Pour la liberté d'expression et contre l'union sacrée
Le carnage perpétré au siège de Charlie Hebdo a suscité une vague d'indignation et de colère parfaitement légitime que nous partageons. Nous condamnons sans réserve ce massacre qui vise à semer la terreur et à réduire au silence des journalistes qui défendaient la liberté d’expression.
Nos pensées vont tout d'abord aux proches des victimes et nous leur exprimons tout notre soutien.
Tout laisse à penser que cette attaque est l’œuvre de fascistes religieux qui rêvent d’imposer leurs illusions mortifères à la société. Nous devons être très clairs en dénonçant sans réserve ce fanatisme. Nous combattons tous les fascismes, qu’ils prospèrent sur fond de nationalisme ou d’obscurantisme, et quels qu'en soient les guides ou les prophètes.
Ils veulent terroriser, provoquer délibérément l’horreur et la peur, créer une situation de tension extrême. En celà ils sont parfaitement complices du FN et de l'extrême droite.
Et comme nous le redoutions, nous constatons dès à présent que cette tuerie sert de prétexte pour alimenter les discours racistes et justifier des attaques contre des lieux de culte musulmans.
Nous entendons déjà les scribouillards réactionnaires et les politiciens opportunistes reprendre en boucle la théorie fumeuse du "choc des civilisations" et profiter de cet événement pour renouveler leurs charges contre les immigré-e-s, les étranger-e-s, les musulman-e-s.
Nous ne sommes pas moins choqué-e-s de la récupération politique en particulier par le gouvernement Hollande. L’appel à « l’unité nationale » n’est rien de moins qu’une vaste opération de confusion visant à justifier :
. les interventions militaires de la France en Irak, au Mali, en Centrafrique. Le but premier de ces interventions étaient de protéger les intérêts impérialistes des entreprises françaises dans ces régions et les dictateurs en place, pas de combattre le djihadisme, que la France n’a pas hésité à armer dans d’autres situations
. une nouvelle offensive liberticide. Comme après le 11 septembre 2001, les gouvernements en place vont sous couvert d’antiterrorisme imposer de nouveaux dispositifs de fichages, qui ont montré depuis qu’ils étaient majoritairement utilisés contre les militant-e-s politiques et syndicaux.
. la politique antisociale du gouvernement. En surfant sur le choc émotionnel qui nous touche toutes et tous, Valls et Hollande entendent bien faire passer au second plan leur politique austéritaire, en particulier . le projet de loi Macron, qui sera présenté à l’Assemblée nationale fin janvier et prévoie son nouveau lot de remises en cause des moyens de défense des salarié-e-s (prud’hommes, inspection du travail…), de facilitation des licenciements, de banalisation et de baisse de la rémunération du travail de nuit et du dimanche.
Plus généralement, parmi les forces politiques qui s’indignent aujourd’hui, bon nombre sont en grande partie responsables du climat délétère de par leur stigmatisation des travailleurs-ses immigré-e-s et de leurs enfants, en particulier lorsqu’ils sont supposés musulmans.
Cette récupération est d’autant plus indigne que les journalistes de Charlie Hebdo assassinés n’hésitaient pas à condamner les politiques des Hollande, Sarkozy ou Le Pen. S’il avait fallu écouter le PS et l’UMP, le FN aurait dû être invité à leur « marche républicaine » de dimanche. Qu’auraient pensé de tout cela les journalistes assassinés ?
Nous regrettons la transformation de la manifestation de dimanche prochain, initiée par les organisations antiracistes, en une « marche républicaine » dont Valls se voudrait l’organisateur et où Sarkozy défilera. Farouches opposants de « l’unité nationale » pour les raisons décrites plus haut, nous ne participerons pas à cette marche. Il est de toute première urgence que celles et ceux qui sont révolté-e-s par cet attentat fasciste et refusent de défiler derrière Sarkozy et Valls, qui veulent résister au racisme et combattre les discriminations, qui s'opposent aux politiques sécuritaires et liberticides se regroupent et reprennent l'offensive.
Alternative libertaire, Nouveau parti anticapitaliste
Ils veulent terroriser, provoquer délibérément l’horreur et la peur, créer une situation de tension extrême. En celà ils sont parfaitement complices du FN et de l'extrême droite.
Et comme nous le redoutions, nous constatons dès à présent que cette tuerie sert de prétexte pour alimenter les discours racistes et justifier des attaques contre des lieux de culte musulmans.
Digne-les-Bains : un lieu de culte musulman mitraillé au cours de la nuit
"C'est une voisine qui a alerté les services de police" raconte Hassan Sabri, président de l'association culturelle badr (le premier quartier du croissant de lune en arabe), qui gère un lieu de culte musulman installé rue de la Grande-Fontaine à Digne et qui a été victime d'un mitraillage nocturne.
Vers 22 h 15 en effet vendredi, une voiture de couleur sombre - une ZX Citroën d'après les rares témoins - s'est arrêtée à la hauteur de cet espace de rencontre et de culte, créé en 2006, situé au rez-de-chaussée d'un immeuble d'habitation et qui rassemble régulièrement près d'une centaine de fidèles de la communauté arabe dignoise. Un homme est descendu du véhicule et a tiré apparemment trois coups de fusil de chasse. Les plombs ont brisé la vitrine qui jouxte la porte d'entrée puis se sont figés dans une voûte située à plusieurs dizaines de mètres à l'intérieur des locaux.
