulent être libres de pouvoir penser et agir en tant que femmes et en tant qu’anarchistes. Elles ont su se battre socialement et politiquement, dans toutes les sphères de la société mais aussi au sein du mouvement libertaire pour se faire entendre de leurs compagnons anarchistes dans leur volonté d’exercer pour elles-mêmes et dans la société l’égalité et la liberté : certains de ces compagnons ne partageaient pas tous ces idéaux.

Envers et contre tout, Emma Goldman parcourait les Etats-Unis pour des tournées de meetings sur le birth control, l’amour libre et l’égalité entre les hommes et les femmes. Voltairine de Cleyre argumentait que « le mariage est une mauvaise action » et que « l’esprit du mariage lui-même fabrique l’esclavage ». C’est aussi Nelly Roussel qui écrit : « Le capitalisme a bon dos, et… il est vraiment trop commode aux hommes de rejeter sur lui l’entière responsabilité de choses qui sont dues, pour une bonne part, à leur égoïsme personnel et à leurs préjugés. » Madeleine Pelletier, femme médecin, qui finira ses jours à l’asile, condamnée pour avoir pratiqué des avortements, rappelle dans l’Encyclopédie anarchiste de Sébastien Faure que le féminisme est une doctrine qui revendique l’émancipation sociale et politique des femmes : « Les anarchistes, qui ne reconnaissent pas la valeur du suffrage universel, ne s’intéressent pas aux revendications politiques des femmes. Mais la société présente n’est pas l’anarchie, et il est naturel que les femmes éprises de justice et d’égalité revendiquent le droit dans la société d’être ce que sont les hommes. » « Ce qu’il nous faut, disait Nelly Roussel, c’est l’indépendance complète, qui n’exclut nullement, bien entendu, l’aide fraternelle et mutuelle. »

Michel Bakounine ou Eugène Varlin furent également des défenseurs des droits des femmes. Au sein de l’Association internationale des travailleurs à
Genève en 1866, Varlin s’opposa à une motion condamnant le travail salarié des
femmes. C’est surtout dans le mouvement néo-malthusien, autour de Paul Robin, puis d’Eugène et Jeanne Humbert, qu’on rencontre le plus grand nombre d’anarchistes convaincus de la nécessité de rompre avec l’oppression spécifique subie par les femmes. En dissociant la sexualité de la reproduction, ils refusent de fournir de la chair à canon pour l’armée et de la chair à travail pour l’usine. Si certaines femmes ne concevaient pas leur rôle de mère comme celui d’utérus pour la patrie, pour Armand il en allait de même.
En 1911, il écrit dans le Malthusien : « La fécondation irréfléchie ravale la femme au rang d’une pondeuse et fait de l’homme qui accepte les charges de la paternité une bête de somme. » Au début du XXe siècle, Sébastien Faure, Manuel Devaldès, Jean Marestan ou André Lorulot choisirent d’appuyer le mouvement néo-malthusien et donc le camp pro-féministe. Le débat est plus difficile au sein de la CGT syndicaliste révolutionnaire. Si les anarcho-syndicalistes voient surtout dans la maîtrise de la fécondité une possibilité de réduire la misère, les anarchistes individualistes défendent une plus grande liberté individuelle, tant pour la femme que pour l’homme : liberté gagnée sur l’esclavage des maternités et sa dépendance à l’homme, pour l’une, liberté gagnée quant à la surexploitation que représentent les heures supplémentaires pour faire vivre la progéniture, pour l’autre.

Les anarchistes, femmes ou hommes, ont non seulement été des propagandistes et des théoriciens qui ont marqué leur temps, mais ils ont aussi mis en place des réalisations concrètes (organisation de la résistance et de la vie quotidienne, éducation, bourses du travail, diffusion des moyens contraceptifs, etc.), dans leur engagement pour éradiquer toute forme d’oppression et d’exploitation des femmes.

En Espagne à tous points de vue, et donc y compris au niveau des femmes, l’idéal libertaire a pu exister dans toute sa plénitude. Vingt mille femmes anarchistes et féministes se regroupent, en 1936, au sein de l’organisation « Mujeres Libres » pour lutter contre l’oppression spécifique
des femmes, leur exploitation économique et leur ignorance maintenue autant par le capitalisme et le machisme que par la religion. Anarchistes, elles éprouveront l’impérieuse nécessité de se regrouper, non seulement pour attirer de nombreuses femmes qui n’auraient pas rejoint d’emblée l’organisation mixte, mais aussi pour pouvoir lutter efficacement contre leur oppression spécifique. Sans ce rassemblement de femmes anarchistes au sein de la révolution espagnole, les revendications des femmes auraient-elles pu émerger et donner naissance à autant de réalisations concrètes et mobiliser autant de femmes ? Elles revendiquent le droit à l’éducation, au travail, à l’amour
libre. Elles organisent des cours d’alphabétisation, de culture générale mais aussi des formations techniques professionnelles ; elles mettent en place des crèches dans les usines et les quartiers, réclament le salaire unique et luttent contre toute forme de mariage. Elles légalisent l’avortement le 25 décembre 1936 en Catalogne.

Leur combat pour leur émancipation, les femmes de Mujeres Libres tentent de le porter au coeur du mouvement libertaire mais y trouvent de solides résistances. Au plénum d’octobre 1938, Mujeres Libres présente un rapport afin de solliciter sa reconnaissance comme partie intégrante du mouvement libertaire : cette démarche est repoussée avec l’argument qu’une organisation spécifiquement féminine serait pour le mouvement un élément de désunion et d’inégalité, et que cela aurait des conséquences négatives pour l’essor de la classe ouvrière. Une façon d’avouer la hiérarchisation des terrains de lutte.



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Source : http://refractions.plusloin.org/spip.php?article510
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