Une fois son forfait accompli le tireur et ses complices sont repartis et sont désormais activement recherchés par la police dignoise qui a ouvert une enquête. Par ailleurs des investigations techniques de la police scientifique sont conduites pour identifier la nature des projectiles utilisés dont les douilles n’ont pour l’heure pas été retrouvées. On signalera encore que dans la nuit sept containers ont été incendiés dans divers quartiers de la ville. Mais aucun élément ne permet pour l'instant de déterminer si les deux méfaits sont liés.
Non, je n’irai pas manifester avec le PS et l’UMP !
(contre tous les intégrismes : de la religion, de la nation, mais aussi de l’argent)
OUI,
Bien sûr,
J’emmerde les intégristes de tous bords,
Et j’emmerde aussi les pseudo-remparts fachos qui ne valent pas mieux,
MAIS ,
J’emmerde AUSSI les Sarkollande et Valsuppé qui ont tué Rémi Fraisse et plusieurs de mes sœurs et frères anonymes de toutes les couleurs,
Qui raflent les Roms et détruisent leurs maisons de fortunes et leurs affaires personnelles,
Ces tyrans en cravates et limousines qui se servent cette semaine de la mort de mes confrères de Charlie
Pour justifier leurs lois sécuritaires, inégalitaires, destructrices et répressives au service du capitalisme débridé,
Ces clones duPASOK et de Nea Demokratia qui ont mis à genoux des millions de personnes martyrisées en Grèce
Et qui provoquent avec leurs copains du PSOE et du PP l’expulsion et le suicide de milliers de familles désemparées en Espagne,
Alors,
NON !
NON, C’EST NON !
Même à la mémoire de mon ami Tignous,
Je ne manifeste pas avec ces gens-là,
Qui sont tous, en réalité, derrière les mots, des ennemis de la liberté et de l’égalité
Et qui sont également des intégristes assassins,
Des intégristes du Dieu Argent.
NON !
JE NE MANIFESTE PAS AVEC LE PS ET L’UMP !
Je ne manifeste qu’avec les amoureux de la liberté et de l’égalité,
Pas avec leurs ennemis,
Pas avec les assassins de Rémi Fraisse,
Pas avec les rafleurs de Roms,
Pas avec les bourreaux des Grecs et des Espagnols en lutte.
J’emmerde les intégristes,
J’emmerde le Front National,
Mais j’emmerde aussi le PS, dont Thierry Carcenac, le président du Conseil Général du Tarn,
Vient d’annoncer sa candidature à la même fonction, avec le soutien de son parti, malgré la mort retentissante de Rémi.
Et j’emmerde l’UMP, qui servira sans vergogne de marche-pied, le moment venu,
Pour donner le pouvoir à Marine Le Pen, en échange de strapontins.
On ne transige pas avec ces gens-là :
INTÉGRISTES DE LA RELIGION, DE LA NATION OU DE L’ARGENT.
On ne manifeste pas aux côtés des uns contre les autres.
On les combat tous.
Car ils se servent les uns des autres
Pour nous écraser,
Pour nous empêcher de changer ce monde.
REFUSONS DE MANIFESTER AVEC EUX.
Dégagons-les.
Partout.
Yannis Youlountas
Puisqu’il parait qu’en tant que révolutionnaire il faut dépasser l’émotionnel dans l’affaire des attentats des 7-8-9 janvier 2015 et être politique pour ne pas tomber dans le piège de l’union nationale, voici quelques remarques politiques sur les manifs qui ont suivi et l’attitude des révolutionnaires vis-à-vis de l’affaire.
Mobilisation de gauche contre union nationale
Dans certaines villes, les rassemblements suite aux attentats ont été appelés par les organisations de gauche et pourtant ils ont été un échec symbolique pour celle-ci.
Au Mans, ancienne ville rouge avec une agglo de 190 000 habitants, ancrée à gauche, où les réseaux PCF et assimilés sont encore vivaces, dès le 7 janvier, la gauche a assumé la mobilisation autour des attentats. Le 1er rassemblement s’est fait à l’appel du PG, Ensemble, de la CGT, de la LDH.
La marche républicaine qui a eu lieu samedi a ensuite été appelée par un collectif d’organisations pré-existant appelé « Collectif Réagir pour la démocratie » créé en 2013, probablement sur proposition des premiers appelants. Etrange collectif puisque outre les orgas de gauche classiquement présentes dans ce genre de regroupement, on trouve aussi SOS racisme, des asso africaines et musulmanes, et, plus étrange, l’UDI et le Modem.
L’encadrement de ces rassemblements par des militants politiques s’est fait ressentir par plusieurs choix symboliques. La manif a commencé aux Sablons ZEP de 7-8000 habitants (un peu le Sanitas pour les Tourangeaux) éloigné du centre-ville pour ensuite passer devant la mosquée du quartier qui avait été victime de tirs et de jets de grenades dans la nuit du 7 au 8 janvier, quitte pour cela à faire un parcours peu habituel, la mosquée se trouvant à la bordure d’une zone pavillonnaire qu’il a ensuite fallut traverser pour aller en centre-ville. Ce choix politique a manifestement été négocié et partagé avec les autorités musulmanes puisque des musulman-e-s donnaient des roses aux manifestants qui passaient devant la mosquée et que les « autorités » musulmanes défilaient derrière la banderole de tête intitulée « contre tous les extrémismes, pour la liberté d’expression ».
Cette manifestation a regroupé 15 000 personnes au mieux. Il s’agit du chiffre bas donné par les manifestants, la presse locale ne donnant pas celui de la préfecture, ce qui est mauvais signe, donc probablement autour de 12 000 personnes avec comptable préfectoral.
Dans cette ville ouvrière, les manifs de 2006 contre le CPE avaient réunis au plus fort 18 000 (Pref’) à 30 000 personnes (syndicats). Il est arrivé en 2003 et 2010 que les syndicats comptent 45-50 000 manifestants, loin des 15-20 000 qu’ils annoncent ce samedi. Certains participants ayant connu ces manifs ont eu le sentiment que celle de dimanche 11/01 n’a pas fait le plein.
Comparés aux scores d’autres villes de la même taille, il s’agit de toutes façons d’un échec.
A Toulouse, les syndicats ont appelé au rassemblement. Les CSR31 (Comités syndicalistes révolutionnaires) ont tenté d’y diffuser un tract (tract pour le moins ouvriériste, à lire là ), diff vite abandonnée devant l’accueil plus que glacial des manifestants.
A Tours, les syndicats ont invité à rejoindre le premier rassemblement de mercredi. L’appel pour celui de jeudi est moins clair : appel à rejoindre les rassemblements spontanés ou appel constitutif à ce rassemblement ? La rédaction du communiqué est pour le moins floue.
Toujours est-il que jeudi, Solidaires a brandie des drapeaux syndicaux, déclenchant quelques débats avec certains manifestants.
A Orléans, dimanche, le NPA et AL ont organisé leur propre rassemblement l’après-midi en plus de la manif officielle du matin. 500 personnes s’y sont retrouvé (contre 22 000 le matin) avant que les organisateurs ne prennent la parole s’attirant les foudres de nombre de participants, qui, voyant qu’il en s’agissait pas d’un simple hommage « citoyen », sont alors parti de la manif, réduisant le rassemblement à 100 personnes.
Quel bilan tirer de ces divers rassemblements ?
Là où elle a tenté de mobiliser, la gauche a subit des échecs symboliques et/ou numériques. Son expression a fait fuir et engendré des réactions violentes comme à Toulouse et Orléans. Au Mans, malgré le point de départ dans un quartier HLM, les français issus de l’immigration n’ont pas été plus présents qu’ailleurs dans le cortège. On peut même se demander si la distribution de roses devant la mosquée n’est pas un signe de communautarisation sur le mode « c’est votre manif à vous, blancs/français, et on est solidaires du drame, mais on ne s’y mêle pas ».
Il faut également interroger le sentiment de spoliation qu’expriment certains camarades vis-à-vis de ces manifs. Certes, en de nombreux endroits, la gauche, plus ou moins radicale, a appelé à se rassembler, se considérant à l’initiative de ces rassemblements.
Mais il faut être réaliste, avec ou sans appel d’orgas de gauche, ces rassemblements auraient eu lieu de toute façon comme partout ailleurs.
Deux peuples se sont croisés dans la rue, un peuple de gauche (voire d’extrême-gauche), qui descend dans la rue de façon codifiée, avec ses rituels : appel, drapeaux, tracts, chants, etc, et un autre, apolitique, qui, choqué par une violence à laquelle il n’est pas habitué, avait besoin d’exprimer des sentiments collectifs pour conjurer l’angoisse.
Ces manifs d’union nationale n’étaient pas de gauche mais elles ont au moins ce mérite, celui d’avoir donné l’occasion à une population d’exprimer et de conjurer de façon collective une angoisse, de s’affirmer sans haine. Libé l’a bien compris, en titrant son numéro de lundi « nous sommes un peuple ». Mieux vaut un « peuple » uni dans le deuil, même si ce deuil n’est en partie pas le sien (qui dans ces manifs connaît le contenu de Charlie Hebdo?), qu’une masse amorphe prostrée devant BFM TV et qui se demande si le musulman habitant à côté ne prépare pas un attentat. En cela, Hollande et sa marche républicaine ont probablement plus fait pour le vivre ensemble des prochaines années que toute orga révolutionnaire.
L’absence de nombreux camarades aux manifs de dimanche, sous prétexte que ces manifs ne respectaient pas leurs codes de mobilisation et étaient donc une récupération républicaine/politicienne montre à quel point la théorie révolutionnaire peut couper des masses. Ces camarades n’ont pas compris la signification de ces défilés pour « l’homme de la rue » ni l’importance qu’ils avaient pour neutraliser la violence potentielle, ils n’en ont vu que les têtes de cortèges et leurs écharpes tricolores. Gorgés de certitudes, fiers de leurs analyses anti-impérialistes et/ou économicistes à outrance qui s’apparentent en fin de compte à des versions intellectualisées du « tous pourris ! » d’extrême-droite, ils sont restés au chaud dans leurs pantoufles intellectuelles.
Permettez moi de vous dire camarades, qu’y a la même distance entre théorie révolutionnaire et pratiques révolutionnaires qu’entre religion et foi. La première est un dogme, une suite de rituels, la seconde se vie. Les absents de dimanche ont mis leur robe de bure et prêché dans le désert…
Samuel Préjean, le 13/01/2015
«Charlie Martel» récidive. Interrogé par la presse russe sur l'attaque terroriste qui a visé le journal satirique Charlie Hebdo, Jean-Marie Le Pen a cette fois émis des doutes sur la nature djihadiste de l'attentat. Dans un entretien paru vendredi dans le journal russe Komsomolskaïa Pravda, le président d'honneur du Front national avance ainsi que l'attaque «porte la signature de services secrets».
Le Pen s'interroge sur la découverte de la carte d'identité d'un des frères Kouachi, retrouvé dans la voiture abandonné lors de leur fuite, et qui a aidé les policiers à les identifier comme les auteurs de la fusillade qui a endeuillé la rédaction de Charlie Hebdo. «Ces passeports oubliés des frères Kouachi me font penser à l'avion en feu du 11 septembre 2001 et du passeport appartenant au terroriste retrouvé intact comme par magie», déclare Le Pen, selon des propos retranscrits en russe par le quotidien populaire.
Des accusations sans preuve
«On nous dit désormais que les terroristes sont des idiots et c'est pour cela qu'ils ont soi-disant laissé leurs papiers dans la voiture», poursuit-il. «La fusillade chez Charlie Hebdo porte la signature d'une opération de services secrets, mais nous n'en avons pas la preuve», ajoute Le Pen.
Les théories conspirationnistes se sont multipliées sur Internet, dès les premières heures de l'attaque la semaine dernière contre Charlie Hebdo qui a fait 12 morts. «Je ne pense pas que les organisateurs de ces crimes soient les autorités françaises, mais ils ont permis à ces crimes de se produire. Ce ne sont que des suppositions», conclut Jean-Marie Le Pen.
Après des reprises sur le Web français, Jean-Marie Le Pen a toutefois pointé des erreurs de traduction. «Je ne valide pas les retraductions en français d’interviews déjà traduites du français en russe, explique le président d'honneur du FN. Si on veut connaître mon avis sur tel ou tel sujet, je répondrai moi-même directement.»
http://www.al-alsace.tk/Charlie Hebdo : Leurs responsabilités et les nôtres
Au-delà de l’émotion inévitable et de la condamnation légitime, comment (ré)agir à l’assassinat d’une douzaine de personnes dans et aux abords des locaux de Charlie Hebdo, dont une bonne partie de sa rédaction, suivi de celui des quatre personnes dans un supermarché kasher de la Porte de Vincennes ? Et surtout, comment ne pas (ré)agir ?
Car il n’est pas question de hurler avec les loups de l’extrême droite et de la droite extrême, toutes tendances confondues, qui déjà désignent l’ensemble des musulmans vivant en France, quand ce n’est pas partout dans le monde, comme les responsables collectifs et les coupables désignés de cet acte, au nom d’une soi-disant nature intrinsèquement criminelle de l’islam ou d’un prétendu « choc des civilisations » qui rendrait ce dernier incompatible avec la modernité occidentale. Ce faisant, ces courants ne font que poursuivre et aggraver leur propagande raciste ordinaire, dont l’islamophobie constitue une dimension essentielle, désignant ceux et celles qu’elles amalgament sous le nom d’« immigrés » comme des boucs émissaires chargés de tous les maux, réels ou imaginaires, qui nous accablent et comme des cibles toutes désignées, que certains n’ont pas attendu pour viser au cours des dernières heures, en s’en prenant à des mosquées, des épiceries ou des restaurants fréquentés par des musulmans.
Face à ces entreprises d’instrumentalisation politique de la haine raciale, il faut continuer à rappeler que, comme toute religion, l’islam est divers dans l’espace et le temps et qu’il ne saurait se réduire à ses tendances fondamentalistes ou intégristes et, encore moins, aux mouvements, groupes ou individus djihadistes qui peuvent s’en réclamer. Il faut rappeler aussi que, en donnant naissance à des tels développements, l’islam contemporain ne fait pas non plus exception : leurs homologues ont existé ou existent aujourd’hui encore au sein du bouddhisme, du judaïsme ou du christianisme (pour en rester aux religions à prétention universelle) – ce dont certains mouvements d’extrême droite sont d’ailleurs l’illustration directe. Et c’est pourquoi il faut rappeler enfin que la critique de la religion, de toutes les religions, est et reste nécessaire et légitime, notamment lorsqu’elles donnent dans l’intolérance et a fortiori lorsqu’elles cherchent à engendrer des régimes théocratiques.
Ni sacré ni union sacrée
Mais il n’est pas question non plus de mêler notre voix ou, plus exactement, notre absence de voix (car ce serait demander de nous taire) à tous ceux qui en appellent aujourd’hui, comme il y a un siècle, à l’Union Sacrée, dans sa version de droite (la défense de la nation – quand ce n’est pas de l’ordre et de la loi) comme dans sa version de gauche (la défense de la République). Ce serait oublier que les clivages fondamentaux ne séparent pas actuellement les Français de ceux qui ne le sont pas ou qui, tout en l’étant formellement, sont suspectés de ne pas l’être réellement ou de ne pas mériter de l’être – en quoi d’ailleurs, on a vite fait de se retrouver sur le terrain de l’extrême droite nationaliste dont on prétend se distinguer. Ils partagent les salariés des capitalistes, les femmes des hommes, les nationaux des étrangers en partie privés des droits des précédents, les groupes « ethnicisés » ou « racialisés » de ceux qui les stigmatisent, les régions et nations « riches » et « développées » de celles que ce même développement voue à un sous-développement constamment aggravé, etc. Ce serait oublier aussi que la République, quel qu’en soit le numéro, n’a jamais été et ne sera jamais que le paravent des combinaisons bourgeoises et l’instrument de l’oppression des classes populaires et que c’est au nom de la République que l’on a mené des guerres pour la colonisation et contre la décolonisation des populations dont les descendants subissent encore aujourd’hui les séquelles chez elles (dans le développement socioéconomique inégal que la colonisation a institué et auquel la décolonisation n’a pas mis fin) comme au sein des anciennes métropoles coloniales vers lesquelles elles ont « choisi » d’émigrer.
Surtout, toute Union Sacrée exonère les leaders politiques d’aujourd’hui et d’hier, de gauche comme de droite, mais aussi leurs valets médiatiques, de leurs lourdes responsabilités dans la genèse, l’entretien et l’aggravation des situations qui nous ont conduits où nous en sommes. Car qui se refuse à voir dans les auteurs des assassinats en question des « fous » ou des « barbares », qualificatifs qui sont employés pour ne pas s’interroger sur leurs raisons, doit bien se poser la question suivante : pourquoi et comment trois jeunes issus de l’immigration maghrébine ou africaine, nés en France, sont-ils devenus des tueurs djihadistes ? Et quelques-uns des éléments de réponse sont à portée de main. A commencer par le chômage de masse et le développement du travail précaire et sous-qualifié, la paupérisation relative et même absolue de certaines couches populaires, notamment celles parquées dans des banlieues déshéritées sur le plan de leurs équipements collectifs et de leurs services publics, l’aggravation des inégalités sociales sur tous les plan, la réduction des perspectives de mobilité sociale ascendante, le tout alors que s’étale de plus en plus cyniquement l’arrogance de la réussite de ceux qui échappent à l’ensemble de ces phénomènes et qui en profitent même. Autant de processus auxquels tous les responsables politiques, de gauche comme de droite, qui alternent depuis plus de trente ans à la tête de l’État ont contribué par les politiques néolibérales dont ils n’ont cessé d’élargir le champ et de durcir le cours. Et autant de processus auxquels n’ont pas échappé la grande majorité des populations immigrées en provenance de l’Afrique subsaharienne, du Maghreb ou du Proche ou Moyen-Orient, non seulement parce qu’elles font partie du prolétariat mais encore parce que, dans leur cas, les effets de ces processus ont été aggravés par l’oppression spécifique à base de stigmatisation xénophobe et raciste dont elles sont les victimes au quotidien, qui les désignent comme « immigrés », « Arabes », « musulmans », etc., dans la plus parfaite confusion des termes. Une stigmatisation dont certains agents de l’État au sens large (des enseignants, des employés de préfecture ou des organismes de protection sociale, des travailleurs sociaux, des policiers surtout, des juges aussi) ne sont pas les moindres responsables, générant ainsi un véritable racisme d’État. En quoi ils ont d’ailleurs été stimulés par l’impunité dont ils ont bénéficié de la part de leur hiérarchie respective tout comme par l’encouragement implicite que leur ont adressé les responsables politiques. Car l’exemple est venu de haut et depuis des décennies, tant par les actes (les restrictions apportées à la politique de libre circulation et au droit d’asile, les accords de Schengen et de Dublin) que par les paroles : de Pierre Mauroy, alors Premier ministre, dénonçant les grèves des OS (pour l’essentiel des travailleurs immigrés) de l’automobile comme responsables de la défaite de la gauche gouvernementale lors des élections municipales en mars 1983 et de Jacques Chirac, alors ex Premier ministre et futur président de la République, incommodé par « le bruit » et « les odeurs » des quartiers à dominante de populations immigrées (juin 1991) jusqu’aux plus récentes déclarations sur les Rom d’un ministre de l’Intérieur devenu depuis lors Premier ministre en passant par la promesse de Nicolas Sarkozy en juin 2005, alors ministre de l’Intérieur et lui aussi futur président de la République, de nettoyer les cités au Karcher (et j’arrête là une énumération qui pourrait être beaucoup plus nourrie), c’est aux plus hautes instances de l’État soi-disant républicain que n’ont cessé de se multiplier des « dérapages » xénophobes très contrôlés à des fins démagogiques. Des dérapages qui n’auraient pas dépareillé le discours ordinaire d’un Jean-Marie Le Pen qui a d’ailleurs eu plusieurs fois l’occasion de se plaindre, à raison, qu’on lui dérobait la pièce de choix de son commerce politique : la désignation de « immigrés » (nécessairement musulmans) comme boucs émissaires. Et, pour parfaire le portrait de cette France nauséabonde, il faut encore évoquer la litanie des éditoriaux, unes, reportages, campagnes à relents raciste d’un grand nombre de médias ainsi que les « réflexions » de tous les Dupont-la-Joie qui ne se limitent malheureusement pas aux piliers de comptoir.
Douce France…
Et les populations en provenance de l’Afrique subsaharienne, du Maghreb ou du Proche ou Moyen-Orient ont été une seconde fois traitées en parias par la politique étrangère pratiquée par ces mêmes gouvernements dans ces différentes contrées au cours des dernières décennies. Inutile de rappeler que la France ne s’est nullement désolidarisée du soutien occidental à Israël dans sa politique de colonisation des terres et de spoliation des populations palestiniennes, pas plus qu’elle n’a dénoncé avec la vigueur qui aurait été nécessaire la série de crimes de guerre qui ont accompagné les interventions israéliennes au Liban et dans la bande de Gaza ; ce qui n’a pu que créer un terreau favorable à la réception dans une partie de la jeunesse de ces populations de discours antisémites camouflés en critiques du sionisme, que d’aucuns (dont le couple Dieudonné – Soral récemment) se sont ingéniés à labourer et à ensemencer. La France ne s’est pas davantage désolidarisée de son « grand frère » états-unien dans la manière dont il a conduisait sa « guerre contre le terrorisme » à Kaboul, à Abou Ghraib ou à Guantanamo. Faut-il rappeler que, au cours de ces dernières années, la France, seule ou avec ses alliés, a conduit plusieurs opérations militaires dans des pays à population majoritairement musulmane (l’Afghanistan, la Libye) en y poursuivant des objectifs sans rapport avec les intérêts de cette dernière à en juger par les destructions massives et les massacres collectifs qui ont en résulté et dont elle s’est désintéressée ? Pire même : ne l’a-t-on pas vu à plusieurs reprises soutenir voire prêter main-forte à des régimes (en Irak dans les années 1980, en Algérie dans les années 1990, en Syrie ces dernières années) qui tyrannisaient leurs propres populations quand ils ne les massacraient pas méthodiquement ? N’a-t-on pas entendu une ministre des Affaires Étrangères proposer à un Ben Ali en pleine déroute face au soulèvement du peuple tunisien de lui faire bénéficier du « savoir-faire de nos forces de sécurité » dans les opérations de répression ? Il est vrai que la France dispose d’une longue tradition de maintien de l’ordre en Afrique du Nord…
Pour un individu ou un groupe systématiquement stigmatisé, il est différentes manières de se défendre ; l’une d’elle, la plus paradoxale peut-être mais la plus redoutable sûrement, consiste à endosser le stigmate pour le retourner contre ceux qui le stigmatisent. A force de faire comprendre à quelqu’un qu’il n’est qu’un « immigré », qu’un « Arabe », qu’un « musulman », quand ce n’est pas qu’« un sale bougnoule », on finit par le transformer… en « Arabe », « musulman » et même en « sale bougnoule ». Autrement dit, on provoque un repli de l’individu ou du groupe sur son identité assignée, dans le meilleur des cas revendiquée sur le mode de la fierté digne (et c’est par exemple le motif du port du fameux voile par certaines des femmes musulmanes), dans le pire des cas sur un mode haineux qui n’attend que l’occasion de se venger des affronts subis. Ce qui constitue évidemment une condition majeure de réception des discours de l’islam radical, intégriste ou djihadiste.
Que faire ?
Mais le précédent processus interpelle aussi nécessairement les forces politiques révolutionnaires, entendons celles qui luttent pour l’émancipation à l’égard de toutes les formes actuelles d’oppression. Car il n’y a rien de fatal à ce qu’un potentiel de révolte suscité par l’injustice sociale et la stigmatisation raciste conduise à un acte placé sous le signe de l’identitarisme religieux. Si le premier ne trouve pas d’autre forme d’expression que le second, c’est aussi faute d’avoir pu trouver des voies alternatives. Et c’est là que la responsabilité de ces forces, que notre responsabilité, est engagée : nous n’avons pas su proposer de telles alternatives, ou à une échelle qui n’est pas à la mesure du défi qui nous était lancé. C’est notre faiblesse politique qui est ici en cause : notre présence sur le terrain, au sein des entreprises et des quartiers où travaillent et vivent les populations en proie à ce drame, est restée manifestement insuffisante, en dépit des efforts louables de certaines organisations syndicales (telles que Sud-Solidaires) ou de certaines associations (comme Droit au logement ou le Réseau Éducation sans frontières). Est aussi en cause notre méconnaissance relative des situations spécifiques dans lesquelles se trouvent ces populations. Est enfin en cause la négligence, au moins relative, avec laquelle nous avons traité jusqu’à présent l’ensemble des questions précédentes, au point d’avoir comme tout le monde été pris au dépourvu par le fracas des rafales de Kalachnikov qui ont commencé à résonner mercredi dernier dans les locaux de Charlie Hebdo.
A nos responsabilités concernant le passé s’ajoutent désormais celles à l’adresse d’un avenir immédiat aisément prévisible. Les derniers événements vont donner l’occasion et fournir le prétexte, sous couvert d’un renforcement de « la lutte contre le terrorisme islamiste », d’un durcissement de l’appareil répressif et d’une aggravation des restrictions concernant les libertés publiques dont risquent d’être victimes toutes les organisations associatives, syndicales et politiques qui luttent, à quelque degré que ce soit, contre l’ordre social existant. Et, sous ce rapport, l’Union Sacrée qui s’est constituée lors des manifestations du week-end du 10 et 11 janvier, allant du Front national au Parti communiste et au Parti de Gauche, est des plus inquiétantes, tout comme la Sainte Alliance qui a volé au secours de Hollande, dont font notamment partie ces grands démocrates que sont le Premier ministre hongrois Viktor Orban, le ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman et son collègue ministre de l’Économie Naftali Bennett ainsi que le président de la République du Gabon, Omar Bongo, et le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov. Quand de pareils pyromanes se proposent d’éteindre un incendie qu’ils ont contribué à allumer, il faut se préparer à affronter de nouveaux brasiers plus amples encore.
Après l’hommage, la gueule de bois ?
Forts des 4 millions de personnes qui les ont suivis dans la rue dimanche 11 janvier, certains responsables de droite et de « gauche » s’enthousiasment déjà pour un « patriot act à la française » (Valérie Pécresse, UMP). Cette loi américaine votée grâce à l’émotion et aux craintes consécutives au 11 septembre 2001 n’aurait dû durer que jusqu’en 2005… mais elle est maintenant permanente. Elle renforce les pouvoirs des services de sécurité, permet de surveiller étroitement les « suspects » (tous types de communication, perquisitions, saisies de biens…) sans décision de justice, de même d’arrêter et d’emprisonner des suspects longuement avant d’avoir à légitimer la procédure devant un juge. Renforcées en 2006, ces mesures autorisent la torture (rebaptisée « méthodes dures d’interrogatoire ») et les jugement par la justice militaire. Les attentats de Boston en 2013 ont démontré l’inefficacité de ces lois d’exception. Par contre, ces espionnages informatiques, et autres perquisitions non autorisées ont abondamment été utilisées par le FBI… contre les mouvements opposés à la guerre en Irak et en Afghanistan ! Des exemples encore plus frappants existent au Royaume Uni (Ces apprentis James Bond qui espionnent la gauche et les écologistes http://www.bastamag.net/Ces-apprentis-James-Bond-qui)
Si Valls s’est jusqu’à présent contenté d’évoquer « une réponse de grande fermeté », il a confirmé que de « nouvelles mesures » étaient selon lui « nécessaires ». Les 17 lois antiterroristes votées en France en 18 ans ne suffisent donc pas ? Une 18ème est donc envisagée. Et quand on sait que lors du vote à l’assemblée sur la dernière de ces lois, les députés (là aussi unanimes, du FN au PCF) ont rivalisé de déclarations liberticides (la palme revenant à Marsaud, UMP : « le gouvernement devrait s’asseoir sur les libertés individuelles ».), on peut s’attendre à de nouvelles prouesses.
Chacun et chacune essaie désormais déjà de placer ses recettes miracles :
- Eric Ciotti (UMP) propose des centres d’enfermement pour « déradicaliser » les présumés futurs terroristes (n’est-ce pas ce qu’on appelle « camp de rééducation » en Corée du Nord ?),
- Dupont-Aignant (DLR) préfère la mise en place d’un état d’urgence. L’état d’urgence, normalement adapté aux situations de guerres, se traduit généralement par des contrôles arbitraires par les forces de l’ordre, une limitation des libertés individuelles et collectives, des couvre-feu pour certaines zones ou certaines parties de la population… un comble quand on prétend défendre les libertés !
- Roger Cukierman, président du Conseil autoproclamé représentatif des institutions juives de France, a demandé que « tous ceux qui sont supposés être des jihadistes sur le territoire national fassent l’objet de mesures préventives, peut-être de détention provisoire, peut-être avec des bracelets électroniques ». Avec des sanctions préventives contre des « supposés » terroristes, on fait un bond en avant dans l’arbitraire !
On peut donc s’attendre à ce que la défense de la liberté d’expression de Charlie Hebdo débouche sur une nouvelle atteinte aux libertés individuelles et collectives. Mais bien sûr, rien n’est joué d’avance. C’est à nous de faire vivre une expression subversive !
Collectif Alternative libertaire Alsace
http://blogs.mediapart.fr/edition/les-i ... avons-peurCe n'est pas des élèves que nous avons peur
« De nouveau, la laïcité et la Marseillaise resurgissent comme une thérapeutique idéale, espérant formater les élèves selon un modèle standardisé et docile », constatent pour le regretter les enseignant.e.s et chercheurs/ses sur l’école Vincent Casanova, Grégory Chambat, Laurence De Cock, Laurent Ott, Ugo Palheta, Irène Pereira, Valentin Schaepelynck, Emmanuel Valat et Viviane Vincente, alors que les élèves ont besoin « d’éprouver la politique comme une réalité dont ils sont partie prenante ».
Les attentats ignobles et injustifiables des 7, 8 et 9 janvier ont déclenché une émotion populaire d’une ampleur inégalée, mais aussi une tentative – de la part du gouvernement, des partis institutionnels, relayés par les « grands » médias – d’imposer à marche forcée une « Unité nationale », rendant quasiment inaudibles toutes voix discordantes.
Par décision du président de la République, le jeudi 8 janvier est ainsi devenu « jour de deuil national » et la minute de silence organisée ce jour-là dans les établissements scolaires a parfois suscité des questions, des remous voire des rejets. Nous ne cherchons pas à les ignorer, bien au contraire, mais nous aimerions en rétablir les justes proportions – il y a 64 000 établissements scolaires en France – et en discuter le sens. Certaines déclarations qui ont suivi les « incidents » indiquent de fait une orientation inquiétante :
• le 13 janvier, la journaliste qui dirige le service politique de France 2, Nathalie Saint-Cricq, a affirmé à l’antenne : « Il faut repérer et traiter ceux qui ne sont pas Charlie ». Ne pas s’identifier à Charlie serait donc déjà, sinon un délit, du moins un « trouble » ou, comme l’a écrit récemment le sociologue Hugues Lagrange, l’expression des « tares morales et des inconduites (…) des minorités issues des pays colonisés » ? Cette stigmatisation ne peut qu’alimenter l’idée d’une liberté d’expression réservée à quelques-uns ; une idée qui est probablement pour beaucoup dans le refus manifesté par une minorité d’élèves de se plier au rituel du recueillement collectif ; une idée nourrie aussi par la trop fréquente absence de condamnation des propos racistes et islamophobes qui irriguent régulièrement les débats publics. En outre, le mot d’ordre contestataire « Je ne suis pas Charlie » peut prendre des significations très variables. Toutefois, pour la grande majorité des élèves, il ne s’agit certainement pas d'un refus de condamner les attentats, mais d'une mise en question de l’évidente sélectivité de l’émotion médiatique et d'une critique des tentatives (réelles) de récupération politique.
• le 14 janvier, Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’Éducation nationale, a déclaré à l’Assemblée nationale : « Même là où il n’y a pas eu d’incidents, il y a eu de trop nombreux questionnements de la part des élèves. Et nous avons tous entendu les "Oui je soutiens Charlie, mais", les "deux poids, deux mesures", les "pourquoi défendre la liberté d’expression ici et pas là ?" Ces questions nous sont insupportables, surtout lorsqu’on les entend à l’école, qui est chargée de transmettre des valeurs ». Questionner serait donc devenu insupportable. Pourtant, pour nous, il n’y a pas d’enseignement possible sans le questionnement d’un certain nombre d’évidences partagées. C’est sur cette base qu’il est possible d’amener les élèves à penser autrement qu’ils ne l’auraient fait spontanément, au terme d’un échange de paroles, d’arguments impliquant une relation, une écoute réciproque. Il s'agit là d'un travail difficile, et dont les résultats ne sont jamais acquis, mais y renoncer équivaudrait à abandonner toute ambition pédagogique. En outre, cela ne peut guère se produire sous la pression d’une injonction institutionnelle, en condamnant a priori les propos dissonants ou sous la menace de la répression. Le métier d’enseignant n'est pas de « faire silence », puisqu’il implique bien au contraire de travailler avec les mots. Le silence effraie les plus petits et frustre les plus grands. Si le partage de l'émotion a sa place dans les salles de classe, notre travail reste bien d'interroger le réel.
De plus, dans un contexte où l’ « unité nationale » est censée s’étendre jusqu’au domaine éducatif, les valeurs de la République sont présentées comme un catéchisme d'autant plus éloigné de l'expérience des élèves que ses valeurs sont concrètement niées. De nouveau, la laïcité et la Marseillaise resurgissent comme une thérapeutique idéale, espérant formater les élèves selon un modèle standardisé et docile. Pour notre part, ce n’est pas des élèves ou des adolescents que nous avons peur, et nous avons confiance dans leur capacité à développer une pensée autonome et généreuse. Notre considérons en effet que notre rôle d’enseignant et d’éducateur ne consiste ni dans un exercice de dressage ni dans une entreprise d’adaptation au monde tel qu’il va (mal), mais de rendre les jeunes capables d’une pensée critique, exigeante, nourrie d'entraide et d'idéaux collectifs.
Si l’école dysfonctionne, ce n’est pas en raison d'élèves aux paroles provocatrices qu’il faudrait « détecter » et « traiter », mais parce qu’elle a été notamment dévastée par des économies budgétaires opérées sur le dos des personnels et des élèves, particulièrement dans les quartiers populaires comme le rappellent depuis des mois les mobilisations pour le maintien des réseaux d'éducation prioritaire. Des zones entières du pays concentrent un chômage endémique et n'offrent que des services publics dégradés, une partie importante de leurs populations subissant un racisme structurel. La République « une et indivisible » est ainsi une formule qui se vide quotidiennement de son sens. Nous refusons donc la stigmatisation et la criminalisation des adolescent.e.s qui se dessinent aujourd’hui. Elles se sont déjà traduites par l’ordre donné aux établissements de faire remonter la liste des « récalcitrants », et parfois par une répression policière et judiciaire disproportionnée. Les effets de ces mesures ne peuvent être que délétères et augmenter encore plus, et à juste titre, la défiance des jeunes envers l’institution.
Aussi, pour remédier à cette situation, les élèves n’ont-ils pas besoin comme on l'entend un peu partout d’un surcroît d’éducation civique ou cours de « fait religieux » qui ne seront qu’un inutile pansement supplémentaire sur un cadre et des programmes scolaires déjà largement inadaptés ; ils ont besoin au contraire d’éprouver la politique comme une réalité dont ils sont partie prenante. Ils ont besoin de saisir qu’ils sont les co-bâtisseurs de la société de demain.
D’autres l’ont dit avant nous, il est temps de redonner du sens à la principale mission de l’école : l’émancipation, individuelle et collective. La démocratie de demain se prépare dans l’école d’aujourd’hui. Mais qui parie encore, au jour le jour, dans la démocratie et dans l’école ? Nous et tant d’autres avec qui nous travaillons !
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